L’Amérique et la conduite de la guerre

A l’heure où le Président Bush présentait The National Security Strategy 2006, la Fondation pour la Recherche Stratégique1 organisait une journée d’étude le 13 mars 2006 portant sur la vision stratégique du Pentagone (Quadrennial Defense Review). Un article du Monde2 rapporte les propos du colonel Gilles Rouby, de l’Etat-Major de l’Armée de Terre, lui-même citant les propos du général britannique Nigel Aylwin-Foster, qui a servi en Irak jusqu'en novembre 2004 sous commandement américain, et dont le témoignage a été publié dans le magazine de l'armée américaine Military Review. Il semblerait que la manière utilisée par l’armée américaine en Irak soit à contre sens de cette stratégie visant à gagner les cœurs et les esprits, ce qui conduirait les Etats-Unis à une impasse. Selon le colonel Rouby, cette incapacité américaine à « bien faire la guerre » aurait plusieurs déterminants :

* La formation du soldat américain qui se retrouve dans le code du soldat : « Je suis un guerrier et membre d'une équipe ; je sers le peuple des Etats-Unis et vis selon les valeurs de l'armée (...). Je me tiens prêt à me déployer, à engager (l'adversaire) et à détruire les ennemis des Etats-Unis (...). Je suis le gardien de la liberté et de la manière de vivre (way of life) américaine ». A l’opposé, le code du soldat français est rédigé différemment : « Maître de ma force, je respecte l'adversaire et veille à épargner les populations. J’obéis aux ordres dans le respect des lois, des coutumes de la guerre et des conventions internationales. (...) Je suis ouvert sur le monde et la société et en respecte les différences ».

*La non prise en compte du changement de la nature de la guerre. L’armée américaine continue à s'organiser et à s'entraîner pour des opérations de guerre conventionnelle (syndrome guerre froide) et non pour des conflits asymétriques. Comme le note Nigel Aylwin-Foster, l’US Army est « à l'image de la société américaine dont elle est issue : elle aspire à obtenir des résultats visibles très rapidement » ce qui incite le Pentagone à viser des objectifs militaires déconnectés d'objectifs politiques plus larges.

* Le recours systématique à la technologie (diminuant du même coup les contacts avec la population), la destruction de l’ennemi étant l’objectif stratégique. Ainsi, les officiers américains notent : « nos alliés sont trop réservés sur l'emploi de la force, ce qui encourage les insurgés à résister et démontre à la population locale que nous manquons de détermination. (...) Etant donné le rôle prééminent du combat coercitif enseigné et pratiqué habituellement par nos soldats du premier échelon, il était déraisonnable et trop compliqué d'attendre d'eux qu'ils développent la subtilité et la maîtrise nécessaire pour gagner les cœurs et les esprits pendant la phase de stabilisation et de reconstruction. (...) Sur 123 opérations de pacification entreprises entre mai 2003 et mai 2004, 6 % seulement ont cherché à créer un environnement sécurisé pour la population : la tactique préférée consistait à employer la force létale à grande échelle au cours de raids d'une journée ». L’impasse américaine en Irak a donc des fondements beaucoup plus profonds que la simple inexpérience des soldats, le manque de moyens, notamment blindés, ou encore la présence de terroristes.

L’Amérique en armes. Anatomie d’une puissance militaire », Economica, 348 p.

Augustin Roch

1. http://www.frstrategie.org. Compte-rendu à paraître prochainement sur le site web.
2. http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-754186@51-752038,0.html