L'industrie agroalimentaire dans le périmètre de la puissance géoéconomique

linL’industrie agroalimentaire est un instrument de puissance dans des pays industrialisés comme les Etats-Unis et la Chine. En France, la rumeur d’OPA de Pepsi Cola contre Danone déclenche un sursaut médiatique qui souligne l’incapacité de certains journalistes à décrypter les véritables enjeux de la guerre économique.


La famille Riboud est connue pour sa croyance dans les vertus d’un libéralisme sans patries, ni frontières. Et c’est là son erreur. Par faute d’avoir verrouillé l’accès à son capital, par refus d’une lecture attentive des stratégies de puissance dans le domaine économique, les Riboud montent à l’assaut du marché mondial, la poitrine en avant en tenue bleu/blanc/rouge. On se souvient des déclarations d’Antoine Riboud dans les années 1990 qui soulignaient l’extraordinaire créativité des chefs d’entreprise américains de l’industrie automobile pour relever le défi de la concurrence japonaise. Pas un mot sur la connivence public/privée pour contrer l’agressivité nipponne, pas un mot sur le protectionnisme invisible destiné à limiter la pénétration du marché intérieur (cf quotas sur les modèles les plus vendus), pas un mot sur le japan bashing médiatique et ses prolongements holywoodiens (cf le livre et le film Soleil rouge).

La compétition dans l’industrie agroalimentaire est à l’image (puissance 10) de ce qui s’est passé dans l’industrie automobile au début des années 1990 lorsque les Etats-Unis et l’Europe ont décidé de donner un signal fort au Japon pour tempérer son agressivité commerciale. A une différence près, il s’agit aujourd’hui pour la France de tirer son épingle du jeu complexe de puissances entre les Etats-Unis, l’Europe et les challengers qui apparaissent ici et là. La France a réussi pour l’instant à préserver sa position. Son industrie agroalimentaire est le premier secteur industriel français loin devant l'industrie automobile ou l'industrie électrique-électronique, avec, en 2003, un chiffre d'affaires de 136 milliards d'euros. Elle se situe au premier rang européen devant l’Allemagne (128 Milliards d’euros). Dans le monde, elle occupe la deuxième place devant les Etats-Unis. Avec 28,6 milliards d'euros d'exportation, l'industrie alimentaire française est le premier exportateur mondial de produits alimentaires transformés. Il est clair que les Etats-Unis ont décidé de lancer une grande offensive pour conquérir le maximum de parts de marché dans ce secteur stratégique.

Cette offensive s’articule autour d’une stratégie de dépassement de nos positions par la volonté de généraliser le recours aux Organismes Génétiquement Modifiés et par un rachat de des multinationales les moins bien défendues. C’est justement le cas de Danone. Certains commentateurs en sont restés à un lecture très idéologique des affrontements concurrentiels, comme le confirme cet extrait de l’article de Philippe Reclus du 20 juillet 2005 paru dans le Figaro : « Certes, cette intervention du politique, à titre préventif, a réussi dans le passé. A Bercy, Nicolas Sarkozy y a eu recours pour empêcher, à la dernière minute, le laboratoire suisse Novartis de s'emparer d'Aventis. Ou, encore, pour bloquer le raid de Siemens sur un Alstom au bord du dépôt de bilan. Pour autant, ce réflexe d'ingérence paraît de plus en plus décalé dans le cas d'entreprises françaises qui jouent le jeu d'une économie mondialisée. Des entreprises qui savent, comme Danone, se servir de cette économie ouverte, pour aller prendre des parts de marché là où la croissance est la plus prometteuse. Des entreprises qui doivent en contrepartie se prêter au jeu d'un capitalisme mature, dont la première consiste à donner à leurs actionnaires le dernier mot en cas d'offre de rachat. S'il y a des handicaps à dénoncer, ils sont ailleurs. Par exemple, dans le fait que la France ne facilite pas la tâche à ses fleurons nationaux pour se muscler afin de livrer cette bataille mondiale. Danone, une fois de plus, en a fourni la meilleure illustration, il y a quelques années avec le psychodrame provoqué par la réorganisation de ses usines LU dans le Nord.Une décision qui a vu l'entreprise se retrouver dans la situation d'ennemi public numéro un. Il serait curieux de constater que ce sont les mêmes, à droite comme à gauche, qui appelaient à l'époque au boycott des produits Danone pour sanctionner la société, qui voudraient prendre aujourd'hui la tête du cortège pour défendre son indépendance. Les mêmes qui, d'un côté, condamnent les profits insolents des entreprises et de l'autre veulent bloquer les OPA de concurrents étrangers plus dynamiques.»

Contrairement çà ce que croit Philippe Reclus, cette compétition ne se jouera pas à la régulière. Le meilleur, c’est-à-dire celui qui fabrique de bons produits compétitifs qui ne rendent pas malades, ne gagnera pas forcément. Tous les coups sont permis, y compris les plus sournois. Les marchés financiers ne sont qu’une des mulitples facettes de ce jeu de dupes. L’avenir de l’industrie agroalimentaire française se jouera sur la concertation stratégique qui associera les politiques susceptibles de se hisser au niveau d’un Etat/stratège et les patrons patriotes qui ont compris les enjeux de la guerre économique que se livrent les puissances de l’après-guerre froide. Christian Harbulot