Les stratégies d'influence du Royaume-Uni au sein des institutions européennes
L’échec de la candidature de Paris face à Londres pour les Jeux Olympiques de 2012 a mis en évidence une nouvelle fois l’efficacité des stratégies d’influence déployées par le Royaume-Uni; et ce particulièrement en vue de la « supériorité incontestable » au plan technique de la candidature parisienne. L’objet de cet article est de mettre en exergue la permanence des stratégies de puissance du Royaume-Uni sur la scène européenne ainsi que les moyens utilisés à cette fin. En effet, le Royaume-Uni qui sur l’échiquier géostratégique se place à la fois (du fait de son histoire et de sa culture) du coté des Etats-Unis mais aussi et de façon croissante sur la scène européenne a mis en place une stratégie étatique cohérente et concertée afin de défendre au mieux ses intérêts à Bruxelles. L’étude des positions britanniques sur les dossiers européens révèle, contrairement aux idées reçus, une cohérence et une forme d’unité nationale dépassant les clivages politiques nationaux. Le caractère national, plutôt que politique de ces positions, confirme la pertinence d’une analyse basée sur l’étude des stratégies de puissance britanniques au sein des institutions communautaires.
La position du Royaume-Uni et de ses représentants à Bruxelles ne joue pourtant pas forcement en sa faveur (1) : peu soutenue par une opinion publique et une classe politique désintéressée et souvent défiante vis-à-vis des questions européennes. Le Royaume-Uni semble souffrir d’un déficit de légitimité aux yeux de ces partenaires (notamment la France et l’Allemagne qui ont depuis longtemps et de façon claire affiché leur ancrage européen) en raison de sa proximité avec Washington et de ses positions passées sur la construction européenne (le refus de l’Euro en est un exemple). Néanmoins le Royaume Uni a su tirer parti de cette relative faiblesse en usant des moyens appropriés à sa situation; et ce afin de défendre son modèle socio-économique, son indépendance, notamment sur le plan de la défense. En effet, le Royaume-Uni a déployé à Bruxelles des stratégies d’influence souvent très efficaces pour défendre le modèle Anglo-Saxon. En témoigne, la composition de la dernière Commission où la France n’a hérité que d’un seul portefeuille, celui des transports mais amputé de l’énergie, et où dans le même temps les trois postes clés ont été attribués à trois libéraux (une Néerlandaise, un Britannique et un Irlandais). De même, bien que le français soit toujours une des langues officielles de travail avec l’allemand et l’anglais, il semble que ce dernier s’impose au détriment du français, plus de la moitié des nouveaux commissaires ne maîtrisant pas le français.
Dans un article intitulé Triomphant malgré lui ? Le Royaume-Uni et l'émergence d'une Europe anglo-saxonne, Anand Menon, maître de conférences en politique européenne à l'université d'Oxford, présente de façon très précise les techniques et les mécanismes administratifs employés par les britanniques pour défendre leur conception de l’Europe : «A travers le double mécanisme du secrétariat européen au sein du gouvernement européen à Londres et de la représentation permanente à Bruxelles (United Kingdom Representation UKREP), les dissensions interministérielles autour des positions à adopter sur les projets de lois de la Commission sont aplanies. Les représentants britanniques sont réputés pour leur présentation, au sein du Conseil des ministres de l'Union, de positions politiques cohérentes et soigneusement coordonnées. Londres a aussi mis en place des mécanismes efficaces pour rassembler des informations à propos de la Commission européenne et pour faire pression sur elle. L'UKREP se trouve au centre d'un réseau de collecte de données à Bruxelles qui fournit des informations nombreuses et opportunes sur les négociations en cours et les projets de loi de la Commission ».
En dehors de ses structures étatiques, le Royaume-Uni bénéfice du pouvoir d’influence de ces «think tanks », très présent à Bruxelles; ces centres de réflexion issus de la tradition anglaise jouissent d’une excellente réputation auprès de commissaires européens à la recherche de nouvelles idées. Composés de chercheurs de haut niveau, publiant en anglais des notes sur la plupart des questions européennes, les « think tanks » anglo-saxons -notamment le Center for European Reform de Charles Grant, le CEPS (Center for European Policy Studies), le European Policy Center, le Friends of Europe, dirigé par un ancien journaliste du « Financial Times », ou l'ICG, dont l'ex-commissaire britannique Chris Patten vient d'être nommé président- ont véritablement façonné le système politique communautaire.
L’approche britannique de l’influence se base sur la production d’idées simples, concrètes et faciles à retenir, issues d’une vision pragmatique des problèmes (par opposition à la France plus empreinte aux idées générales) ; de même l’approche britannique dite de « bottom up » (c'est-à-dire la propagation d’idées sur le terrain) semble plus efficace que l’approche française dite de « Top down » (influencer le sommet).
Ainsi, le Royaume-Uni, malgré « l’ambiguïté » de sa classe politique et de son engagement européen, a réussi à façonner l’intégration européenne en fonction de ses intérêts, en particulier dans les domaines de la défense et des politiques socio-économiques. La réussite de cette stratégie de puissance basée sur l’influence et les techniques de « guerre cognitive » révèle la nécessité pour la France de reformuler les outils de sa puissance sur la scène européenne.
Louis Audibert
(1) Sur les 22190 fonctionnaires européens, 2505 sont des français, 2683 sont italiens contre seulement 1456 Britanniques.
La position du Royaume-Uni et de ses représentants à Bruxelles ne joue pourtant pas forcement en sa faveur (1) : peu soutenue par une opinion publique et une classe politique désintéressée et souvent défiante vis-à-vis des questions européennes. Le Royaume-Uni semble souffrir d’un déficit de légitimité aux yeux de ces partenaires (notamment la France et l’Allemagne qui ont depuis longtemps et de façon claire affiché leur ancrage européen) en raison de sa proximité avec Washington et de ses positions passées sur la construction européenne (le refus de l’Euro en est un exemple). Néanmoins le Royaume Uni a su tirer parti de cette relative faiblesse en usant des moyens appropriés à sa situation; et ce afin de défendre son modèle socio-économique, son indépendance, notamment sur le plan de la défense. En effet, le Royaume-Uni a déployé à Bruxelles des stratégies d’influence souvent très efficaces pour défendre le modèle Anglo-Saxon. En témoigne, la composition de la dernière Commission où la France n’a hérité que d’un seul portefeuille, celui des transports mais amputé de l’énergie, et où dans le même temps les trois postes clés ont été attribués à trois libéraux (une Néerlandaise, un Britannique et un Irlandais). De même, bien que le français soit toujours une des langues officielles de travail avec l’allemand et l’anglais, il semble que ce dernier s’impose au détriment du français, plus de la moitié des nouveaux commissaires ne maîtrisant pas le français.
Dans un article intitulé Triomphant malgré lui ? Le Royaume-Uni et l'émergence d'une Europe anglo-saxonne, Anand Menon, maître de conférences en politique européenne à l'université d'Oxford, présente de façon très précise les techniques et les mécanismes administratifs employés par les britanniques pour défendre leur conception de l’Europe : «A travers le double mécanisme du secrétariat européen au sein du gouvernement européen à Londres et de la représentation permanente à Bruxelles (United Kingdom Representation UKREP), les dissensions interministérielles autour des positions à adopter sur les projets de lois de la Commission sont aplanies. Les représentants britanniques sont réputés pour leur présentation, au sein du Conseil des ministres de l'Union, de positions politiques cohérentes et soigneusement coordonnées. Londres a aussi mis en place des mécanismes efficaces pour rassembler des informations à propos de la Commission européenne et pour faire pression sur elle. L'UKREP se trouve au centre d'un réseau de collecte de données à Bruxelles qui fournit des informations nombreuses et opportunes sur les négociations en cours et les projets de loi de la Commission ».
En dehors de ses structures étatiques, le Royaume-Uni bénéfice du pouvoir d’influence de ces «think tanks », très présent à Bruxelles; ces centres de réflexion issus de la tradition anglaise jouissent d’une excellente réputation auprès de commissaires européens à la recherche de nouvelles idées. Composés de chercheurs de haut niveau, publiant en anglais des notes sur la plupart des questions européennes, les « think tanks » anglo-saxons -notamment le Center for European Reform de Charles Grant, le CEPS (Center for European Policy Studies), le European Policy Center, le Friends of Europe, dirigé par un ancien journaliste du « Financial Times », ou l'ICG, dont l'ex-commissaire britannique Chris Patten vient d'être nommé président- ont véritablement façonné le système politique communautaire.
L’approche britannique de l’influence se base sur la production d’idées simples, concrètes et faciles à retenir, issues d’une vision pragmatique des problèmes (par opposition à la France plus empreinte aux idées générales) ; de même l’approche britannique dite de « bottom up » (c'est-à-dire la propagation d’idées sur le terrain) semble plus efficace que l’approche française dite de « Top down » (influencer le sommet).
Ainsi, le Royaume-Uni, malgré « l’ambiguïté » de sa classe politique et de son engagement européen, a réussi à façonner l’intégration européenne en fonction de ses intérêts, en particulier dans les domaines de la défense et des politiques socio-économiques. La réussite de cette stratégie de puissance basée sur l’influence et les techniques de « guerre cognitive » révèle la nécessité pour la France de reformuler les outils de sa puissance sur la scène européenne.
Louis Audibert
(1) Sur les 22190 fonctionnaires européens, 2505 sont des français, 2683 sont italiens contre seulement 1456 Britanniques.