Un four économique
Après l’échéance du 31 Décembre dernier sur les prises de positions des grands acteurs du nickel calédonien sur le projet d’usine du nord en Calédonie, le paysage minier ressent plus que jamais les mouvements stratégiques que lui imposent ses principales industries, présentes ou non sur le Territoire. Ainsi, les antagonismes entre le canadien Falconbridge et le français SLN (filiale d’Eramet) ne cessent d’être alimentés par les atouts régulièrement sortis des mains de l’une ou l’autre des organisations. En outre, le contexte n’est pas simplifié par l’OPA lancée par le groupe Inco (déjà présent dans le sud de la Calédonie via sa filiale Goro Nickel) sur son compatriote Falconbridge. Ce dernier est le bénéficiaire, via la SMSP (société minière dans le nord de la Grande Terre) des titres de propriété du massif du Koniambo, futur site d’exploitation de l’usine du nord.
La grille de lecture de l’environnement présente ainsi des nœuds de complexité de plus en plus nombreux.Le projet d’usine du nord implique directement ou non, l’ensemble des acteurs du nickel calédonien, l’Etat français y compris. Les accords de Bercy en 1998 prévoyaient l’allocation du massif du Koniambo à Falconbridge sous certaines conditions, notamment un engagement irrévocable de réaliser l’usine du nord de la part du canadien. Depuis le 31 Décembre 2005, le Koniambo est entré dans l’escarcelle du canadien Falconbridge, l’Etat français souhaitant avant tout réajuster le déséquilibre social et économique entre le sud (plus riche) et le nord de la dernière pépite économique française, la Nouvelle-Calédonie, sans se préoccuper au premier plan de la nationalité des acteurs en présence.
Les facteurs industriels et technologiques (dans l’extraction du minerai), humains (connaissances et compétences des hommes), financiers (modes de financement des projets) et surtout informationnels (communication et influence) constituent la doctrine même de cette guerre économique Calédonienne. Les moyens déployés et mis en œuvre par chacun des acteurs s’inscrivent tous dans des stratégies bien définies qu’il est possible de décrypter et d’analyser.
Des manoeuvres ponctuelles … des stratégies parallèles
Sur fond politico-économique, les miniers pratiquent avec pertinence et efficacité une guerre économique basée sur l’influence et la déstabilisation réciproque. L’analyse et la conjugaison des artifices déployés permettent de soulever les problématiques essentielles dans le dossier du minerai vert.
Chronologiquement, l’analyse des faits prend sa source dans des raisons lointaines, mais se réfère à des causes immédiates dans la déclinaison des stratégies des acteurs… on assiste à un véritable enchaînement de manœuvres de déstabilisation, d’influence et de lobbying de la part des grands acteurs du nickel.
Ainsi, en Juillet 2005 paraissait le rapport Duthilleul sur la faisabilité du projet de l’usine du nord par le canadien Falconbridge. Il faisait état d’un manque de ressources nécessaires pour la réalisation de l’usine du nord par le canadien. Dans le même de temps, Françis Mer, ancien Ministre de l’économie entrait au conseil d’administration du canadien Inco qui lancera peu après une OPA amicale sur son compatriote Falconbridge…à quelques jours seulement de l’échéance prévue du 31 Décembre 2005 et sachant que c’est Françis Mer lui-même qui avait commandité Anne Duthilleul pour la rédaction de son rapport.
Lorsque la co-entreprise entre Falconbridge et la société calédonienne SMSP a été formée pour la réalisation de l’usine du nord, Brian Kenny, acteur important de l’activité industrielle mondiale puisqu’il a été Président de Bechtel Canada (société financée par le fonds d’investissement Carlyle) a été directement propulsé à sa tête, orientant ainsi l’influence dans la gestion de la structure au bénéfice du nord-américain.
Se plaçant dans une relation d’hésitation, Eramet rappelle à l’Etat français le bien-fondé de sa volonté de prendre en charge le projet d’usine du nord en agitant le drapeau du patriotisme économique. Cet argumentaire a récemment trouvé un écho négatif dans les mots du Ministre de l’Outre-Mer qui a rappelé que le respect des engagements de l’Etat sur ses territoires était un gage de patriotisme économique. Dans ce contexte, l’attribution du marché à Falconbridge ne représente-t-elle pas une ingérence dans l’économie française, dans la mesure où il ne paraît pas anormal de soutenir les projets économiques nationaux ?
Tout au long de l’année 2005 et, de façon bien plus prononcée, la SLN a subit nombre de déstabilisations et a encaissé plusieurs conflits syndicaux violents, notamment en Novembre dernier avec la CST-NC suite auquel plusieurs milliards de francs ont été perdus, conduisant Luc Auffret, alors PDG de la SLN à donner sa démission alors que le Ministre de l’Outre-Mer posait la première pierre à l’ouvrage que sera l’usine du nord. Quelques jours plus tard, c’est au tour d’Yves Rambaud, ancien PDG d’Eramet et administrateur de la SLN d’appuyer les explications de sa démission du conseil d’administration de la SLN sur l’absence de prise en compte des intérêts calédoniens dans la réalisation de l’usine du nord par le canadien Falconbridge. M. Bacardats serait-il assis sur un siège éjectable ?
En parallèle de ces signaux forts, Pierre Alla se voit nommé PDG de la SLN. Remplaçant ainsi Luc Auffret, cet ancien Président de Goro Nickel (filiale d’Inco) se voit placer au centre d’un système d’influence dont l’inertie pourrait modifier durablement les interactions des acteurs en présence.
Au vu des faits ci-dessus, il est possible d’établir plusieurs scenarii stratégiques suivis par chaque organisation.
Inco pourrait tenter de verrouiller l’environnement du nickel en Nouvelle-Calédonie afin de voir ses intérêts satisfaits dans le dossier calédonien lui garantissant une pérennité certaine dans les années à venir.
Dans ce cas, et suivant cette grille de lecture, l’analyse des évènements démontre une stratégie de lobbying orchestrée de longue date pour parvenir à ses fins. Sur cet échiquier concurrentiel, Francis Mer pourrait avoir été coopté au conseil d’administration d’Inco pour l’influence qu’il a eu et qu’il conserve dans les milieux politico-financiers français, notamment pour contrer l’influence du rapport Duthilleul, qu’il avait, comble de l’ironie, commandité quelques années auparavant dans un contexte, alors bien différent.
L’OPA amicale d’Inco sur Falconbridge arriverait afin de perturber les interactions entre acteur au moment où Falconbridge semblait en perte de vitesse financièrement et jouir d’une image peu transparente pour se voir attribuer le massif du Koniambo.
Enfin, Pierre Alla pourrait ainsi être vu comme un relais d’influence supplémentaire au sein même de la structure d’Eramet
Eramet, à son tour, aurait très bien pu faire preuve de mouvements stratégiques dissimulés :
A ce titre, elle aurait pu adopter une stratégie de « remise en cause » systématique de l’Etat français destinée à repousser l’échéance de Décembre 2005, ou du moins à la gêner afin de pénaliser indirectement Falconbridge et de peser dans la balance étatique.
Le recrutement de Pierre Alla, pourrait aussi être un « coup de force » du français pour bénéficier des connaissances et de l’influence de l’ancien président de Goro Nickel, dans un échiquier économique en pleine transformation. En outre, le moment choisi pour l’annonce de la démission de Luc Auffret pourrait être porteur d’un message dans la mesure où cela coïncide parfaitement avec le départ du Ministre de l’Outre-Mer vers la Métropole, ce dernier ayant réaffirmé sur le Territoire que l’Etat français avait fait preuve de « patriotisme économique en ayant respecté ses engagements avec le canadien Falconbridge ».
Enfin, la démission concomitante d’Yves Rambaud, dans un effet d’annonce conjugué avec celle de Luc Auffret, accroît la pression stratégique sur une mise en cause de l’Etat français, dans la mesure où M. Rambaud jouissait d’une position particulièrement influente dans le secteur industriel en question.
La prochaine action d’influence, qui pourrait venir du canadien Falconbridge, en réponse indirecte au recrutement de Pierre Alla à la tête de la SLN, pourra certainement nous éclairer quant au futur dénouement que connaîtra l’affaire du nickel.
Vers une « économie d’échelle »
L’économie d’échelle, dans son acception économique, désigne une ressource supplémentaire dégagée par le rapprochement de deux entreprises devenues partenaires dans une optique bien circonscrite…
Dans une acception plus stratégique, cela pourrait désigner une stratégie réciproque de deux entités mettant en place des moyens toujours plus développés que l’autre afin de duper son adversaire sur ses propres intentions…
Aujourd’hui, la situation semble davantage correspondre à la seconde définition…La problématique est posée, mais à ce stade de l’affaire, et compte tenu de la puissance d’influence de chacun des acteurs en présence et de la rapidité de mutation de l’environnement, il faut garder à l’esprit que toute analyse possède un caractère spéculatif dont il faut savoir se garder.
Jean-Christophe Debarge
Benoit de La Bourdonnaye
Après l’échéance du 31 Décembre dernier sur les prises de positions des grands acteurs du nickel calédonien sur le projet d’usine du nord en Calédonie, le paysage minier ressent plus que jamais les mouvements stratégiques que lui imposent ses principales industries, présentes ou non sur le Territoire. Ainsi, les antagonismes entre le canadien Falconbridge et le français SLN (filiale d’Eramet) ne cessent d’être alimentés par les atouts régulièrement sortis des mains de l’une ou l’autre des organisations. En outre, le contexte n’est pas simplifié par l’OPA lancée par le groupe Inco (déjà présent dans le sud de la Calédonie via sa filiale Goro Nickel) sur son compatriote Falconbridge. Ce dernier est le bénéficiaire, via la SMSP (société minière dans le nord de la Grande Terre) des titres de propriété du massif du Koniambo, futur site d’exploitation de l’usine du nord.
La grille de lecture de l’environnement présente ainsi des nœuds de complexité de plus en plus nombreux.Le projet d’usine du nord implique directement ou non, l’ensemble des acteurs du nickel calédonien, l’Etat français y compris. Les accords de Bercy en 1998 prévoyaient l’allocation du massif du Koniambo à Falconbridge sous certaines conditions, notamment un engagement irrévocable de réaliser l’usine du nord de la part du canadien. Depuis le 31 Décembre 2005, le Koniambo est entré dans l’escarcelle du canadien Falconbridge, l’Etat français souhaitant avant tout réajuster le déséquilibre social et économique entre le sud (plus riche) et le nord de la dernière pépite économique française, la Nouvelle-Calédonie, sans se préoccuper au premier plan de la nationalité des acteurs en présence.
Les facteurs industriels et technologiques (dans l’extraction du minerai), humains (connaissances et compétences des hommes), financiers (modes de financement des projets) et surtout informationnels (communication et influence) constituent la doctrine même de cette guerre économique Calédonienne. Les moyens déployés et mis en œuvre par chacun des acteurs s’inscrivent tous dans des stratégies bien définies qu’il est possible de décrypter et d’analyser.
Des manoeuvres ponctuelles … des stratégies parallèles
Sur fond politico-économique, les miniers pratiquent avec pertinence et efficacité une guerre économique basée sur l’influence et la déstabilisation réciproque. L’analyse et la conjugaison des artifices déployés permettent de soulever les problématiques essentielles dans le dossier du minerai vert.
Chronologiquement, l’analyse des faits prend sa source dans des raisons lointaines, mais se réfère à des causes immédiates dans la déclinaison des stratégies des acteurs… on assiste à un véritable enchaînement de manœuvres de déstabilisation, d’influence et de lobbying de la part des grands acteurs du nickel.
Ainsi, en Juillet 2005 paraissait le rapport Duthilleul sur la faisabilité du projet de l’usine du nord par le canadien Falconbridge. Il faisait état d’un manque de ressources nécessaires pour la réalisation de l’usine du nord par le canadien. Dans le même de temps, Françis Mer, ancien Ministre de l’économie entrait au conseil d’administration du canadien Inco qui lancera peu après une OPA amicale sur son compatriote Falconbridge…à quelques jours seulement de l’échéance prévue du 31 Décembre 2005 et sachant que c’est Françis Mer lui-même qui avait commandité Anne Duthilleul pour la rédaction de son rapport.
Lorsque la co-entreprise entre Falconbridge et la société calédonienne SMSP a été formée pour la réalisation de l’usine du nord, Brian Kenny, acteur important de l’activité industrielle mondiale puisqu’il a été Président de Bechtel Canada (société financée par le fonds d’investissement Carlyle) a été directement propulsé à sa tête, orientant ainsi l’influence dans la gestion de la structure au bénéfice du nord-américain.
Se plaçant dans une relation d’hésitation, Eramet rappelle à l’Etat français le bien-fondé de sa volonté de prendre en charge le projet d’usine du nord en agitant le drapeau du patriotisme économique. Cet argumentaire a récemment trouvé un écho négatif dans les mots du Ministre de l’Outre-Mer qui a rappelé que le respect des engagements de l’Etat sur ses territoires était un gage de patriotisme économique. Dans ce contexte, l’attribution du marché à Falconbridge ne représente-t-elle pas une ingérence dans l’économie française, dans la mesure où il ne paraît pas anormal de soutenir les projets économiques nationaux ?
Tout au long de l’année 2005 et, de façon bien plus prononcée, la SLN a subit nombre de déstabilisations et a encaissé plusieurs conflits syndicaux violents, notamment en Novembre dernier avec la CST-NC suite auquel plusieurs milliards de francs ont été perdus, conduisant Luc Auffret, alors PDG de la SLN à donner sa démission alors que le Ministre de l’Outre-Mer posait la première pierre à l’ouvrage que sera l’usine du nord. Quelques jours plus tard, c’est au tour d’Yves Rambaud, ancien PDG d’Eramet et administrateur de la SLN d’appuyer les explications de sa démission du conseil d’administration de la SLN sur l’absence de prise en compte des intérêts calédoniens dans la réalisation de l’usine du nord par le canadien Falconbridge. M. Bacardats serait-il assis sur un siège éjectable ?
En parallèle de ces signaux forts, Pierre Alla se voit nommé PDG de la SLN. Remplaçant ainsi Luc Auffret, cet ancien Président de Goro Nickel (filiale d’Inco) se voit placer au centre d’un système d’influence dont l’inertie pourrait modifier durablement les interactions des acteurs en présence.
Au vu des faits ci-dessus, il est possible d’établir plusieurs scenarii stratégiques suivis par chaque organisation.
Inco pourrait tenter de verrouiller l’environnement du nickel en Nouvelle-Calédonie afin de voir ses intérêts satisfaits dans le dossier calédonien lui garantissant une pérennité certaine dans les années à venir.
Dans ce cas, et suivant cette grille de lecture, l’analyse des évènements démontre une stratégie de lobbying orchestrée de longue date pour parvenir à ses fins. Sur cet échiquier concurrentiel, Francis Mer pourrait avoir été coopté au conseil d’administration d’Inco pour l’influence qu’il a eu et qu’il conserve dans les milieux politico-financiers français, notamment pour contrer l’influence du rapport Duthilleul, qu’il avait, comble de l’ironie, commandité quelques années auparavant dans un contexte, alors bien différent.
L’OPA amicale d’Inco sur Falconbridge arriverait afin de perturber les interactions entre acteur au moment où Falconbridge semblait en perte de vitesse financièrement et jouir d’une image peu transparente pour se voir attribuer le massif du Koniambo.
Enfin, Pierre Alla pourrait ainsi être vu comme un relais d’influence supplémentaire au sein même de la structure d’Eramet
Eramet, à son tour, aurait très bien pu faire preuve de mouvements stratégiques dissimulés :
A ce titre, elle aurait pu adopter une stratégie de « remise en cause » systématique de l’Etat français destinée à repousser l’échéance de Décembre 2005, ou du moins à la gêner afin de pénaliser indirectement Falconbridge et de peser dans la balance étatique.
Le recrutement de Pierre Alla, pourrait aussi être un « coup de force » du français pour bénéficier des connaissances et de l’influence de l’ancien président de Goro Nickel, dans un échiquier économique en pleine transformation. En outre, le moment choisi pour l’annonce de la démission de Luc Auffret pourrait être porteur d’un message dans la mesure où cela coïncide parfaitement avec le départ du Ministre de l’Outre-Mer vers la Métropole, ce dernier ayant réaffirmé sur le Territoire que l’Etat français avait fait preuve de « patriotisme économique en ayant respecté ses engagements avec le canadien Falconbridge ».
Enfin, la démission concomitante d’Yves Rambaud, dans un effet d’annonce conjugué avec celle de Luc Auffret, accroît la pression stratégique sur une mise en cause de l’Etat français, dans la mesure où M. Rambaud jouissait d’une position particulièrement influente dans le secteur industriel en question.
La prochaine action d’influence, qui pourrait venir du canadien Falconbridge, en réponse indirecte au recrutement de Pierre Alla à la tête de la SLN, pourra certainement nous éclairer quant au futur dénouement que connaîtra l’affaire du nickel.
Vers une « économie d’échelle »
L’économie d’échelle, dans son acception économique, désigne une ressource supplémentaire dégagée par le rapprochement de deux entreprises devenues partenaires dans une optique bien circonscrite…
Dans une acception plus stratégique, cela pourrait désigner une stratégie réciproque de deux entités mettant en place des moyens toujours plus développés que l’autre afin de duper son adversaire sur ses propres intentions…
Aujourd’hui, la situation semble davantage correspondre à la seconde définition…La problématique est posée, mais à ce stade de l’affaire, et compte tenu de la puissance d’influence de chacun des acteurs en présence et de la rapidité de mutation de l’environnement, il faut garder à l’esprit que toute analyse possède un caractère spéculatif dont il faut savoir se garder.
Jean-Christophe Debarge
Benoit de La Bourdonnaye