Il n’est pas si simple de saisir les fils conducteurs de l’agitation informationnelle qui secoue sporadiquement le continent latino américain dans le domaine de l’eau. Pour tenter de comprendre le positionnement des différents acteurs impliqués dans cette problématique, il est nécessaire de différencier la nature et la perception des enjeux. Trois types d’acteurs gouvernementaux sont concernés directement ou indirectement par le dossier de l’eau en Amérique latine :
- les gouvernements locaux,
- les mouvements d’opposition,
- les Etats-Unis d’Amérique.
L’étude des prises de position des gouvernements locaux diffère selon les contextes politiques. Dans le cas de l’Argentine (cf dossier réalisé par les étudiants d’un mastère spécialisé de l’ESSEC mis en ligne sur infoguerre), la faillite économique du pays influe fortement sur l’action du gouvernement argentin.Le mécontentement social tous azimuts amène le Président Kirchner à chercher des boucs émissaires qui sont plus faciles à désigner dans le camp des investisseurs étrangers que dans l’entourage de ses propres alliés économiques. Les activités touchant directement la vie quotidienne des citoyens argentins sont parmi les plus visées : l’eau, l’électricité, le téléphone. Si on fait abstraction du caractère démagogique de certaines déclarations politiciennes, le point faible des autorités argentines dans ce traitement du dossier est la manière dont se négocie en ce moment le rachat des biens étrangers. A qui profite cette redistribution des cartes ? Est-ce principalement au citoyen argentin pour l’amélioration de ces conditions de vie ? On peut se poser la question.
En Bolivie, la crispation de la situation intérieure à l’approche des élections présidentielles conditionne l’évolution du débat sur le dossier de l’eau. La victoire éventuelle du candidat Evo Morales, qui dirige un parti d’inspiration castriste soutenu par le président vénézuélien Hugo Chavez, peut aboutir à une politique de nationalisations d’activités industrielles, en particulier dans le domaine de l’eau. La crise politique que traverse la Bolivie ne laisse pas indifférente l’administration Bush concernant la préservation des intérêts de puissance américains dans la zone. Affaiblis par les retombées de la guerre en Irak et la persistance du terrorisme, les Etats-Unis doivent faire face à une expression nouvelle des Etats latino-américains. Le récent sommet des Amériques a été mal vécu par Georges W Bush qui a subi publiquement les invectives d’Hugo Chavez. Le basculement de la Bolivie dans le camp des Etats hostiles à l’Amérique est une hypothèse que Washington étudie avec le plus grand soin. Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de voir leur influence décroître dans la région et encore moins laisser se développer une poche de dissidence regroupant plusieurs Etats. Leurs intérêts sont à la fois diplomatiques et économiques. Les réserves de gaz contenues dans le sous-sol bolivien constituent une ressource énergétique dont ils ne veulent pas être privés. L’ouverture prochaine d’une base militaire de l’US Army au Paraguay fait suite à la récente visite du secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld dans ce pays. Dans le cadre de sa guerre préventive contre le terrorisme, le Pentagone souhaite renforcer sa surveillance de la minorité libano syrienne dans la zone dite des trois frontières entre la Bolivie, le Paraguay et le Brésil. Il s’agit là d’une nouvelle pierre sur le go ban du processus d’influence et de contre influence américaine en Amérique latine. N’oublions pas les épisodes précédents, notamment les multiples polémiques entre Hugo Chavez et la diplomatie américaine ainsi que la tentative de renversement de Chavez par une opposition intérieure qui ne manque pas de soutien dans les régimes proaméricains et sur la côte sud des Etats-Unis.
A ces échiquiers visibles et invisibles s’ajoutent les dynamiques informationnelles centrées sur la problématique de l’eau. A ce niveau, il faut distinguer :
• Les critiques d’ONG formulées à l’encontre de groupes industriels de l’eau.
• Le débat lancé par des associations françaises contre la privatisation de l’accès à l’eau.
• La contre information des groupes industriels de l’eau.
Les opérations d’information sur l’eau permettent de distinguer deux types d’ONG : celles qui se sont construit un véritable fonds de commerce en faisant campagne contre des firmes industrielles dont elles dénoncent les erreurs ou les dysfonctionnements et les ONG qui ont un positionnement plus politique et qui prônent un modèle public de distribution de l’eau potable. Dans la première catégorie, L’association Public Citizen a déjà retenu notre attention dans le passé. Elle est une figure emblématique de ces structures issue de la société civile anglo-saxonne, spécialisées dans le targeting. En prenant appui sur un discours autoproclamé de la défense des citoyens, Public Citizen a inventé une activité dont la légitimité trouve sa pertinence dans la mise en accusation et non dans la force de proposition. L’idéalisme de Public Citizen serait validé dans les faits si l’action de cette ONG était aussi déterminante dans les solutions apportées sur le terrain. La forte ambiguïté qui entoure l’objectif final de ses travaux est révélée par la position géographique de ses interventions. En Amérique latine, Public Citizen s’abstient d’intervenir dans deux pays où la distribution de l’eau est fortement privatisée : le Mexique et le Chili. Les groupes français qui sont systématiquement dénoncés par Public Citizen ont des intérêts importants dans ces deux pays de manière directe ou indirecte. Comment expliquer cette omission ? Il n’y pas d’explication logique. La seule explication logique qui nous vient pour l’instant à l’esprit est d’ordre géopolitique. Les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à affaiblir ces deux pays charnières dans leur contrôle de l’Amérique latine. Dans ce dossier sensible, Public Citizen n’a pas encore démontré son indépendance vis-à-vis de la politique de puissance américaine.
Les ONG qui cherchent à apporter une réponse politique sont françaises. A ce titre, elles commencent même à parasiter quelque peu l’action de Public Citizen dans la zone. Contrairement aux apparences, le voyage que Danielle Mitterrand vient d’effectuer en Argentine et en Bolivie n’a pas été pas synchronisé avec la communication que Public Citizen mène auprès de différentes autorités locales. Il en découle une certaine irritation de l’ONG américaine qui prépare actuellement un dossier de dénonciation sur le comportement des groupes industriels de l’eau en Bolivie. La montée au créneau des ONG françaises qui plaident pour un service public de l’eau dans lequel les groupes industriels ne pourraient plus gérer sa distribution, amène aujourd’hui ces mêmes groupes industriels à prendre la parole de différentes manières. Les initiatives sont relativement dispersées du fait du cadre concurrentiel de leurs activités. Les démarches unitaires ne sont pas toujours à la hauteur de l’ampleur du débat, comme cette campagne de publicité quelque peu maladroite sur l’eau du robinet. Plusieurs questions se posent à leur niveau. Le pouvoir politique a-t-il pris la mesure de l’intérêt stratégique de l’eau en termes économiques ? S’est-il donné les moyens de soutenir les intérêts de l’industrie de l’eau française à travers le monde (rappelons que c’est un des rares secteurs où nous sommes encore leaders mondiaux) ? A-t-il su orienter le dialogue entre les principaux concernés (industriels et syndicats), compte tenu du volume d’activités économiques en jeu et du nombre d’emplois ? Concernant le débat politique sur la privatisation de l’eau, il semble que beaucoup de progrès restent à accomplir pour dépasser le stade des polémiques de nature idéologique. Le suivi financier des régies municipales n’est pas aussi simple que ses promoteurs semblent l’indiquer. A titre d’exemple, le contexte américain des régies municipales est loin d’être aussi vertueux qu’on semble nous le faire croire. Le film Chinatown avec Roman Polanski illustrait déjà à sa manière les manœuvres de corruption qui pouvaient affecter la distribution de l’eau en Californie. Certes, il s’agissait d’une fiction mais l’avenir nous dira bientôt si dans ce domaine, aux Etats-Unis comme en France, la réalité ne dépasse pas parfois la fiction.
Christian Harbulot
- les gouvernements locaux,
- les mouvements d’opposition,
- les Etats-Unis d’Amérique.
L’étude des prises de position des gouvernements locaux diffère selon les contextes politiques. Dans le cas de l’Argentine (cf dossier réalisé par les étudiants d’un mastère spécialisé de l’ESSEC mis en ligne sur infoguerre), la faillite économique du pays influe fortement sur l’action du gouvernement argentin.Le mécontentement social tous azimuts amène le Président Kirchner à chercher des boucs émissaires qui sont plus faciles à désigner dans le camp des investisseurs étrangers que dans l’entourage de ses propres alliés économiques. Les activités touchant directement la vie quotidienne des citoyens argentins sont parmi les plus visées : l’eau, l’électricité, le téléphone. Si on fait abstraction du caractère démagogique de certaines déclarations politiciennes, le point faible des autorités argentines dans ce traitement du dossier est la manière dont se négocie en ce moment le rachat des biens étrangers. A qui profite cette redistribution des cartes ? Est-ce principalement au citoyen argentin pour l’amélioration de ces conditions de vie ? On peut se poser la question.
En Bolivie, la crispation de la situation intérieure à l’approche des élections présidentielles conditionne l’évolution du débat sur le dossier de l’eau. La victoire éventuelle du candidat Evo Morales, qui dirige un parti d’inspiration castriste soutenu par le président vénézuélien Hugo Chavez, peut aboutir à une politique de nationalisations d’activités industrielles, en particulier dans le domaine de l’eau. La crise politique que traverse la Bolivie ne laisse pas indifférente l’administration Bush concernant la préservation des intérêts de puissance américains dans la zone. Affaiblis par les retombées de la guerre en Irak et la persistance du terrorisme, les Etats-Unis doivent faire face à une expression nouvelle des Etats latino-américains. Le récent sommet des Amériques a été mal vécu par Georges W Bush qui a subi publiquement les invectives d’Hugo Chavez. Le basculement de la Bolivie dans le camp des Etats hostiles à l’Amérique est une hypothèse que Washington étudie avec le plus grand soin. Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de voir leur influence décroître dans la région et encore moins laisser se développer une poche de dissidence regroupant plusieurs Etats. Leurs intérêts sont à la fois diplomatiques et économiques. Les réserves de gaz contenues dans le sous-sol bolivien constituent une ressource énergétique dont ils ne veulent pas être privés. L’ouverture prochaine d’une base militaire de l’US Army au Paraguay fait suite à la récente visite du secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld dans ce pays. Dans le cadre de sa guerre préventive contre le terrorisme, le Pentagone souhaite renforcer sa surveillance de la minorité libano syrienne dans la zone dite des trois frontières entre la Bolivie, le Paraguay et le Brésil. Il s’agit là d’une nouvelle pierre sur le go ban du processus d’influence et de contre influence américaine en Amérique latine. N’oublions pas les épisodes précédents, notamment les multiples polémiques entre Hugo Chavez et la diplomatie américaine ainsi que la tentative de renversement de Chavez par une opposition intérieure qui ne manque pas de soutien dans les régimes proaméricains et sur la côte sud des Etats-Unis.
A ces échiquiers visibles et invisibles s’ajoutent les dynamiques informationnelles centrées sur la problématique de l’eau. A ce niveau, il faut distinguer :
• Les critiques d’ONG formulées à l’encontre de groupes industriels de l’eau.
• Le débat lancé par des associations françaises contre la privatisation de l’accès à l’eau.
• La contre information des groupes industriels de l’eau.
Les opérations d’information sur l’eau permettent de distinguer deux types d’ONG : celles qui se sont construit un véritable fonds de commerce en faisant campagne contre des firmes industrielles dont elles dénoncent les erreurs ou les dysfonctionnements et les ONG qui ont un positionnement plus politique et qui prônent un modèle public de distribution de l’eau potable. Dans la première catégorie, L’association Public Citizen a déjà retenu notre attention dans le passé. Elle est une figure emblématique de ces structures issue de la société civile anglo-saxonne, spécialisées dans le targeting. En prenant appui sur un discours autoproclamé de la défense des citoyens, Public Citizen a inventé une activité dont la légitimité trouve sa pertinence dans la mise en accusation et non dans la force de proposition. L’idéalisme de Public Citizen serait validé dans les faits si l’action de cette ONG était aussi déterminante dans les solutions apportées sur le terrain. La forte ambiguïté qui entoure l’objectif final de ses travaux est révélée par la position géographique de ses interventions. En Amérique latine, Public Citizen s’abstient d’intervenir dans deux pays où la distribution de l’eau est fortement privatisée : le Mexique et le Chili. Les groupes français qui sont systématiquement dénoncés par Public Citizen ont des intérêts importants dans ces deux pays de manière directe ou indirecte. Comment expliquer cette omission ? Il n’y pas d’explication logique. La seule explication logique qui nous vient pour l’instant à l’esprit est d’ordre géopolitique. Les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à affaiblir ces deux pays charnières dans leur contrôle de l’Amérique latine. Dans ce dossier sensible, Public Citizen n’a pas encore démontré son indépendance vis-à-vis de la politique de puissance américaine.
Les ONG qui cherchent à apporter une réponse politique sont françaises. A ce titre, elles commencent même à parasiter quelque peu l’action de Public Citizen dans la zone. Contrairement aux apparences, le voyage que Danielle Mitterrand vient d’effectuer en Argentine et en Bolivie n’a pas été pas synchronisé avec la communication que Public Citizen mène auprès de différentes autorités locales. Il en découle une certaine irritation de l’ONG américaine qui prépare actuellement un dossier de dénonciation sur le comportement des groupes industriels de l’eau en Bolivie. La montée au créneau des ONG françaises qui plaident pour un service public de l’eau dans lequel les groupes industriels ne pourraient plus gérer sa distribution, amène aujourd’hui ces mêmes groupes industriels à prendre la parole de différentes manières. Les initiatives sont relativement dispersées du fait du cadre concurrentiel de leurs activités. Les démarches unitaires ne sont pas toujours à la hauteur de l’ampleur du débat, comme cette campagne de publicité quelque peu maladroite sur l’eau du robinet. Plusieurs questions se posent à leur niveau. Le pouvoir politique a-t-il pris la mesure de l’intérêt stratégique de l’eau en termes économiques ? S’est-il donné les moyens de soutenir les intérêts de l’industrie de l’eau française à travers le monde (rappelons que c’est un des rares secteurs où nous sommes encore leaders mondiaux) ? A-t-il su orienter le dialogue entre les principaux concernés (industriels et syndicats), compte tenu du volume d’activités économiques en jeu et du nombre d’emplois ? Concernant le débat politique sur la privatisation de l’eau, il semble que beaucoup de progrès restent à accomplir pour dépasser le stade des polémiques de nature idéologique. Le suivi financier des régies municipales n’est pas aussi simple que ses promoteurs semblent l’indiquer. A titre d’exemple, le contexte américain des régies municipales est loin d’être aussi vertueux qu’on semble nous le faire croire. Le film Chinatown avec Roman Polanski illustrait déjà à sa manière les manœuvres de corruption qui pouvaient affecter la distribution de l’eau en Californie. Certes, il s’agissait d’une fiction mais l’avenir nous dira bientôt si dans ce domaine, aux Etats-Unis comme en France, la réalité ne dépasse pas parfois la fiction.
Christian Harbulot