La main mise des États-Unis sur le réseau des réseaux est pour ces derniers un enjeu de « politique nationale », comme le démontre leur refus, lors du sommet de Tunis en Novembre 2005, de placer sous l’égide de l’O.N.U. le contrôle de l’Internet. Cette demande fût, entre autre, initiée par l’Europe, qui reçue comme seul écho une mise en garde contre une « supervision lourde et bureaucratique » de la part des États-Unis. On peut s’interroger sur les faits qui attestent de cette politique et la stratégie que pourrait mettre en place l’Union Européenne afin de jouer pleinement son rôle de puissance dont l’information est un des principaux éléments.ICANN : indépendante ou cheval de Troie ?
Cet organisme gouvernemental américain dépend directement du Ministère du Commerce. L’ICANN est à but non lucratif et de droit californien, ce qui implique, dans le système juridique Américain, qu’il soit soumis à l’autorité de l’Attorney général (ministre de la Justice) de cet État. Les décisions prisent au sein de l’ICANN, qu’elles soient techniques ou normatives (standardisation des protocoles…), s’imposent de facto aux autres Nations. Le conseil d’administration de l’ICANN est constitué pour 1/3 par la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), 1/3 de la société civile nommée par l’ICANN, 1/3 de représentants de la Chambre de Commerce Américaine. Cette dernière disposant du droit de retirer la gestion des noms de domaines à l’ICANN.
Néanmoins, un nouveau « standard » ou évolution technique ne peut être proposé que par certains « organismes »à savoir l’I.E.T.F.(Internet Engineering Task Force), W3C (World Wilde Web Consortium qui est fortement noyauté par Microsoft). Par ailleurs, un protocole d’accord établi entre le gouvernement Américain et l’ICANN concerne le registre des noms de domaine et permet à l’ICANN de s’affranchir davantage du Ministère du Commerce.
L’ICANN peut décider avec la bénédiction de Washington de rayer du réseau certains noms de domaines tels que « .ly » (Libye) ou « .ir » (Iran) rendant tout site de ces États inaccessibles et par conséquent toutes communications pour des raisons économiques, polique et/ou militaires, comme ce fût le cas de la Libye qui en fît, malencontreusement, l’expérience.
Washington, sous la pression de groupes catholiques, est intervenu lors du débat concernant le nom de domaine « .xxx » destiné à l’industrie pornographique qui, d’après « ICM Registry » par la voix de son fondateur Jason Hendeles, « existe depuis longtemps et se développe dans le monde entier, mais fait son possible pour lutter contre la pornographie infantile ». A cette occasion, la pression exercée par les groupes religieux sur Washington n’est pas sans remettre en cause l’indépendance supposée de l’ICANN. En effet, suite à cette pression le nom de domaine « .xxx » n’a pas été autorisé. Ainsi, ne sommes nous pas en droit de nous interroger sur la neutralité supposée du gouvernement américain et les priorités qui dominent les questions de la régulation de l’Internet et notamment entre lutter contre la « pornographie infantile » et le fait d’attribuer un domaine réservé à l’industrie pornographique.
Cette main mise des États-Unis, par procuration, sur le réseau des réseaux, sur sa gouvernance sur sa « technicité » implique à la fois un contrôle de l’information sa maîtrise, élément essentiel dans le contexte de guerre économique actuel, ainsi que sa libre diffusion, sa sécurisation et circulation.
L’Internet symbole de partage serait-il la propriété d’un seul ?
La gouvernance de l’Internet par le biais de l’ICANN et son statut offre une véritable arme stratégique aux États-Unis : la maîtrise de la circulation de l’information.
L’attribution des adresses Internet (I.P.) renforce ce pouvoir. En effet, la limitation (en nombre) de cette attribution à un pays tend à le limiter dans son accès et sa diffusion de l’information. En outre, L’ICANN charge des entreprises de la gestion des « serveurs racines » ce qui permet d’avoir accès à l’ensemble du trafic Internet. De plus, 10 des 13 « serveurs racines » sont aux États-Unis et gérés par des entreprises américaines. Ainsi combinées l’attribution des adresses Internet et la gestion des « serveurs racines » permettent de connaître en temps réel les flux d’informations pays par pays. Nous pouvons nous étonner du fait que le directeur d’un groupe de travail concernant les normes Internet soit employé de « Verisign » société américaine chargée de la gestion d’un « serveur racine ».
Un des enjeux stratégiques de la maîtrise de l’Internet réside en ce que les « standards » en vue du bon fonctionnement du réseau des réseaux s’imposent de fait aux acteurs de l’Internet. Les « standards » constituent de véritables « barrières à l’entrée » et sont un vecteur d’influence dans les secteurs que sont les communications, les systèmes d’informations, la sécurisation des informations et leur transmission.
Face à cette situation et les enjeux que recouvre la gestion de l’Internet, l’Europe et la Chine souhaitent voir se déplacer au profit des Nations Unies la gouvernance du réseau des réseaux.
Pilier essentiel de la puissance des Etats-Unis, la puissance informationnelle, est aujourd’hui remise en question par l’Europe et la Chine, entre autres, ce qui démontre l’enjeu stratégique que le contrôle de l’Internet constitue. Les États-Unis ne souhaitent pas qu’un organisme tel que l’O.N.U. en acquière la gestion, position renforcée et clairement énoncée par les propos de la secrétaire d’État Condoleezza Rice mettant en garde contre une « supervision lourde et bureaucratique ».
La chine quant à elle « [estime] que le problème de politique publique de l'Internet devrait être résolu conjointement par les États souverains dans le cadre des Nations Unies. Par exemple, les spams, la sécurité du réseau et le cyberespace – [Ces États souverains devraient] créer une agence spécialisée des Nations Unies comme corps compétent ».
Les États-Unis veulent conserver leur rôle historique dans la gestion de l’Internet. David Gross, ambassadeur et coordinateur de la politique de la communication et de l'information des États-Unis au niveau international a déclaré lors du sommet de Tunis (Novembre 2005) qu’il ne s’agissait nullement « d’un problème de négociation» mais « d’une question de politique nationale » qui préserve et assure leur liberté informationnelle.
On peut s’interroger sur la manière dont les États-Unis réagiraient face à une remise en question de leur main mise sur Internet et les conséquences liées à l’apparition et la crédibilité d’un organisme ou une société tel que « UnifiedRoot ». Cette dernière « clone » le rôle de l’ICANN dans les aspects matériel (Cette société dispose de 13 « serveurs racines » dont seuls 3 se trouvent aux Etats-Unis) ou immatériel (enregistrement des noms de domaines personnalisés…).
Par ailleurs, peut on envisager une stratégie de puissance Européenne orchestrée via la société « UnifiedRoot » jouant le rôle de l’ICANN au niveau Européen?
Peut on imaginer la une mise en place d’une collaboration entre les différents instituts de recherche nationaux tels que l’INRIA en France (Institut National pour la Recherche en Informatique et Automatique), le CNR en Italie (Consigio Nazionale delle Ricerche), le Wissenschaftrat en Allemagne (organisme de conseil et d'évaluation de la recherche)… Collaboration dans le but de proposer des « standards » pour l’Internet et les faire adopter.
Si cette structure venait à voir le jour, il lui faudrait cohabiter avec l’ICANN tout en travaillant dans le sens d’un Internet accessible à tous et en veillant à son bon fonctionnement. Afin de redonner au réseau des réseaux sa fonction initiale d’espace d’échange et de liberté.
Les États-Unis pour des questions de « politique nationale » ne souhaitent pas le transfert du contrôle de l’Internet à un organisme tel que l’O.N.U. Par ailleurs, bien que « indépendante » l’ICANN reste attachée à des organismes tels que la Chambre de Commerce Américaine et la DARPA qui composent les 2/3 de son conseil d’administration. On constate que le contrôle de l’Internet ne se fait plus directement par l’ICANN mais qu’elle est l’organisme qui sert de passerelle pour le contrôle de l’information par la mise en place de « standards » qui s’imposent de fait aux autres États et entreprises du monde l’Internet.
Vincent Munier
Hub du Libre
Annexes
Une société néerlandaise propose d'étendre le nombre de suffixes de noms de domaine de premier niveau au-delà des quelques extensions gérées par l'Icann.
Christophe Lagane, VNUnet.fr 29.11.2005
Hasard des calendriers ou volonté délibérée de se faire entendre ? A l'heure où la question de la gouvernance de l'Internet est abordée à l'occasion du SMSI (voir interview du 28 novembre 2005), une société néerlandaise propose depuis quelques jours d'enregistrer des noms de domaine de premier niveau (TLDs, Top Level Domains) avec des extensions parlantes de type ".airport", ".transport", ."tickets"... en lieu et place des extensions traditionnelles (.com, .net, .org ou .fr).
Présenté comme "la prochaine étape logique et essentielle du système d'adresses sur Internet", le service d'UnifiedRoot propose ainsi d'étendre les enregistrements de noms de domaine au-delà du petit nombre de .com, .info, .biz, etc., administrés par l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann). Il est ainsi possible d'enregistrer n'importe quel type de suffixe (un nom après le point) à condition qu'il dispose de 3 à 28 caractères (lettres, chiffres et trait d'union).
UnifiedRoot ne s'arrête pas en si bon chemin et annonce qu'il proposera prochainement des noms de domaine de second niveau (SLDs) de type ".info.company". "Nous construisons un service de base – une sorte 'd'initiative de domaine ouvert' – libéré des restrictions imposés par l'actuel système des 'point com'", soutient Erik Seeboldt, le directeur général d'UnifiedRoot, dans un communiqué. Tiscali, un des premiers réseaux soutenant UnifiedRoot
C'est grâce à la gestion d'un réseau de 13 serveurs racines (root servers) et le partenariat de plusieurs fournisseurs d'accès dans le monde que UnifiedRoot peut proposer un service d'enregistrement de noms de domaine parallèlement à celui de l'Icann.
Pour autant, UnifiedRoot n'entend pas directement concurrencer l'organisme de nommage Internet américain puisque la société néerlandaise n'a aucune intention de prendre en charge l'enregistrement des extensions déjà gérées par l'Icann.
Pour l'instant, cette instance de supervision du nommage Internet n'a pas réagi à l'arrivée de ce nouveau service. En l'état actuel, UnifiedRoot annonce toucher 4,8 millions d'internautes à travers le réseau Tiscali présent dans six pays européens.
Bibliographie
Presse :
- Valérie Collet, « Bataille autour du contrôle de Internet » in Le Figaro, mardi 15 novembre 2005
- Nicolas Barré, « Peut-on laisser les Nations unies contrôler Internet ? » in Le Figaro, mercredi 16 novembre 2005
- Christophe Alix, « Le contrôle de l’Internet au menu du SMSI » in Libération, mercredi 16 novembre 2005
- Sandrine Cassini, « Statu quo sur la gouvernance de l’Internet » in la Tribune, mercredi 16 novembre 2005
- Les Echos (vendredi 18 et samedi 19 novembre 2005) « L’Union européenne est résolue à réduire la fracture numérique »
- Guy Sebban, « L’Internet libre et ouvert est le meilleur modèle économique » in Les Echos, vendredi 18 et samedi 19 novembre 2005
Internet :
- http://www.icann.org/
- http://www.cigref.fr
- http://www.pcinpact.com/
- http://www.afnic.fr/
- http://www.zdnet.fr/actualites
- http://nytimes.com/
- http://theinquirer.net
- http://www.futura-sciences.com
- http://www.kompetenznetze.de/navi/fr/root,did=120028,render=renderPrint.html
L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) est l’organisme en charge de veiller au bon fonctionnement de l’Internet. L’ICANN établie les règles d’attribution des adresses IP (Internet Protocole, adresse Internet), les protocoles indispensables au fonctionnement de l’Internet (architecture de l’Internet) et l’attribution des noms de domaines (.com, .net…). Les « standards » qui régissent l’Internet d’un point de vue technique sont sous le contrôle de l’IAB (Internet Architecture Board).
Le rôle de l’IAB peut être défini comme la supervision de l’architecture et de la structure de l’Internet tant au niveau des protocoles que des procédures utilisées et la supervision des développements de nouvelles « normes » de l’Internet.
Dans la suite de notre propos nous considérerons l’ICANN comme l’organisme par lequel les Etats-Unis exercent leur influence, ceci tenant au fait de la structure juridique de l’ICANN qui succède en 1998 à l’IANA (Internet Adress Naming Authority) était sous le contrôle entier du gouvernement américain.