Ernest-Antoine Seillière se serait-il converti au patriotisme économique ? (1) Lui, le chantre du libéralisme, a-t-il pris en compte le principe de réalité prévalant dans le monde actuel, principe arguant que les Etats et les firmes nationales doivent travailler de concert afin d’accroître leur part de marché dans le commerce international et leur influence. La puissance d’un Etat ne se réduisant plus seulement à ses capacités militaires mais aussi à la santé de ses entreprises dans un monde global, l’Etat doit promouvoir ses intérêts économiques au niveau national mais aussi international (mutualisation des intérêts publics et privés). Les Etats-Unis ont entrepris cela en modifiant leur politique commerciale (on parle de diplomatie commerciale) durant les années 1990, avec, entre autres, la création de l’Advocacy Center, la théorisation de l’ouverture des marchés étrangers au marteau piqueur s’il le faut aux intérêts US ou encore l’évolution dans la logique du renseignement (selon certains experts, les différentes agences de renseignement américaines utilisent 40 % de leurs capacités humaines, financières et technologiques au renseignement économique).Monsieur Seillière a-t-il enfin compris que « le patriotisme économique n'est pas du protectionnisme » , contrairement à Claude Bébéar (2) ? Il est plus ou moins étonnant que les deux grandes figures du patronat français ne soient vraiment pas sur la même longueur d’ondes. En effet, le principe de réalité que met en avant Seillière (3) s’oppose à la vieille antienne libérale du président d’AXA, le « doux commerce » (cher à Montesquieu) étant un facteur de paix. Il est à noter que le discours libéral concernant le patriotisme économique est rôdé. Ce dernier rime avec protectionnisme voire nationalisme afin d’y renvoyer une image négative et rappelant dans l’inconscient des Français la période de l’entre-deux-guerres. En effet, le discours développé, ces dernières années, par les tenants du libéralisme à tout crin, est de démontrer, implicitement, que les politiques nationales protectionnistes voire autarciques des années 1920 et 1930 sont l’une des causes majeures du déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Le progrès, la justice et la richesse s’opposent alors au caractère dangereux et manipulateur du patriotisme économique.
La deuxième idée propre au libéraux est que le marché ne peut tolérer durablement cet entrisme dans le libre jeu de l’offre et de la demande. Or, le marché est analysé comme une boîte noire où désirs des consommateurs et des producteurs s’ajustent parfaitement pour donner un équilibre à un prix d’équilibre. Cette analyse libérale du marché ne résiste pas au principe de réalité dans les grands secteurs que sont l’armement ou l’énergie, secteurs stratégiques mais aussi vecteur de puissance pour les Etats. Il en va de même pour la finance, où pourtant Monsieur Bébéar travaille. On nous vante la bourse comme le symbole du marché parfait tout en oubliant que ce marché précis est contrôlé par 40 grandes institutions financières (4), principalement américaines et que les instances monétaires US utilisent le taux de change du dollar, monnaie internationalement dominante et « fluide » de la finance, afin de financer leurs déficits budgétaire et commercial abyssaux. Cette industrie financière ne travaille pas contre les intérêts supérieurs de la nation américaine car elle vise à drainer l’épargne mondiale pour financer, en priorité, l’économie américaine. Et pas sûr que les Etats-Unis acceptent benoîtement de voir leur souveraineté financière être mise en concurrence (et pire, partagée !), par des phénomènes divers tels que l’euro ou la dollarisation officielle de certaines économies sud-américaines avec pour corollaire, la demande par les gouvernements de la prise en compte de la situation économique de ces pays par la Fed dans sa gestion de la politique monétaire.
Ainsi, les deux interviews contradictoires des deux pontes du capitalisme français, à des dates très proches, peuvent être analysées comme un moment charnière dans la promotion du patriotisme économique en France et d’une vision réaliste de l’économie internationale. Le MEDEF va-t-il enfin ouvrir les yeux sur les enjeux de puissance et s’ouvrir à des analyses de l’économie mondiale en adéquation avec la réalité, et non plus ressortir à dates fixes des potions libérales bêtes et méchantes ?
Monsieur Bébéar se plaît à rappeler que certaines « populations ne sont pas toujours très évoluées sur le plan économique ». Il devrait prendre cette phrase pour lui.
Quant à Monsieur Seillière, nous jugeons les gens sur ce qu’ils font, pas seulement sur ce qu’ils disent. Dont acte.
AR.
(1) http://www.french.xinhuanet.com/french/2006-04/08/content_238522.htm
(2) http://www.ledevoir.com/2006/04/06/106152.html
(3) Selon lui, la réputation de protectionnisme de la France est « une vieille lune […] le marché français étant totalement ouvert, rappelant que la France était l'un des pays européens à accueillir le plus d'investissements directs étrangers » .
(4) Banques, fonds d’investissement, compagnie d’assurance… Le plus oligopolistique des secteurs financiers étant les agences de ratings au nombre de trois : Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s.
La deuxième idée propre au libéraux est que le marché ne peut tolérer durablement cet entrisme dans le libre jeu de l’offre et de la demande. Or, le marché est analysé comme une boîte noire où désirs des consommateurs et des producteurs s’ajustent parfaitement pour donner un équilibre à un prix d’équilibre. Cette analyse libérale du marché ne résiste pas au principe de réalité dans les grands secteurs que sont l’armement ou l’énergie, secteurs stratégiques mais aussi vecteur de puissance pour les Etats. Il en va de même pour la finance, où pourtant Monsieur Bébéar travaille. On nous vante la bourse comme le symbole du marché parfait tout en oubliant que ce marché précis est contrôlé par 40 grandes institutions financières (4), principalement américaines et que les instances monétaires US utilisent le taux de change du dollar, monnaie internationalement dominante et « fluide » de la finance, afin de financer leurs déficits budgétaire et commercial abyssaux. Cette industrie financière ne travaille pas contre les intérêts supérieurs de la nation américaine car elle vise à drainer l’épargne mondiale pour financer, en priorité, l’économie américaine. Et pas sûr que les Etats-Unis acceptent benoîtement de voir leur souveraineté financière être mise en concurrence (et pire, partagée !), par des phénomènes divers tels que l’euro ou la dollarisation officielle de certaines économies sud-américaines avec pour corollaire, la demande par les gouvernements de la prise en compte de la situation économique de ces pays par la Fed dans sa gestion de la politique monétaire.
Ainsi, les deux interviews contradictoires des deux pontes du capitalisme français, à des dates très proches, peuvent être analysées comme un moment charnière dans la promotion du patriotisme économique en France et d’une vision réaliste de l’économie internationale. Le MEDEF va-t-il enfin ouvrir les yeux sur les enjeux de puissance et s’ouvrir à des analyses de l’économie mondiale en adéquation avec la réalité, et non plus ressortir à dates fixes des potions libérales bêtes et méchantes ?
Monsieur Bébéar se plaît à rappeler que certaines « populations ne sont pas toujours très évoluées sur le plan économique ». Il devrait prendre cette phrase pour lui.
Quant à Monsieur Seillière, nous jugeons les gens sur ce qu’ils font, pas seulement sur ce qu’ils disent. Dont acte.
AR.
(1) http://www.french.xinhuanet.com/french/2006-04/08/content_238522.htm
(2) http://www.ledevoir.com/2006/04/06/106152.html
(3) Selon lui, la réputation de protectionnisme de la France est « une vieille lune […] le marché français étant totalement ouvert, rappelant que la France était l'un des pays européens à accueillir le plus d'investissements directs étrangers » .
(4) Banques, fonds d’investissement, compagnie d’assurance… Le plus oligopolistique des secteurs financiers étant les agences de ratings au nombre de trois : Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s.