Les contradictions de la politique algérienne à l'égard de la France

La France se confond une fois de plus en courbettes devant un ancien ennemi qui lui crache à la figure dans le mensonge. Est-ce une très bonne base pour des relations saines avec l’Algérie ?


La venue en France d’Abdelaziz Bouteflika, jeudi 20 avril, est intervenue au lendemain de déclarations inacceptables pour notre pays. Il avait déjà passé plus d’un mois à l’Hôpital des Armées du Val de Grâce avant Noël pour être soigné d’un ulcère hémorragique à l’estomac. Dans un discours prononcé le 16 avril en Algérie et retransmis le lendemain à la télévision, il a dénoncé la « colonisation », responsable d'un « génocide contre le peuple algérien (mais aussi contre) notre identité, notre histoire, notre langue, nos traditions ». « Nous ne savons plus si nous sommes des Amazighs (des Berbères), des Arabes, des Européens ou des Français », a-t-il lancé. Peu avant, à l'université de Constantine, il avait évoqué le massacre de plusieurs dizaines de milliers d'Algériens en mai 1945 par l'armée française dans cette même région. « Nous savons tous comment l'Etat colonial français noiera dans le sang ce printemps patriotique et démocratique de la nation algérienne en mai 1945, date à laquelle la France s'est affranchie de l'occupation nazie et a trahi ceux qui ont contribué à sa liberté en sacrifiant ce qu'ils avaient de plus cher. »

Ces propos font ainsi suite aux différentes insultes et infamies que profère M. Bouteflika depuis son élection. Dix jours plus tôt, à Philippe Douste-Blazy venu à Alger, il a clairement fait savoir que le traité d’amitié franco-algérien auquel l’Élysée tient tant n’était plus à l’ordre du jour (alors qu’en 2003 « Année de l’Algérie » en France, il avait pris l’engagement qu’il serait signé avant la fin 2005). Début janvier, il ordonnait la fermeture de quarante-deux écoles francophones. Enfin, il vient de faire savoir qu’il ne participera pas au Sommet de la francophonie en septembre ! N’est-il pas incompréhensible que M. Bouteflika se permette ce genre de déclarations publiques et le lendemain vienne en France pour se faire soigner ? Malgré la véhémence de ces propos, Paris a choisi de garder un profil bas. Le président de l'Assemblée nationale s'est quand même déclaré « choqué par les propos du président algérien ». Quant à notre excellent ministre des affaires étrangères, il a tenu à prévenir le président algérien qu'il « faut ne jamais galvauder » le terme de « génocide » ! Combien de temps va durer cette mascarade qui consiste à héberger, accueillir et soigner des gens hostiles et haineux vis-à-vis de tout ce qui est français ?

Une argumentation scandaleuse…

On peut tout d’abord légitimement se poser la question de savoir qui paye pour une visite qui n’est pas officielle (où il est normal que les frais de la venue d’un chef d’Etat soient pris en charge par l’Etat français). Il faut par ailleurs utilement préciser que, au vu de son état et des soins nécessaires, son hospitalisation ne nécessitait pas un voyage en France et il aurait donc très bien pu être soigné en Algérie, sans risques notables pour lui. Cela aurait pu être une reconnaissance, ce dont elle a tant besoin, de la qualité de la médecine algérienne… Dans ces circonstances, la France aurait pu (du?) lui refuser l'accès au territoire qu'il ne manque jamais de piétiner ou d'insulter en public. Officiellement, les réactions de M. Bouteflika avaient été déclenchées par le vote de la loi du 23 février 2005 par le parlement français (reconnaissant en particulier le « rôle positif de la colonisation »). Celui-ci dénoncera cette loi qu'il qualifie de « cécité mentale, confinant au négationnisme et au révisionnisme ». Massacre, génocide ? La preuve en est certainement en effet l’évolution de la population algérienne, passée de 3 à 33 millions d’habitants en 175 ans (de 32 à 60 millions pour la France) ? On sait depuis les travaux de Jacques Marseille (1) que la colonisation a été ruineuse pour l’économie française, et qu’une grande partie de la croissance des années 60 est imputable à l’abandon de ce fardeau par les pays européens.

Rappelons aussi à tout hasard que l’Algérie a été occupée au détriment de l’empire Turc pour mettre fin aux razzias Barbaresques contre les populations (réduites en esclavage) des côtes Sud de l’Europe, dont Alger était un des foyers principaux… On peut par contre évoquer les formidables actes de bravoure consistant à égorger les Harkis désarmés et leurs familles ainsi que les Européens d’Algérie avec le zèle que l’on connaît. Harkis pour lesquels M. Bouteflika, en visite officielle en France, a eu en 2000 ces quelques mots de tendresse : « Les conditions ne sont pas encore venues pour des visites [en Algérie] de harkis. [...] C’est exactement comme si on demandait à un Français de la Résistance de toucher la main d’un collabo. » Il avait alors fallu un mois, pour que Jacques Chirac, répondant à une question le 14 juillet, réagisse à cette attaque contre des compatriotes. Rappelons aussi qu’en 2005, alors que la signature de ce fameux traité d'amitié franco-algérien était encore d'actualité, le président Bouteflika avait déjà dénoncé la colonisation française et ses « crimes ». Les Français, avait-il expliqué alors, « n’ont d’autre choix que de reconnaître qu’ils ont torturé, tué, exterminé de 1830 à 1962 (et) voulu anéantir l’identité algérienne ». Mais au fait, de quelle identité parle-t-il ?

L’Algérie est une terre de passage qui a été influencée par les multiples brassages culturels apportés dans les bagages de ses différents occupants et qui n’a jamais connu, avant le départ des Français, une véritable indépendance politique et économique (contrairement au Maroc). La lutte contre l’occupation française a cristallisé ces éléments épars et a forgé l’identité algérienne. Et si la France accusait l’Italie de génocide identitaire ? Ridicule. Abdelaziz Bouteflika devrait remercier la France d’avoir permis à l’Algérie d’être devenue une nation. Alors, certes, essayons de construire en Méditerranée un espace de paix et de progrès. Mais sur quelle base ? Celle du « je t’aime, moi non plus » ? 45 ans après la tragédie algérienne, faut-il que la colonisation comme la traite des Noirs soient l’unique sujet de conversation sur les deux rives de la Méditerranée ?

…Qui cache des enjeux économiques et politiques bien réels

Sans faire l’apologie de la période du colonialisme, force est de constater que la situation économique et sociale en Algérie n’est toujours pas très brillante. Le FLN a réussit avec brio (et avec l’appui du socialisme) à tiers-mondiser ce pays en moins de 40 ans... Bel exploit quand on a du pétrole, du gaz, une terre fertile, et un tel potentiel humain et touristique. La guerre civile a fait au bas mot 200 000 morts en 10 ans. Le peuple est déboussolé et sans espoir, et ne voit son salut que dans l'émigration. Bref, c’est un terrible gâchis qu’occulte à peine la réussite du secteur des hydrocarbures (due en grande partie à la hausse des prix depuis 2003)… mais pour combien de temps ? Les raisons de la virulence de M. Bouteflika à l’égard de la France sont évidemment politiques. En 2003, l’Algérie était demandeuse de reconnaissance internationale et européenne. Le traité d’amitié avec la France présentait, croyait-il, un intérêt évident. Ce n’est plus vrai aujourd’hui… Avec la flambée pétrolière, l’Algérie a recouvré un poids conséquent dans les relations diplomatiques. Elle est devenue une puissance importante qui reçoit Vladimir Poutine avec lequel elle a signé un énorme contrat d’armement (7,5 milliards de $). Bouteflika est en train de remplacer la France par les USA dans une bonne partie des principaux projets industriels en cours, notamment dans le pétrole, secteur ô combien sensible en ce moment.

Les États-Unis, qui lui ont acheté pour 12 milliards de dollars de pétrole en 2005, sont devenus son premier client ! Le ministre des Affaires étrangères algérien, en visite à la Maison-Blanche, a clairement souligné que la France (elle est toujours le premier partenaire de l’Algérie) « n’avait pas le même poids que les États-Unis ». En effet, eux ont demandé à l’Algérie de siéger à l’Otan et ils pourraient confier au président algérien un rôle de médiateur avec l’Iran sur le dossier brûlant du nucléaire militaire. Dans ces conditions, pourquoi signer un traité d’amitié avec la France, avec un président qui ne sera sans doute plus au pouvoir l’an prochain, un traité dont sa majorité, dominée par des nationalistes du FLN et les islamistes, ne veut pas ? Il doit aussi donner des gages aux islamistes qui se rallient (plus d'un millier de terroristes islamistes ont rendu les armes). Le refroidissement des relations avec la France a commencé en réalité pendant l’été 2005, quand Abdelaziz Bouteflika sillonnait le pays en vue du référendum de paix et de réconciliation avec les islamistes (qui ont massacré 200 000 Algériens). Mais il a curieusement axé sa campagne contre la France, assimilant la guerre d’Algérie aux crimes nazis. Il a employé le mot « génocide » selon les termes même du FLN. Veut-il accompagner l’islamisation de la société algérienne de cette manière ? Peut-il y avoir des répercussions en France même, qui abrite une large communauté originaire d’Algérie ?

Conclusion Le président algérien aurait pu user du prestige qu'il a su se constituer pour tourner la page du passé afin de donner aux relations entre Alger et Paris la maturité à laquelle les deux peuples aspirent depuis longtemps. Hélas, M. Bouteflika n'a eu de cesse d'exiger de la France qu'elle fasse encore et toujours plus « repentance » pour ses crimes passés, réels ou supposés… Le fonds de commerce de la majorité au pouvoir en Algérie est-il uniquement d’être antioccidentale, et d’abord antifrançaise ? Qu’ajouter à ce triste épisode où le président Jacques Chirac a laissé s’abaisser la France, une fois de plus ? Ce mépris à notre égard sur fond d’enjeux politiques et énergétiques n’a-t-il pas aussi pour fondement notre promptitude à nous auto flageller, à nous culpabiliser plutôt que de bâtir et d’aller vers l’avant, comme l’ont montré l’affaire du Clemenceau ou la non célébration d’Austerlitz ?

Sources


- « Le grand refroidissement entre Alger et Paris », Valeurs Actuelles n° 3622 paru le 28 Avril 2006, le regard de Catherine Nay. http://www.valeursactuelles.com/magazine/journal/index.php?NP=3622

-« Douste fustige l'emploi du mot génocide par Bouteflika » (23 avril 2006)

-http://permanent.nouvelobs.com/etranger/20060423.OBS5015.html

-« Bouteflika à nouveau hospitalisé en France » (21 avril 2006) http://www.lefigaro.fr/france/20060420.WWW000000330_bouteflika_en_france_pour_suivi_medical_.html#

-« Paris fait profil bas après les déclarations de M. Bouteflika sur la colonisation » (Le Monde 19/04/2006). http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3212,36-763135@51-746414,0.html (1) Jacques Marseille, « Empire colonial et capitalisme français. Histoire d'un divorce », 1984.

On pourra utilement compléter cette lecture par celle de l’ouvrage de Daniel Lefeuvre « Chère Algérie. La France et sa colonie (1930-1962) », 2005.

Pierre Boutaud