Depuis l’effondrement du bloc soviétique, nous sommes passés d’une logique bipolaire à une logique multipolaire, où les affrontements géoéconomiques sont de mises entre entreprises et nations. La puissance mais aussi la guerre ont changé de forme. « Nos sociétés ont pénétré dans l’univers de la troisième vague, c’est-à-dire dans un monde profondément bouleversé tant sur le plan économique que technologique », l’ère de l’information. (Alvin et Heidi TOFFLER in Guerre et Contre Guerre). Le savoir est devenu le capital stratégique de l’entreprise et le cœur de sa prospérité. Cependant, avec le développement d’Internet, l’information est disponible en quantité incommensurable. Ce sont donc le traitement et la diffusion de ces données qui mènent à la puissance. Aussi, il ne suffit plus d’acquérir mais de diriger l’information et de décider de ses modes d’acquisition. Google a bien compris le changement fondamental qui s’opère ici. Aujourd’hui, on ne peut donc plus envisager Google comme un « simple » moteur de recherche. Son ambition est désormais tout autre. Quelle est donc la stratégie de puissance de ce nouveau « Big brother » de l’information ?
Google ou la conquête de l’univers de l’information
L’ère de l’information dans laquelle nous nous trouvons à présent met en exergue le savoir comme source de pouvoir. Ainsi, « organiser à l’échelle mondiale les informations dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous » est le credo de Google. Ce credo met en évidence une volonté sous-jacente de tout savoir sur l’utilisateur d’Internet : les produits qu’il achète, les musiques qu'il écoute, les amis qu'il fréquente : sa vie. Les données personnelles valent alors de l'or. La stratégie de Google est alors claire : conquérir l’univers de l’information, par la collecte des connaissances mondiales, leur organisation grâce à son réseau d’ordinateurs pour, finalement, rendre le tout accessible.
Google n’est alors plus seulement un moteur de recherche de renommée mondiale, disponible en cent seize langues et utilisé dans les régions les plus reculées de la planète, mais une plateforme complète d’accès à l’information. Google contrôle tous les canaux, encercle le « client » et envahit l’espace mondial.
Google ou la gestion offensive de l’information
Le contrôle des canaux est rendu possible grâce au succès des nouvelles technologies, telles qu’Internet, qui allient autonomie, maîtrise et vitesse. Chacun peut alors agir quand et comme il le souhaite, sans intermédiaire, avec un grand sentiment de liberté. Un moteur de recherche comme celui de Google ou de ses concurrents Yahoo ! et MSN n’est qu’à un clic de l’internaute. Le challenge repose alors sur le « comment influencer l’Internaute » et l’inciter à utiliser les services Google. L’influence est ici le nerf de la l’actuelle guerre économique, pour gagner face à ses adversaires.
En menant à bien une stratégie de diversification et proposant ainsi un maximum de programmes et services entièrement gratuits, Google étend peu à peu une toile d’araignée de « web services » sur la planète. Google, ce sont :
- non seulement, des serveurs pour récolter et traiter les données collectées via le moteur de recherche,
- mais aussi, des applications gratuites : de Gmail à Google Talk, en passant par Google Print, Google Alerts et le tout dernier né, Google Analytics,
- et la maîtrise des aspects réseaux : l’accès WiFi. Celui-ci a été mis en place aux Etats-Unis et oblige les internautes à passer systématiquement par les serveurs de Google.
Tout est donc mis en œuvre pour que l’internaute adhère entièrement à Google et devienne un utilisateur fidèle. Google est alors son fournisseur d’accès à Internet, sa boîte mail, ses solutions professionnelles…
Google-Microsoft ou la dialectique allié-adversaire
Google a réussi à introduire des services indiquant clairement sa volonté de construire une plateforme complète d’accès à l’information. Il défie alors Microsoft sur son propre marché.
Avec Google, Microsoft -mais aussi Yahoo ! et Ebay-, l'Amérique domine le monde de l'information. Alliés par leur pays d’origine mais aussi adversaires sur leur marché, Google et Microsoft se livrent une bataille : celle entre l'Etat de Washington et la Californie, pour la conquête de l’univers de l’information. La « culture du combat », ancrée dans les racines de leur pays, les amène à ne pas se laisser abattre par l’adversaire, mais à sans cesse innover et anticiper ses coups. A l'ère de l’« Anytime Anywhere, Any Device » (Xavier DALLOZ), il faut savoir « étouffer » le concurrent pour ne pas courir le risque d'être court-circuité.
Le but dans cette guerre économique est donc de « connaître l’adversaire, de pirater son savoir et de devancer ses initiatives. » Cet adage est bien à la base de la stratégie de puissance de Google. En proposant une palette de services entièrement gratuits, le groupe réussit à atteindre une plus grande cible et, ainsi, à supplanter Microsoft. Ce but recherché est parfois même anecdotique, comme le souligne l’expérience du lancement de Google Earth. Bill Gates a imprudemment évoqué un projet similaire dans une interview, mettant ainsi la puce à l’oreille à Google. Le logiciel fut alors proposé avant Microsoft.
Notons par ailleurs que, dans cette conquête de l’univers de l’information, l'Europe est aujourd’hui aux abonnés absents. Seule l'Asie semble en mesure de contrer l'Amérique. Google et Microsoft se livrent alors une bagarre féroce en Chine, n'hésitant pas à débaucher des ingénieurs du camp adverse. Le pouvoir se déplace alors à l'Est.
Nathalie KUPIEC,