La « guerre de l’information du mouvement » des stagiaires

Le sujet n’est pas vraiment une découverte mais il fait la une de tous les médias : presse, radio, télévision… La nouveauté c’est que les stagiaires se rebellent et sont en grève durant tout le mois de novembre avec en point d’orgue une journée de grève générale le jeudi 24 novembre. Dénonçant le problème des stages abusifs en entreprise, un collectif baptisé Génération Précaire coordonne les actions plutôt festives (pour ne pas dire décalées) et les revendications dans l’objectif de faire réformer le statut de stagiaire. Une situation de crise concernant les stages en France

D’après le Conseil Economique et Social, près d’un étudiant sur deux - soit environ 800 000 - effectue au minimum un stage au cours de leur scolarité. De son côté, l’APEC estime que 90% des diplômés de niveau bac + 4 et plus ont effectué au moins un stage au cours de leurs études, 50% en ayant effectué trois ou plus. Conçus à l’origine comme une ouverture du monde universitaire au monde professionnel, les stages ont acquis une importance décisive dans l’insertion professionnelle. Dans un contexte de chômage massif des jeunes diplômés (16,3% chez les 18-30 ans), les stages ne constituent plus un « tremplin pour l’emploi » mais tendent à enfermer les jeunes actifs dans la précarité.

La multiplication des stages pour les étudiants et l’allongement régulier de la durée des études ont fourni aux entreprises, administrations et associations une quantité croissante de stagiaires. Confrontées à une conjoncture économique difficile, les employeurs ont peu à peu appris à utiliser cette main d’œuvre dont la rémunération n’est pas obligatoire. Le « contrat moral » initial du stage, outil « gagnant-gagnant », mi-pédagogique, mi-professionnel, s’est peu à peu perdu. Il est aujourd’hui fréquent que les stagiaires occupent de véritables postes de travail, sans aucune dimension pédagogique. Plus grave, des stagiaires se succèdent parfois indéfiniment sur un même poste remplaçant ainsi un salarié permanent. De leur côté, les organismes de formation (écoles et universités) n’assurent pas non plus toujours correctement le suivi des stagiaires pour diverses raisons (trop d’étudiants par enseignant, inscription alibi à la faculté afin d’obtenir une convention et de conserver le statut d’étudiant, …).

Une politique de communication originale portée et amplifiée par Internet

Lancé d’abord via des discussions sur des forums en août puis sur un weblog en septembre, un réseau de stagiaires en révolte diffusant leur témoignage s’est monté et a donné naissance à la création de la coordination Génération Précaire qui s’est dotée en octobre d’un site fédérateur de toutes les compétences et énergies acquises à sa cause. L’information s’est alors très vite répandue sur Internet notamment par les blogs et a été reprise par les médias. Inutile d’insister sur le fait que dans la sphère journalistique, les pigistes et les stagiaires sont légions. Jugeant nécessaire de se sortir du cadre virtuel des blogs et des mails pour se rencontrer, se compter et échanger, les membres du collectif ont lancé un appel à la grève générale des stages. Il y a d’abord eu la participation à la manifestation unitaire des syndicats le 4 octobre, puis des réunions de travail et d’information, la manifestation un peu loufoque du 1er novembre, …

Parallèlement, une série de mobilisations courtes appelées « flash-mobs » ont eu lieu sur Paris (tractage aux Halles, à la Défense et dans des cantines de grandes entreprises, rencontre avec des DRH de grands groupes, par exemple chez Hachette Editions, filiale du groupe Lagardère dans un secteur réputé pour ses bataillons de stagiaires et autres contrats précaires…).

Forts du retentissement médiatique que le mouvement Génération Précaire a rencontré au cours de ces deux derniers mois, les membres du collectif ont noué de multiples contacts en vue de faire avancer leurs propositions de réforme et aboutir à la création d’un cadre juridique des stages : rencontre avec les cinq centrales syndicales, rendez-vous avec le MEDEF et la CGPME, participation aux Etats Généraux de la Vie Etudiante, entretien avec des députés de toute obédience, …

Génération Précaire plaide pour l'inscription du statut du stagiaire (dont la version actuelle date de 1978) dans le Code du travail et l'instauration d'une rémunération minimale, progressive et assujettie aux contributions sociales. La coordination s’est fixé comme objectifs pour le printemps 2006 d’obtenir l’établissement d’un bilan sur l’impact économique des stagiaires sur le marché du travail (étude chiffrée) et faire passer la réforme du statut des stagiaires avec rémunération obligatoire.

Des premiers résultats encourageants

Ces actions ont permis d’informer les salariés, de susciter le débat et pour Génération Précaire de constater que le grand public est sensible à la cause des stagiaires. Les Ministères de l’Education nationale et du Travail déclarent vouloir ouvrir des consultations sur la question des stages. Le MEDEF s’engage pour sa part à élaborer une « charte de bonne conduite », pour « responsabiliser » les différents acteurs impliqués - l'entreprise, le stagiaire et l'établissement d'enseignement. Ce ne sont que des premiers pas des différentes institutions en direction de ce mouvement qui se veut indépendant de tout parti et tout syndicat.

Quelques centaines de personnes réunies sur Paris et des essaimages également en province c’est un demi succès, gare à l’essoufflement des bonnes volontés et de l’intérêt des médias ! Pour ne pas laisser retomber la mayonnaise qui a l’air de prendre, il serait me semble-t-il judicieux de continuer à utiliser Internet pour dénoncer les pratiques abusives au moyen par exemple d’un site de notation des entreprises ou organismes stagiophages… C’est en tout cas le conseil que je pourrais donner aux étudiants des formations en IE, victimes eux aussi de ce système inique. A eux de se fédérer et de coordonner !

Stéphane MARTIN, cofondateur de Mètis **

NB : une analyse plus approfondie sur la genèse de ce mouvement et sur la stratégie Internet mise en oeuvre sera décrite dans le prochain numéro de VigIE, la lettre d’information du Master IECS

Site ressource du collectif Génération Précaire et sa pétition en ligne qui déjà recueillie plus de 10 000 signatures
http://www.generation-precaire.org

Portofolio du 1er novembre, la première grève des stagiaires
http://www.lemonde.fr/web/portfolio/0,12-0,31-713545,0.html

* « armée de réserve de l’entreprise », expression utilisée par le quotidien Le Monde pour le titre d’un de ses articles (Le Monde, p. 12, Frédéric Potet, 05/11/2005)
** Mètis, l’association des anciens du Master IECS de l’Icomtec (Université de Poitiers - site du Futuroscope)