« Changement de régime !», tels sont les slogans que l’on peut lire sur les banderoles portées par une partie de la population iranienne défilant dans les rues ; population constituée à 70% de citoyens de moins de trente ans…Cette volonté de s’extirper du joug pesant des régimes autoritaires est-elle nécessaire et suffisante pour impacter les décisions politiques du Président iranien?
La prise de position dans le dossier du nucléaire iranien pourrait paraître évidente aux yeux de la communauté internationale. Cette simplicité masque toutefois les enjeux sous-jacents et les connections engageant les acteurs du théâtre géopolitique mondial au cœur du dossier iranien.
Décryptant les tensions et réactions des acteurs, il conviendra de révéler la réalité d’un échiquier géostratégique pluriel avant de mettre en exergue deux lignes stratégiques impliquant une majorité de la communauté internationale.I. Un échiquier géostratégique à conjuguer au pluriel
A. Les enjeux du nucléaire iranien
L’inflexibilité de la politique extérieure de l’Iran sur le dossier du nucléaire n’a d’égal que son attitude diplomatique agressive dans cette tentative de conquête d’une indépendance longtemps poursuivie. Le pays fait pression de toute part pour conquérir le droit de développer la technologie d’enrichissement de l’uranium sur son propre sol. Ce n’est pas tant les moyens de cet enrichissement qui suscitent de vives réactions de la communauté internationale mais les réelles finalités qui poussent l’Iran à vouloir disposer de ce savoir-faire à tout prix… La volonté d’indépendance énergétique pourrait ne pas être décorrélée de celle de disposer de l’arme nucléaire.
Une seule centrale nucléaire est en cours de finition sur le sol iranien. Certains experts en armement ont pourtant précisé que l’Iran aurait développé près de 5000 centrifugeuses destinées à acquérir la capacité à enrichir l’uranium. L’emploi du subjonctif convient également pour caractériser les relations floues qu’a entretenues le pays avec A.Q Khan, père présumé de la bombe pakistanaise…Ces indéterminations, jumelées aux déclarations provocatrices vis-à-vis, notamment de l’Etat d’Israël, rapportées par le Président Ahmadinejad trouvent leur écho dans l’entente que passe l’Iran avec certains mouvements radicaux tels que le Hezbollah ou le Hamas pour la formation d’un front uni contre Israël. Ces instabilités diplomatiques reposent sur une base mue par un fragile équilibre ; certains courants politiques iraniens réformateurs dénonçant l’attitude politique du Président.
Dans cette perspective, l’Iran persiste dans sa volonté « d’indépendance », envers et contre tous (ou presque), elle menace de se retirer du Traité de non-prolifération malgré les avertissements lancés par la communauté internationale et plus spécifiquement, malgré le risque de se voir traduire devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Moyen-Orient, déjà engagé dans de vives tensions géopolitiques s’agrège une nouvelle menace.
B. Les interactions géopolitiques
L’expression de la volonté unilatérale de l’Iran impacte directement et indirectement les principales puissances mondiales. La richesse du sol iranien n’est alors plus utilisée comme catalyseur d’échanges internationaux mais comme menace de rétorsion et de non approvisionnement si les pays intéressés ne satisfont pas les exigences iraniennes.
La résonance de ce « jeu de dupe » est internationale et Téhéran en est son épicentre. En effet, celle-ci dispose d’une capacité déstabilisatrice et mobilisatrice dans le Moyen-Orient sans égal… L’Arabie Saoudite n’a-t-elle pas fait savoir que si Téhéran disposait de la bombe, Riyad s’engouffrerait alors dans la brèche ouverte de l’armement nucléaire.
Les pays limitrophes de cette région du monde tels que la Turquie adoptent une position résolument différente. Ankara dénonce ainsi la politique suivit par Téhéran et s’impose comme relais d’influence et d’action américain. Plus au Sud, Israël s’accorde avec cette stratégie en étant directement mise en cause dans les discours du président iranien et constitue dès lors une tête de proue stratégique dans une optique de « containment » de l’Iran.
Dans son absolu désir d’autonomie, l’Iran fait preuve de contradictions évidentes, à ce titre, membre du TNP, elle réclame cependant le droit de développer le nucléaire de manière autonome… ! Cette erreur logique (au sens scientifique du terme) démontre l’obstination et l’absence de fondements de nombre d’arguments avancés par Téhéran par lesquels elle entend faire plier les « diplomaties gênantes ». Cette ambivalence se retrouve dans ses relations avec son « partenaire » russe. Moscou a en effet été commanditée pour réaliser la construction de la première centrale nucléaire iranienne et dans le même temps, M. Ahmadinejad refuse catégoriquement et sans compromis la proposition russe de permettre à l’Iran d’enrichir l’uranium sur le sol russe. Ceci n’empêchera pas Téhéran d’acheter à la Russie des armes anti-aériennes pour se protéger, certainement, d’une attaque militaire menée depuis le sol turc par l’armée américaine.
La Russie ainsi que la Chine et le Mouvement des non-alignés n’ont pas intérêt à ce que l’Iran soit isolé sur la scène internationale pour qu’ils puissent maintenir leur approvisionnement permanent en pétrole brut que leur fournit Téhéran. Cependant, ces acteurs semblent poursuivre la volonté partagée par l’Occident de voir l’Iran « désarmer pour éviter la prolifération ».
L’exportation de pétrole brut iranien s’est vu brutalement ralentit de 15% lorsque le Japon a diminué son approvisionnement pour le préserver en diversifiant ses sources d’approvisionnement. Faisant montre d’une certaine neutralité, le Japon n’en reste pas moins engagé contre l’éventuelle prolifération nucléaire iranienne. Mais l’histoire énergétique entre Iran et Japon n’en est pas à son premier soubresaut. Le projet ITER (nouveau mode de production d’énergie) mettait en concurrence la France (soutenue par l’Iran) et le Japon…
II. Antinomie de deux stratégies globales
A. Du stratégique au tactique…
La stratégie poursuivit par l’Iran est en mouvement permanent avec celle définie par les Etats-Unis ; les stratégies des autres puissances découlant de ces deux premières, nous limiterons l’analyse stratégique à ce périmètre.
Chacune de ces stratégies se trouve alternativement, mais pas nécessairement pertinemment, en miroir (stratégie identique) ou en asymétrie.
Géopolitiquement, chaque « camp » a définit ses propres axes stratégiques qu’il va décliner et dérouler dans le temps pour parvenir à son objectif final recherché. Il est intéressant d’aborder l’analyse dans un triptyque stratégie / tactique / opérationnel.
Dans son acception, l’Iran poursuit l’autonomie nucléaire et nourrit peut-être officieusement l’espoir de pouvoir acquérir l’arme nucléaire à terme. Les Etats-Unis, à l’instar d’une large majorité de la communauté internationale ne souhaite pas voir s’installer dans le proche et Moyen-Orient une instabilité et/ou une insécurité politico-économique plus importante.
En effet, Washington développe une stratégie dont l’aboutissement pourrait être une mainmise politique et économique sur le Moyen-Orient. Tactiquement, cette volonté peut se décliner dans la vision d’Israël que se font les décideurs américains ; suivant cette matrice de pensée, Israël (soutenue par les Etats-Unis) représenterait un pont que pourrait emprunter les Etats-Unis pour installer un bloc stratégique et économique « atlantico-européen » (les Etats-Unis cherchent à avoir de l’influence en Irak et en Iran, pour influer, par ricocher, l’ensemble du Moyen-Orient).
En réponse à cette volonté, l’Iran représente le « dernier rempart » à la mainmise américaine sur le Moyen-Orient et ses ressources pétrolières ; consciente de cela, l’Iran ouvre donc un nouveau front diplomatique contre Israël.
B.… et de l’opérationnel
Téhéran entre dans un discours manichéen fondé sur le domaine religieux visant à diaboliser (au sens propre) les Etats-Unis ainsi qu’Israël, puisque, selon les autorités iraniennes, « les néo-conservateurs américains ont été mis au pouvoir par un complot sioniste ».
Cette stratégie de diabolisation et d’amalgame trouve son pendant du côté anglo-saxon dans la mesure où John Bolton (ambassadeur des Etats-Unis aux nations Unies) rapproche, en terme de menace, les attentats du 11 Septembre et le danger de nucléarisation de l’Iran…image psychologique forte dans les pensées américaines et occidentales. En outre, les Etats-Unis entament une démarche de diabolisation du président Ahmadinejad fondée sur les droits de l’Homme.
La guerre psychologique et informationnelle est au cœur des évolutions parallèles de chacun des acteurs. A Téhéran, les mollahs usent de tout leur poids moral pour affûter une véritable « arme de propagande massive ». En effet, le VEVAK (un dérivé de police politique iranienne) et l’ICCO (organisation pour la culture et la communication) sont sous l’égide du régime radical et cloisonnent l’accès et la diffusion d’informations dans le pays. Ainsi, les conservateurs au pouvoir imposent un contrôle permanent et drastique sur l’utilisation d’Internet…
De leur côté, les Etats-Unis veulent mettre en place une campagne d’information destinée à la population iranienne pour les informer de la réalité du régime…là encore, le doute est permis dans la mesure où l’on est amené à s’interroger sur la neutralité américaine dans le discours…ne serait-ce pas une illustration parfaite de ce que l’on appelle communément le « Softpower » ?
Mais, si les américains souhaitent pouvoir « informer » la population iranienne, ils n’avaient, jusqu’à récemment, pas l’intention de renouer le dialogue (diplomatique) avec les autorités iraniennes. La réciproque ne semble pas vérifiée. Téhéran, invoquant l’enjeu et l’avenir de l’Irak, tente de renouer le dialogue avec l’adversaire au moment où les tensions sont à leur paroxysme. Bagdad servirait-elle de soupape d’échappement ? Une chose est sûre, la communauté internationale ne semble pas être dupe de la manœuvre iranienne pour apaiser les tensions liées au nucléaire iranien.
Conclusion
Les incertitudes demeurent dans le dossier nucléaire iranien. Les informations circulant sur le sujet vont bon train mais ne permettent pas nécessairement une analyse pertinente de la situation. La création d’une bourse pétrolière iranienne libellée en euros corrélée à la disparition de l’indicateur monétaire centrale de l’administration américaine (la masse M3) ne sont aujourd’hui pas vérifiée et les analyses qui en découlent conservent un caractère purement spéculatif dont il faut savoir se garder.
Les stratégies mutuelles se poursuivent sans se ressembler dans un contexte politico-diplomatique dont les issues reposent sur l’emploi habile de l’information et de la psychologie des foules…
Jean-Christophe Debarge
Benoit de La Bourdonnaye