Chinafrique : la stratégie d’influence de Pekin sur l’Afrique

Les liens tissés entre la Chine et l’Afrique sont anciens. L’implication de Pékin aux côtés de « mouvements de libération » africains, notamment après la conférence de Bandung (1955), en témoigne. Cet engagement éclaire d’ailleurs les relations très particulières qu’entretiennent toujours certaines capitales africaines avec la Chine. Ainsi, à Harare, le président Robert Mugabe n’a pas oublié le soutien apporté par les Chinois au ZANU – alors que de leur côté, les Soviétiques avaient pris le parti de Joshua Nkomo, leader du mouvement « rival », le ZAPU. Actuellement, mis au ban de la communauté internationale, en raison de la gestion catastrophique de son pays et de ses dérives racistes, R. Mugabe a retrouvé en la Chine un allié de poids, le seul qui soit d’ailleurs capable de se substituer aux investissements financiers et humains anglo-saxons. A partir des années 90, avec l’ouverture au monde de Pékin et la volonté croissante des autorités chinoises de peser dans les affaires internationales, l’Afrique s’est imposée comme un objectif majeur dans les projets stratégiques et conquérants de l’empire du Milieu. Jusqu’alors, ce dernier s’était surtout employé à utiliser le continent africain afin de se démarquer du communisme de Moscou et de diminuer l’influence de Taiwan sur la scène internationale. Cependant, aujourd’hui, le Parti Unique chinois, converti au « communisme de marché », souhaite que l’Afrique : - devienne une ère de consommation pour ses produits manufacturés ; - qu’elle participe à l’assise de son statut de puissance concernée par les affaires du monde ; - et surtout, qu’elle contribue à lui fournir les matières premières nécessaires à la poursuite de son formidable développement économique et politique. A ce jour, la longue marche diplomatico-économique entreprise par Pékin lui a permis de se hisser au rang de troisième partenaire commercial du continent, derrière les Etats-Unis, à proximité de la France mais… devant le Royaume-Uni. Depuis début 2006, cet intérêt de la Chine pour l’Afrique s’est déjà manifesté à deux grandes occasions avec, la célébration du 50ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et les pays africains puis, la publication d’un document sur la Politique de la Chine à l’égard de l’Afrique. L’émergence de sites traitant de questions « afro-chinoises », citons www.chinafrique.com, témoigne encore de cette tendance. Quelques chiffres. En un an, de 2002 à 2003, les échanges entre le géant asiatique et l’Afrique ont doublé, passant à 18,5Md$. En 2005, sur les neufs premiers mois de l’année, ces mêmes échanges commerciaux ont connu une nouvelle progression, passant à 32,17Md$. Toujours cette même année, les investissements directs chinois sur le continent ont représenté 900M$, sur un total de 15Md$. Néanmoins, il faut souligner que sur cette somme, 175M$ ont été investis, sur les neufs premiers mois de l’année 2005, dans des projets d’infrastructures et d’exploitation liés au pétrole . Ceux-sont d’ailleurs les investissements énergétiques qui structurent et qui tirent vers le haut le développement des échanges commerciaux sino-africains, à l’initiative de Pékin. Selon le service d’information sur l’énergie de l’administration américaine , sur les quatre dernières années, la Chine a compté à elle seule pour 40% du total de la croissance des besoins mondiaux en pétrole, prenant le rang du Japon comme 2nd plus grand consommateur d’or noire au monde.

Par ailleurs, devenu importateur net en 1993, ses besoins l’obligeront à importer, d’ici à 2045, jusqu’à 45% de son pétrole. C’est pourquoi, afin de palier aux conséquences de l’instabilité géopolitique du Golfe Persique – l’Iran et l’Arabie Saoudite comptent pour près de 30% des importations de pétrole en Chine, alors que l’ensemble de la zone lui en fournit 50% – Pékin cherche à garantir son approvisionnement en multipliant ses relations avec les autres pays producteurs, notamment en Amérique Latine et encore plus des pays producteurs d’Afrique. Comptant pour un peu plus de 10% de la production mondiale, avec des perspectives d’évolutions favorables, les recherches des autorités chinoises les ont naturellement amenées à s’intéresser à un certain nombre de pays africains. Ainsi : - au Nigeria, la compagnie nationale chinoise CNOOC Ltd. a déjà réalisé l’acquisition de champs d’exploitation. Dans ce pays, membre de l’OPEP et plus grand producteur de pétrole du continent, la stratégie de « long terme » adoptée par Pékin s’illustre par la prise de contrôle, à perte, de la raffinerie de Kaduna. Cet investissement devrait, en effet, assurer un terrain favorable au développement des intérêts chinois dans la région. - au Soudan, une grande partie du pétrole produit, près de 50% en 2005, est à présent destiné au marché chinois, grâce aux investissements réalisés par la China National Petroleum Corporation (CNPC). Une main d’œuvre chinoise, parfois des prisonniers de droit commun souhaitant obtenir une remise de peine ou des soldats déguisés en ouvriers, y a notamment construit un oléoduc débouchant sur la mer Rouge – port Bashir, à 25km au sud de Port Soudan – ainsi qu’une raffinerie, au nord de Khartoum . - en Angola, qui dispose également de ressources gazières, ceux sont près de 25% des exportations de pétrole qui sont destinées à la Chine, ce qui en fait maintenant son 4ème fournisseur. L’offre de Pékin à Luanda reflète la logique globale et la puissance de la diplomatie économique chinoise. Contre l’accès aux ressources angolaises, les autorités chinoises ont consenti des prêts et des aides incluant notamment la construction de chemin de fer, d’écoles, d’hôpitaux et la formation de personnels dans les télécommunications, etc. Certains analystes internationaux observent que les accords énergétiques « sino-africains » sont parfois accompagnés de ventes d’armes.

Au Soudan, les moyens aériens utilisés contre les populations civiles dans le Darfour seraient d’origine chinoise. Face aux critiques dénonçant la politique de Pékin en Afrique, le discours des autorités est rôdé. L’une des manœuvres consiste à détourner les attaques des éventuels détracteurs pour les interroger sur les raisons pour lesquelles il n’est pas reproché aux Etats-Unis ou à d’autres états occidentaux de soutenir des pays tels que l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou encore le Pakistan. Aux yeux de nombreux dirigeants et analystes africains, comparativement avec ceux des Etats-Unis et des pays occidentaux, les investissements asiatiques offrent des avantages notables dans la mesure où ils ne sont pas « conditionnés ». En effet, ses investissements ne sont pas contraints par les règles de transparence ou de bonnes gouvernances, souvent imposées par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire Internationale, deux organismes internationaux régulièrement pointés du doigt par les pays pauvres comme vecteur des intérêts des puissances occidentales. Autre atout des investissements chinois mis en avant par ces mêmes acteurs africains, ils touchent des secteurs d’activités souvent négligés par les grands bailleurs de fond, préférant financer des dépenses dans le domaine de la santé, de l’éducation au détriment de celui de l’industrie, des infrastructures et de l’agriculture dont le continent a pourtant tant besoin. Dans les années à venir, les ambitions chinoises en Afrique pourraient marquer une tendance lourde des relations internationales, à savoir : celle d’une opposition de style et de ton entre d’une part, une politique américaine soutenant le développement de régimes démocratiques, encourageant les changements de régimes et pratiquant les interventions préemptives et d’autre part, la politique du Parti Unique chinois, défendant les principes de l’intégrité territoriale, de la non interférence dans les affaires intérieures d’un pays et favorable à un système collectif de gestion des affaires du monde . Or, force est de constater que de l’Afrique, au Golfe Persique en passant par l’Asie, l’engagement des Etats-Unis et de ses alliés dans une guerre contre les extrémismes et le terrorisme semble pousser une grande partie des populations, le plus souvent musulmane, en faveur de la politique chinoise.

Objectivement, malgré la grande diversité de l’Islam, l’adhésion à une religion commune des pays disposant de l’essentiel des ressources énergétiques mondiales ne peut être écartée dans l’examen de la situation géopolitique, d’autant plus que le ciment fédérateur d’un rejet de l’Occident semble, plus que jamais, contribuer à leur rapprochement ou à des gestes de solidarités. Pour Pékin, cette sympathie du monde musulman à son égard devrait logiquement l’entraîner à s’en rapprocher. Outre l’accès aux ressources énergétiques d’Afrique, du Golfe Persique et d’Asie centrale, la caution morale de l’Arabie Saoudite et de l’Iran pourrait également permettre à Pékin de limiter l’agitation de ses minorités musulmanes ouïgoures . Il reste maintenant à évaluer l’intérêt de Pékin d’utiliser à son profit l’impopularité grandissante des Etats-Unis et de leurs alliés dans la mise en œuvre de sa stratégie de conquête de marchés et de ressources énergétiques. La déstabilisation de son principal concurrent diplomatique et économique risque en effet d’avoir des conséquences directes sur son propre développement. De même, le soutien de Pékin à des pays hostiles ou à des groupes extrémistes contribuerait à ternir son image de nation responsable, participant à la stabilisation de la sécurité internationale. Enfin, les attentats de 2001 ayant montré que la créature pouvait fort bien se retourner contre ses créateurs, toutes tentatives de Pékin afin d’utiliser des forces difficilement canalisables pourraient également, à terme, se révéler dangereuse pour la Chine.

B.S.