L’Europe telle qu’elle a été pensée dans les articles du Traité de Rome ne répond plus à la complexité du monde actuel. Préoccupés par la reconstruction d’économies en ruine et par la disparition des enjeux nationaux à l’origine des deux guerres mondiales, les fondateurs de l’Europe communautaire ont cru bien faire en privilégiant la dynamique de marché. Cette vision est non seulement dépassée, mais elle ouvre de larges brèches dans notre système de défense économique. L’impossibilité de garantir l’approvisionnement énergétique des pays de l’Union européenne par le simple jeu du marché constitue un avertissement important qu’il ne faut surtout pas négliger. Bruxelles a donné l’impression de se rattraper en publiant le 8 mars 2006 un Livre vert sur une stratégie européenne pour l'énergie durable, concurrentielle et sûre. Mais cette réponse n’a rien de géoéconomique et porte sur l’investissement à réaliser dans les infrastructures, les économies d’échelle et le comportement des consommateurs. Si ces mesures sont souhaitables, elles ne constituent qu’une partie de la réponse au problème posé.L’avenir énergétique de l’Europe dépend aussi très largement de la manière dont nous saurons gérer les rapports de force avec les pays producteurs. Il est évident que le rapport de force nous sera d’autant plus favorable si la négociation est menée sous le drapeau européen et non en ordre dispersé. Dans ce dossier comme dans bien d’autres, la multiplication des stratégies facilite le jeu d’autrui qui exploite à loisir les contradictions entre pays européens et en tire le meilleur profit. L’Union est censée faire la force. Les récentes affaires d’OPA dans l’énergie démontrent pour l’instant que c’est une autre règle qui s’applique, celle du chacun pour soi. Dans l’état actuel du fonctionnement de l’Union européenne, il est difficile d’imaginer un pilotage stratégique européen avec les différents pays fournisseurs. Tant que cette question ne sera pas réglée, il ne faudra pas s’étonner de voir les pays membres favoriser leurs priorités nationales. Cette contradiction résume l’ampleur du problème. Figée dans le cadre de pensée de l’économie de marché, la Commission européenne s’interdit d’aborder les enjeux de l’économie de puissance passée que les rédacteurs du traité de Rome ne pouvaient aborder dans le contexte de guerre froide.
La solidarité atlantiste face au Bloc de l’Est ne permettait pas d’imaginer une telle liberté de manoeuvre. A l’époque, la notion de puissance était dominée par le risque d’affrontement militaire entre l’Est et l’Ouest. Ce cadre de réflexion a volé en éclats depuis le début des années 90. Depuis sa création, l’Europe est restée ancrée au cadre géopolitique antérieur à la chute du Mur de Berlin. Cette position statique est aujourd’hui la source principale de son affaiblissement. La question de l’énergie souligne les limites d’une telle vision aseptisée des relations internationales. Qu’il s’agisse de la Russie, de l’Iran ou du Venezuela, les dirigeants actuels de ces trois pays mettent en avant la problématique de puissance sans omettre celle du marché. Il en résulte un accroissement des tensions entre les pays de plus en plus dépendants comme la Chine et demain les Etats-Unis. Cette problématique ne peut être passée sous silence sous le prétexte qu’elle ne peut pas être prise en compte à cause des termes d’un traité signé le 25 mars 1957… L’énergie est un cas parmi d’autres. A cause du traité de Rome, il est quasiment impossible d’imiter les subtilités des politiques de sécurité économique mises en œuvre hors du cadre européen. Dans l’Union européenne, un secteur stratégique ne peut être défini que dans une démarche de préservation de la sécurité publique. Cette restriction a des effets très négatifs sur les politiques des Etats membres. C’est le cas de la France qui se fait réprimander par Bruxelles dès qu’une initiative de mise à niveau est lancée pour tenter de rééquilibrer les rapports de force en termes d’économie de puissance. Sur injonction de la Commission européenne, les autorités françaises ont dû épurer le décret sur les secteurs stratégiques au nom des principes fondateurs du traité de Rome.
lire à ce propos l’étude réalisée par l’Ecole de Guerre Economique) à la fragilisation du monde occidental. Il n’est pas trop tard pour réagir.
Christian Harbulot