Les fissures du système français

La France est au bout du rouleau. La rafale d’affaires qui secoue le pays l’enfonce chaque jour davantage dans un inconnu qui nous écarte de l’essentiel. Les affaires Clearstream comme celle de l’aéroport de Roissy sont des signaux forts de la crise des cadres intermédiaires de l’Etat. Dans l’affaire Clearstream, les fuites émanant de services spécialisés, dont on a peut-être qu’un aperçu encore très limité, traduisent un ras le bol sur la manière dont est gérée la sécurité nationale. La politique de recrutement des personnels sur la zone aéroportuaire de Roissy ne répond pas aux critères classiques d’un bassin d’emploi. Dans le monde perturbé par les manifestations imprévisibles du terrorisme international, les évènements du 11 septembre auraient dû servir de référence. Il n’en est rien. La France est encore pilotée à l’image de la déclaration historique des autorités françaises sur le nuage de Tchernobyl. Alerté depuis des années par les services spécialisés sur les incohérences des sociétés de sous-traitance, le gouvernement a fait la sourde oreille. Il ne s’agit pas seulement de la rigueur des procédures d’habilitation souvent contestées par les personnes qui en sont victimes mais du choix des critères de sécurité appliquées aux personnes qui opèrent sur une zone sensible. Faudra-t-il attendre un attentat de forte amplitude sur le territoire national pour admettre l’évidence ? Comme l’indique le site Knowckers.org, les compagnies Air France et ADP semblent privilégier pour l’instant les critères de gestion imposés par la concurrence internationale aux critères de protection des sites sensibles. Ce choix a déjà coûté très cher aux Américains en septembre 2001. Selon certaines sources, il a fallu une enquête de la gendarmerie territoriale sur des portables qui étaient volés par des manutentionnaires dans les valises des voyageurs pour déclencher une véritable enquête sur les incohérences sécuritaires de l’aéroport de Roissy. Ce coup de semonce est pratiquement resté sans effet. La police n’a pas compris que le pouvoir politique ne prenne pas ses responsabilités pour imposer de nouvelles règles de sécurité sur ce type de site sensible. Le nombre important de personnel employé dans la zone aéroportuaire n’est pas une excuse. Dans le passé, l’Etat a dû gérer des sites de l’industrie de défense qui faisait travailler des milliers de personnes. L’administration sait donc faire quand on lui demande. Le livre de Philippe de Villiers a exploité cette non action sans pour autant argumenter de manière crédible à cause de la dissimulation des sources qui l’ont mis sur le coup. La polémique tourne court mais le problème reste entier.
Dans l’affaire Clearstream, les déclarations du général Rondot, si elles s’avèrent exactes, rappellent une fois de plus que le pouvoir politique continue à privilégier la quête du pouvoir aux dépens d’une stratégie de puissance. Le prix à payer pour cette absence de patriotisme risque d’être lourd. La France est une puissance moyenne dont les moyens sont limités. Les services de renseignement sont un de ses bras armés pour ne pas subir la loi du plus fort. Leur utilisation contre productive dans des affaires éventuelles de «cabinet noir» sape leur image dans les cercles de décision et démotive leurs personnels. Cette situation est dangereuse à court comme à moyen terme. Rappelons que la DGSE a encore bien du mal à surmonter le traumatisme de l’opération du Rainbow Warrior menée sous la présidence de François Mitterrand.
Si les Français se désintéressent habituellement de ce genre de scandale, ils risquent d’adopter dans le futur un comportement légèrement différent à cause de l’exacerbation des rapports de force sur le plan international. Deux évènements retiennent actuellement l‘attention : le chantage nucléaire de l’Iran qui influe sur la crise énergétique rampante et l’action indirecte de la Chine dans le conflit tchadien qui souligne la détermination du gouvernement de Pékin pour renforcer sa position dans une zone vitale pour le pétrole et les matières premières. L’audace de ces deux pays souligne la fragilisation géostratégique du monde occidental. L’absence de débat médiatique sur ce sujet n’occulte pas pour autant son importance. L’enlisement des Etats-Unis en Irak, leur affaiblissement en Amérique latine, leur hésitation à l’égard de la Corée du Nord, autant d’indications qui indiquent que le parapluie américain n’est plus aussi fiable que par le passé. La France va devoir réapprendre à se défendre. Ce challenge est possible à condition que les politiques soient à la hauteur de la tâche. Aucun leader politique français ne semble concerné par ce sens des réalités. A droite comme à gauche, les futures élections présidentielles ne sont pour l’instant qu’un simple enjeu de pouvoir. Quel est la candidate ou le candidat qui saura avoir un discours clair sur les affrontements économiques qui menacent l’emploi et l’avenir de nos entreprises ? Quel sera la candidate ou le candidat qui osera enfin définir une véritable politique de sécurité nationale à la hauteur des enjeux à venir? Il s’agit là des deux priorités majeures qui risquent un jour de devenir celles de l’électorat français quand les dernières digues d’incrédulité et de passivité auront cédé sous le poids des démonstrations par l’absurde.

Christian Harbulot