Loi DADVSI : Apple et gouvernement américain main dans la main ?

Le secrétaire au Commerce du gouvernement américain, Carlos Gutierrez, s’est exprimé sur la chaîne de télévision CNBC au sujet de la nouvelle loi française sur les droits d’auteurs numériques, plus connue sous le nom de loi DADVSI (1). A cette occasion, M. Gutierrez a apporté son soutien à la société Apple, qui s’inquiète particulièrement de l’article 7 (2) de cette loi.


Cet article gère les Mesures Techniques de Protection, plus connues sous le nom de DRM (Digital Right Management), qui permettent d’empêcher ou de limiter les utilisations non autorisées de l’œuvre, dans le respect de son utilisation. Ceci peut se concrétiser par un code d'accès, un cryptage, un brouillage ou tout autre mécanisme de contrôle de la copie réputé efficace. Mais dans un second temps, l’article précise que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en œuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur». Pour ce faire, il donne aux fournisseurs de mesures techniques la responsabilité de la mise à disposition de toutes les données nécessaires à l’interopérabilité. Dans l’esprit du texte, cela suppose qu’un diffuseur de contenu protégé devra fournir « toute la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires pour obtenir dans un standard ouvert, une copie d'une reproduction protégée par une mesure technique, et une copie des informations sous forme électronique jointes à cette reproduction. ».

La société Apple est devenue leader mondial de la musique en ligne, en s’appuyant sur le baladeur IPod et son logiciel associé ITunes, qui permet également l’achat de musique en ligne. L’ensemble est protégé par un DRM très efficace, appelé FairPlay et les fichiers achetés sur le Apple Music Store sont downloadés dans un format ne permettant pas de les lire sur un lecteur MP3 d’une autre marque. L’application de l’article 7 permettrait au logiciel d’être utilisé avec des baladeurs MP3 de marques concurrentes. La société craint que la mise en œuvre de cette loi aboutisse à « du piratage parrainé par l’Etat » et que les ventes de musique en ligne ne s’effondrent. Les analystes estiment que la société pourrait se retirer du marché français. Ce marché ne représente pourtant que 2% de ses ventes, contre 80% pour les Etats-Unis.

Pourquoi une prise de position d’une telle ampleur par rapport au faible rapport de ce marché? L’article 7 a été soutenu par des députés favorables au logiciel libre, dans le but de garantir les droits des auteurs et des utilisateurs de ces logiciels, et donc d’une libre concurrence dans le domaine du logiciel. Il est intéressant de noter que ce seul article a déclenché la polémique aux Etats-Unis et soulevé dans les médias américains la question de la viabilité des DRM propriétaires, bien au-delà de la question du téléchargement qui focalise l’attention des médias. Le Secrétaire d’Etat américain a pris position pour soutenir Apple, estimant que les sociétés concernées doivent défendre leur droit à la propriété intellectuelle. A ce titre, et selon lui, la loi doit être soigneusement examinée. Carlos Gutierrez a également indiqué que la propriété intellectuelle ne pourrait être garantie qu’au niveau mondial. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement américain se positionne sur ces questions. Dès 1993, l’administration Clinton lance un groupe de travail, chargé d’étudier la protection de la propriété intellectuelle américaine à l’ère numérique, aux niveaux nationaux et internationaux. Les résultats du travail de ce groupe donnent naissance en 1995 à un texte de loi, dont les dispositions les plus controversées sont reprises dès 1996 par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). En 1998, l’administration Clinton finalise le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), qui implémente aux Etats-Unis le traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle. Ce texte pénalise fortement le contournement des dispositifs de protection et est dénoncé depuis sa mise en application par les utilisateurs américains. Le traité de l’OMPI a été transposé par l’Union Européenne sous la forme de l’European Union Copyright Directive (EUCD) : cette directive va plus loin que le DMCA. C’est cette directive que l’Assemblée Nationale essaie aujourd’hui de transposer en France (DADVSI). L’article 7 de cette loi relance le débat aux Etats-Unis. Dans une interview publiée dans le San Francisco Chronicle (3), Gigi Sohn, présidente de Public Knowledge (4), soutient l’article 7, qui est selon elle « un pas dans la bonne direction ».

A la question « Est-ce qu’il s’agit à votre avis de soutenir le piratage ? », elle répond qu’il s’agit surtout de soutenir la concurrence, ce qui est à l’origine des objections d’Apple. L’intervention du gouvernement américain dans ces problématiques n’est donc pas fortuite. Dans une logique proche de celle qui préside à la mise en place des normes comptables IFRS, il semblerait que nous assistions à une véritable opération d’influence normative. Le débat public, plus que nécessaire à la compréhension de ces enjeux, n’a pourtant pu s’ouvrir en France que sous la pression combinée de la communauté du logiciel libre, issue de la société civile et de quelques députés déjà sensibilisés à ces questions et qui sont d’ailleurs à l’origine de l’article 7. Les pouvoirs publics et une majorité d’hommes politiques français ont démontré lors des débats leur faible compréhension des technologies de l’information et des enjeux d’indépendance technologique qu’elles recouvrent.

Julie Rouzaud
Hub Du Libre
(http://www.hubdulibre.org)

(1) Voté à l’Assemblée par 296 voix contre 193, ce projet doit maintenant être examiné au Sénat.
(2) Le texte intégral de cet article est disponible sur le site de l’Assemblée : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r2973.asp
(3) http://www.sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?f=/c/a/2006/03/26/BUG4CHTPEF1.DTL (en anglais)
(4) Groupement d’intérêt basé à Washington, travaillant sur les droits des consommateurs et les nouvelles technologies de l’information.