On aura tout entendu sur le rapprochement Gaz de France-Suez. Au-delà des réactions syndicales, somme toute légitimes, qui se retrouvent devant le fait accompli (comme la France et l’Europe, d’ailleurs !!) et journalistiques, se lamentant d’un retour à l’économie administrée et d’un nouveau NON à l’Europe, cette fusion doit être vue dans un cadre géostratégique. La crise sur l’approvisionnement en gaz russe cet hiver a montré la volonté du Kremlin et de son bras armé, Gazprom, de mettre en coupe réglée l’Europe dans son ensemble, premier marché énergétique mondial. Cet événement, semblable à un acte de guerre (1), a permis, d’une part, d’affermir la mainmise gazière russe sur les PECO et, d’autre part, de montrer à l’Europe de l’Ouest sa quasi-dépendance actuelle et surtout future en gaz russe. De plus, la visite de Vladimir Poutine, ces derniers jours en Algérie a lancé les bases d’une coopération approfondie entre Gazprom et Sonatrach, la compagnie gazière algérienne. Nul doute que l’objectif est de se réserver à terme le marché européen, d’empêcher toute diversification des approvisionnements (2) et d’être pricemaker.
Aux journalistes stigmatisant l’échec de l’Europe de l’énergie, il serait bon de rappeler que la seule politique européenne, ces dernières années dans ce domaine, aura été la libéralisation du secteur afin de mettre fin aux monopoles nationaux ce qui devait faire baisser les prix. Or, le contraire s’est produit. Face à une Europe arc-boutée sur le libéralisme, la Russie réalisait le contraire en centralisant la question énergétique via Gazprom. Avec un fournisseur russe qui monte en puissance, une production en mer du Nord, aux Pays-Bas et en Norvège qui stagne, voire baisse, difficile d’avoir un marché énergétique européen optimal.
La course aux actifs est donc engagée : contre OPA de E.ON Ruhrgas sur ENDESA alors que Gas Natural en a déjà lancé une contre attaque possible de ENEL sur Suez comme semblent l’accorder des rumeurs milanaises, bruits sur un possible rachat de Centrica par un opérateur non anglais (Gazprom serait sur les rangs)…
A terme selon certains experts, seulement quatre à cinq opérateurs gaz/électricité devraient survivre en Europe. Et pour une fois, la France est bien placée avec EDF et GDF-Suez. Pourtant, il ne faut pas se le cacher : l’Europe des 25 gagnerait à parler d’une seule voix afin de retrouver des marges de manœuvre face aux fournisseurs gaziers actuels.
Augustin Roch
1 – A ce titre, les Etats-Unis réalisent la même chose avec la Chine en contrôlant les réserves irakiennes. La réponse de la Chine est, entre autres, de ne pas prendre part au dossier du nucléaire iranien, Téhéran et Pékin étant partenaires de la valorisation des hydrocarbures iraniens. De plus, la Chine mène une politique agressive d’achats d’actifs pétrogaziers ailleurs dans le monde, afin d’assurer son approvisionnement.
2 – Ainsi, Gazprom accentue son emprise en Asie Centrale. Le gaz turkmène, kazakh et ouzbek ne pouvant être exporté que via le réseau gazier russe, dirigé par Gazexport, filiale de Gazprom et dont le PDG est Alexei Medvedev, chef de l’administration du Kremlin et successeur potentiel de Poutine à la présidence.