La mentalité « juin 40 » plombe la France

La France souffre d’un mal ancien qui commence sérieusement à peser sur sa destinée, la peur de la prise de risque. En juin 1940, le généralissime Gamelin mène la France au désastre militaire contre l’Allemagne. Ce général médiocre est un des figures emblématiques de l’esprit de non combativité qui prévalait dans ce pays depuis l’armistice de novembre 1918. Ecoeurée par les boucheries de la première guerre mondiale, la population française ne voulait plus se battre.
On la comprend…
Aux lendemains de la première guerre mondiale, les crédits d’armement sont diminués de manière drastique. A la fin des années 20, l’armée française est réduite à 200 000 hommes. La France vit dans sa coquille. Le fascisme italien est déjà à ses portes. L’arrivée d’Hitler au pouvoir n’y changera rien. Cette époque a laissé des traces profondes dans notre manière d’exister sur la scène mondiale. Faute de bilans (comme d’habitude), la fuite en avant devant les menaces majeures s’est construite patiemment de 1918 jusqu’à 1940. En refusant de regarder la vérité en face, les Français ont faussé leur vision durablement sur les réalités de ce monde. Si un Hitler à votre porte ne vous rend pas de nouveau combatif, en dépit des traumatismes du passé, il est fort à craindre que la reconquête de cet esprit de combativité, si nécessaire à la vitalité et à la survie d’un peuple, soit longue et particulièrement laborieuse.

Un demi siècle s’est écoulé depuis la plus grande déroute de la France ; Qu’en est-il de cette combativité ? Force est de constater qu’il n’existe toujours pas de minimum d’unité nationale. Personne n’a l’air de remarquer que le monde évolue sur des charbons ardents en matière de géopolitique et de géoéconomie. L’excellent article de Frédéric Robin sur l’insatiable appétit de la Chine (à lire dans Le Monde du 9 septembre) campe bien le décor en rapportant les propos d’un des experts les plus écoutés aux Etats-Unis : Dans les années 1930 (…), la tension mutuelle (entre les Etats-Unis et le Japon) autour de l’approvisionnement pétrolier a nourri une escalade de la paranoïa qui a contribué à l’éclatement de la seconde guerre mondiale. Il aurait pu rajouter que l’une des raisons cachées de l’intervention américaine en Irak est justement de barrer l’accès aux Chinois du pétrole dans cette région du monde. Cette montée des menaces qui ne se limite pas aux conséquences de la spéculation sur le pétrole ou des risques grandissants de pénurie à moyen terme, ne génère pas en France de processus d’unité nationale. On pourrait même dire que c’est le contraire qui se produit.

La gauche proche de Fabius et l’extrême gauche, autistes parmi les autistes, n’ont tiré aucune leçon de l’Histoire et notamment de l’attitude très peu courageuse du Front populaire contre le danger nazi. D’actes d’accusation en actes d’accusation, ce camp-là parle beaucoup en se regardant le nombril. La lutte contre la misère n’est pas une excuse pour rester borgne sur les autres maux de l’humanité. Fabius, Bové et consorts ne sont pas capables d’avoir un acte responsable montrant un minium de connivence au moins sur le chapitre du patriotisme économique.
Les alter mondialistes sont les mêmes que ceux qui appelaient de leurs vœux à la paix dans le monde au milieu des années 1930 et qui ont fait pression sur Daladier lors des accords de Munich pour que la France se couche devant la menace nazie.

Mais ce qui est encore plus grave, c’est de constater que les forces qui devraient donner l’exemple d’un processus d’unité nationale afin que la France se prépare aux chocs à venir, sont les premières à critiquer et à remettre en cause la politique gouvernementale. Notons une nouvelle fois, et cela ne sera hélas pas la dernière, l’inculture du patronat français en matière d’analyse des rapports de force entre puissances. Lorsque Dominique de Villepin prend des mesures allant dans le sens de l’unité nationale et du patriotisme économique, il y a des patrons comme celui d’Axa qui n’hésite pas à dénoncer des pratiques archaïques alors que quelques semaines auparavant l’ambassadeur des Etats-Unis en France considérait tout à fait normale cette ligne de conduite.
Paradoxe étonnant d’un patron, fervent admirateur du libéralisme à l’américaine qui ignore les fondements mêmes des mécanismes géoéconomiques de construction de la puissance américaine. Mais la France n’est pas à un paradoxe près.

Mais le plus inquiétant, dans les priorités du moment, c’est cet état d’esprit silencieux mais dévastateur qui prévaut aujourd’hui au sein de certaines administrations sensibles de l’Etat. Le slogan « pas de couilles, pas d’embrouille !» est adopté par un nombre croissant de serviteurs de la sécurité nationale. Un certain nombre de responsables ont trouvé la méthode rêvée de construction d’une belle carrière dans la fonction publique : le risque zéro.
Lorsque cette attitude touche les services de renseignement français, on s’interroge encore plus sur le devenir de ce pays. L’épisode de la Côte d’Ivoire aurait pu servir de leçon. Combien de messages d’alerte, de remontées d’information pour signaler le piège tissé par la force adverse. On a attendu que l’amorce du pire pour daigner enfin montrer les dents. La force adverse a compris que ses marges de manoeuvre étaient encore importantes car la philosophie du risque zéro qui prévaut dans le camp français sert objectivement ses intérêts.

La Côte d’Ivoire n’est qu’un exemple parmi d’autres. On attend le gros pépin pour réagir, en espérant si possible que ce pépin arrive le plus tard possible, surtout quand on ne sera plus en poste.

L’esprit juin 40 est un fléau récurrent pour la France. Nous risquons de le payer au prix fort. Décidément, on aime bien faire la drôle de guerre dans ce pays. Et les Guignols de l’info sont appréciés à juste titre par la population française dans leur rôle de composition.