Sommes-nous en train de payer le prix de la position diplomatique adoptée par la France lors du déclenchement de la guerre en Irak par les Etats-Unis d’Amérique, ou bien sommes-nous en train d’assister à un durcissement de la guerre commerciale qui oppose les grandes firmes multinationales de l’eau? La question peut se poser lorsqu’on observe attentivement ce qui est en train de se passer sur le marché mondial de l’eau. De quoi s’agit-il? L’eau est devenue un enjeu vital aussi bien sur le plan géopolitique qu’économique. Elle fait l’objet de conflits frontaliers entre des pays qui se disputent la maîtrise de certains fleuves et de gisements souterrains (cf le dossier déjà ancien mais très instructif De l’eau pour demain. Stratégies, conflits et coopération, réalisé en 1998 par la Revue française de géoéconomie). L’accès des populations à une eau potable et traitée en conséquence est l’autre facette de ce débat. Au cours du siècle dernier, le traitement de l’eau a généré un marché privé d’amplitude mondiale sur lequel les groupes français Suez et Véolia occupent aujourd’hui une place prédominante qui déplait aux Etats-Unis pour plusieurs raisons. En termes défensifs, les Américains cherchent à bloquer les groupes français dans l’accès à leur marché intérieur. En termes offensifs, ils cherchent à reprendre l’intiative par une manoeuvre d’encerclement par l’amont et l’aval du marché. La présence très forte des groupes français de l’eau au Mexique, en Argentine et en Bolivie dérange les Américains qui n’apprécient pas qu’on vienne occuper le terrain économique dans leur sphère d’influence la plus proche. La présence française en Asie les dérange tout autant. A la fin des années 90, les groupes américains ont tenté de s’attaquer à cette position de leadership par une offensive sur les métiers traditionnels des groupes français, l’opérationnel et le service. Les groupes américains Enron et Bechtel étaient en pointe dans cette attaque qui a échoué pour deux raisons: l’explosion en vol d’Enron du fait de ses malversations financières et le retrait de Bechtel (via International Water Ltd) qui a estimé que le retour sur investissement était trop long.
Mais les Américains n’ont pas abandonné la partie pour autant. Depuis quelque temps, ils ont déclenché une nouvelle offensive qui vise à prendre en tenaille les groupes français sur plusieurs axes :
• par l’amont du marché, les grandes sociétés américaines d'ingénieurs conseils verrouillent le marché du conseil et profitent de leur lien privilégié avec les clients qui cherchent à créer des infrastructures de gestion de l’eau pour piéger les concurrents. La manœuvre est simple: les ingénieurs conseils américains saucissonnent les projets et enferment les groupes français dans des procédures techniques conçues pour décourager n’importe quel opérateur européen. C'est manifeste par rapport aux réalisations de CH2MHILL dans le domaine de l'eau. Les ingénieurs conseils américains jouent également à fond sur la prédominance de leur culture au niveau mondial et imposent ainsi leur modèle aux dépens de l'école française de l'eau qui perd peu à peu sa position de référence.
• par l’aval du marché, en montant en puissance sur les équipements et la production de produits chimiques nécessaires au traitement de l’eau. Une des multinationales les plus puissantes des Etats-Unis, le groupe General Electric est entré dans la danse en se positionnant avec toute sa puissance sur le marché du matériel. Dans cette optique, General Electric a acquis Ionics en octobre 2004.
• par les fonds d’investissement, les fonds américains rentrent sur le marché en rachetant les utilities du marché de l’eau. C'est ainsi que l'on a vu arriver depuis peu Aqua International Partners, filiale de Texas Pacific, ou encore Summit Water Partners, et ATC Aquarion Fund. De même, des fonds s’imposent sur le marché des produits chimiques nécessaires au traitement de l'eau. En novembre 2003, les fonds américains Blackstone et Appolo Management ont racheté à Suez sa filiale américaine Nalco et le fonds américain Clayton Dubilier & Rice a racheté à Veolia l'entreprise Culligan pour 610 millions de dollars.
Cette manœuvre d’encerclement se double d’une offensive indirecte sur les positions dominantes encore tenues par les groupes français sur le marché mondial de l’eau. L’échec d’Enron et de Bechtel a obligé le lobby de l’eau américain à recourir à d’autres méthodes plus insidieuses. Selon des sources françaises positionnées à l’étranger, le lobby américain de l’eau a décidé de lancer une offensive de nature informationnelle afin de déstabiliser les concurrents français en s’attaquant à leur image. Si ces faits sont avérés, il s’agit d’un cas d’exemplarité de concurrence déloyale par l’usage abusif d’une information diffusée par un tiers, en l’occurrence des ONG anglo-saxonnes qui se postionnent aujourd’hui dans le débat pour lutter officiellement contre la privatisation du marché de l’eau. La première sur la liste des suspectes est l’ONG Public Citizen.
Infoguerre a décidé de suivre cette polémique de forte amplitude afin de tenter d’en décrypter le dessous des cartes. En juin dernier, les élèves de l’Ecole de guerre économique ont eu comme sujet d’exercice final (durée 15 jours avec rendu d’un rapport écrit suivi d’un grand oral) le sujet suivant : la gestion des risques informationnels dans le cadre de la privatisation du marché de l’eau au niveau mondial. A cette occasion, les 40 étudiants de la promotion 7 de l’EGE durent procéder à une analyse des enjeux globaux, identifier les différents types d’acteurs participant au débat, et faire la part des choses entre la nature polémique des débats et les opérations éventuelles de manipulation de l’information. A l’époque, la synthèse des travaux des étudiants avait déjà mis en lumière une tentative de détournement du débat moral sur la privatisation de l’eau au profit d’autres intérêts que la cause humanitaire.
Les informations qui nous sont parvenues récemment, confirment cette tentative de manipulation de l’information que l’on peut synthétiser de la manière suivante :
Tactique suivie
• Gagner la bataille de la légitimité en polémiquant sur la privatisation de l’eau.
• Prendre en tenaille les deux groupes français par une polémique ciblée sur l’appauvrissement des populations et la corruption qu’ils engenderaient dans les pays où ils sont actifs.
• Orchestrer la contestation par le biais de la société civile
Moyens employés
• Campagne médiatique
• Désinformation, almalgame, diabolisation
• Soutien financier (logistique) aux ONG qui luttent contre la privatisation de l’eau
Objectifs des attaques informationnelles
• Fragiliser l’image des groupes français Suez et Véolia
• Faire chuter leur action en Bourse
• Affaiblir la position du PDG au sein de l’entreprise
• Démoraliser les salariés des deux groupes.
Le lobby américain de l’eau s’est engouffré dans la brèche ouverte sur la privatisation du marché de l’eau par la contestation altermondialiste. Son objectif est simple : faire en sorte que les porte voix humanistes de la société civile de différents pays du Nord et du Sud, remettent en cause le pouvoir économique des leaders français de l’eau.
Vendredi 13 mai se tient à l’Assemblée nationale une conférence de presse qui risque d’être une illustration exemplaire de ce parasitage informationnel. A première vue, la manœuvre est habile. Qui pourrait contester à Danielle Mitterrand sa vocation de dénoncer les injustices de ce monde ?. L’ONG Public Citizen a parfaitement compris qu’elle tenait là une figure emblématique pour relayer son discours de même que la fondation de Danielle Mitterrand, France Liberté, était le relai rêvé pour organiser une telle opération en se dissimulant derrière la cause humanitaire. Certaines mauvaises langues prétendent que Public Citizen aurait versé une somme de 80 000 euros pour organiser cette journée de contestation et payer les frais des invités latino-américains et philippins conviés à venir témoigner leur rejet de Suez et Veolia. Si cette information est confirmée, elle démontrerait que l’appui ne s’arrête pas à des mots d’encouragement.
Public Citizen est une ONG qui a reçu en 2004 la somme de 300 000 dollars du syndicat américain AFL/CIO. Rappelons que contrairement à la France, l’AFL/CIO est proche du patronat américain. Ce syndicat a activement participé au financement du syndicat Force Ouvrière au début des années 50, à l’époque où les Etats-Unis voulaient contrer l’influence de la CGT d’obédience communiste en France. Ces bonnes habitudes n’ont pas forcément été perdues après la chute du Mur de Berlin.
Les participants de la gauche parlementaire qui soutiennent cette conférence de presse à l’Assemblée devraient réfléchir sur la manière d’avancer sur un tel champ de mines informationnel. A l’heure où le monde politique, à droite comme à gauche, remet à jour la notion de politique industrielle, il est vital de prendre en compte l’ensemble des données du problème du marché de l’eau. Le débat sur la privatisation de l’eau peut en cacher un autre, celui de la guerre économique. Les élus communistes qui clament leur volonté de défendre le patrimoine économique français feraient bien de relire attentivement l’étude Techniques offensives et guerre économique que le PCF a acquise dès sa parution en 1990, au même titre que le parti communiste vietnamien qui l’a fait traduire à 5000 exemplaires à la même époque au Vietnam. Qui disait après 1968 qu’il ne fallait pas mourir idiot ? Les Américians n’ont pas tout rejeté du communisme. Ils semblent avoir récupéré la recette léniniste sur les idiots utiles, ces compagnons de route bercés par les slogans humanistes du genre «Pour la paix dans le monde !» qui servaient de paravent aux campagnes de propagande internationales orchestrées par l’URSS durant la guerre froide.
Pour une fois l’alerte est donnée assez tôt. Remercions à ce sujet les fonctionnaires responsables qui ont joué leur rôle. Si on ne veut pas aboutir à une seconde affaire Gemplus, revue et corrigée, il est urgent de se mobiliser pour éviter d’être menés par le bout du nez par des forces économiques étrangères qui profitent de nos divisions et de l’opportunisme des uns et de la désinvolture des autres. Il s’agit en l’occurrence de ne pas se contenter de recevoir les coups mais de contenir une éventuelle manœuvre de prédation économique qui peut une fois de plus se traduire par des pertes de parts de marché, une agravation du chômage et une baisse de l’activité économique de notre pays.
Christian Harbulot
Mais les Américains n’ont pas abandonné la partie pour autant. Depuis quelque temps, ils ont déclenché une nouvelle offensive qui vise à prendre en tenaille les groupes français sur plusieurs axes :
• par l’amont du marché, les grandes sociétés américaines d'ingénieurs conseils verrouillent le marché du conseil et profitent de leur lien privilégié avec les clients qui cherchent à créer des infrastructures de gestion de l’eau pour piéger les concurrents. La manœuvre est simple: les ingénieurs conseils américains saucissonnent les projets et enferment les groupes français dans des procédures techniques conçues pour décourager n’importe quel opérateur européen. C'est manifeste par rapport aux réalisations de CH2MHILL dans le domaine de l'eau. Les ingénieurs conseils américains jouent également à fond sur la prédominance de leur culture au niveau mondial et imposent ainsi leur modèle aux dépens de l'école française de l'eau qui perd peu à peu sa position de référence.
• par l’aval du marché, en montant en puissance sur les équipements et la production de produits chimiques nécessaires au traitement de l’eau. Une des multinationales les plus puissantes des Etats-Unis, le groupe General Electric est entré dans la danse en se positionnant avec toute sa puissance sur le marché du matériel. Dans cette optique, General Electric a acquis Ionics en octobre 2004.
• par les fonds d’investissement, les fonds américains rentrent sur le marché en rachetant les utilities du marché de l’eau. C'est ainsi que l'on a vu arriver depuis peu Aqua International Partners, filiale de Texas Pacific, ou encore Summit Water Partners, et ATC Aquarion Fund. De même, des fonds s’imposent sur le marché des produits chimiques nécessaires au traitement de l'eau. En novembre 2003, les fonds américains Blackstone et Appolo Management ont racheté à Suez sa filiale américaine Nalco et le fonds américain Clayton Dubilier & Rice a racheté à Veolia l'entreprise Culligan pour 610 millions de dollars.
Cette manœuvre d’encerclement se double d’une offensive indirecte sur les positions dominantes encore tenues par les groupes français sur le marché mondial de l’eau. L’échec d’Enron et de Bechtel a obligé le lobby de l’eau américain à recourir à d’autres méthodes plus insidieuses. Selon des sources françaises positionnées à l’étranger, le lobby américain de l’eau a décidé de lancer une offensive de nature informationnelle afin de déstabiliser les concurrents français en s’attaquant à leur image. Si ces faits sont avérés, il s’agit d’un cas d’exemplarité de concurrence déloyale par l’usage abusif d’une information diffusée par un tiers, en l’occurrence des ONG anglo-saxonnes qui se postionnent aujourd’hui dans le débat pour lutter officiellement contre la privatisation du marché de l’eau. La première sur la liste des suspectes est l’ONG Public Citizen.
Infoguerre a décidé de suivre cette polémique de forte amplitude afin de tenter d’en décrypter le dessous des cartes. En juin dernier, les élèves de l’Ecole de guerre économique ont eu comme sujet d’exercice final (durée 15 jours avec rendu d’un rapport écrit suivi d’un grand oral) le sujet suivant : la gestion des risques informationnels dans le cadre de la privatisation du marché de l’eau au niveau mondial. A cette occasion, les 40 étudiants de la promotion 7 de l’EGE durent procéder à une analyse des enjeux globaux, identifier les différents types d’acteurs participant au débat, et faire la part des choses entre la nature polémique des débats et les opérations éventuelles de manipulation de l’information. A l’époque, la synthèse des travaux des étudiants avait déjà mis en lumière une tentative de détournement du débat moral sur la privatisation de l’eau au profit d’autres intérêts que la cause humanitaire.
Les informations qui nous sont parvenues récemment, confirment cette tentative de manipulation de l’information que l’on peut synthétiser de la manière suivante :
Tactique suivie
• Gagner la bataille de la légitimité en polémiquant sur la privatisation de l’eau.
• Prendre en tenaille les deux groupes français par une polémique ciblée sur l’appauvrissement des populations et la corruption qu’ils engenderaient dans les pays où ils sont actifs.
• Orchestrer la contestation par le biais de la société civile
Moyens employés
• Campagne médiatique
• Désinformation, almalgame, diabolisation
• Soutien financier (logistique) aux ONG qui luttent contre la privatisation de l’eau
Objectifs des attaques informationnelles
• Fragiliser l’image des groupes français Suez et Véolia
• Faire chuter leur action en Bourse
• Affaiblir la position du PDG au sein de l’entreprise
• Démoraliser les salariés des deux groupes.
Le lobby américain de l’eau s’est engouffré dans la brèche ouverte sur la privatisation du marché de l’eau par la contestation altermondialiste. Son objectif est simple : faire en sorte que les porte voix humanistes de la société civile de différents pays du Nord et du Sud, remettent en cause le pouvoir économique des leaders français de l’eau.
Vendredi 13 mai se tient à l’Assemblée nationale une conférence de presse qui risque d’être une illustration exemplaire de ce parasitage informationnel. A première vue, la manœuvre est habile. Qui pourrait contester à Danielle Mitterrand sa vocation de dénoncer les injustices de ce monde ?. L’ONG Public Citizen a parfaitement compris qu’elle tenait là une figure emblématique pour relayer son discours de même que la fondation de Danielle Mitterrand, France Liberté, était le relai rêvé pour organiser une telle opération en se dissimulant derrière la cause humanitaire. Certaines mauvaises langues prétendent que Public Citizen aurait versé une somme de 80 000 euros pour organiser cette journée de contestation et payer les frais des invités latino-américains et philippins conviés à venir témoigner leur rejet de Suez et Veolia. Si cette information est confirmée, elle démontrerait que l’appui ne s’arrête pas à des mots d’encouragement.
Public Citizen est une ONG qui a reçu en 2004 la somme de 300 000 dollars du syndicat américain AFL/CIO. Rappelons que contrairement à la France, l’AFL/CIO est proche du patronat américain. Ce syndicat a activement participé au financement du syndicat Force Ouvrière au début des années 50, à l’époque où les Etats-Unis voulaient contrer l’influence de la CGT d’obédience communiste en France. Ces bonnes habitudes n’ont pas forcément été perdues après la chute du Mur de Berlin.
Les participants de la gauche parlementaire qui soutiennent cette conférence de presse à l’Assemblée devraient réfléchir sur la manière d’avancer sur un tel champ de mines informationnel. A l’heure où le monde politique, à droite comme à gauche, remet à jour la notion de politique industrielle, il est vital de prendre en compte l’ensemble des données du problème du marché de l’eau. Le débat sur la privatisation de l’eau peut en cacher un autre, celui de la guerre économique. Les élus communistes qui clament leur volonté de défendre le patrimoine économique français feraient bien de relire attentivement l’étude Techniques offensives et guerre économique que le PCF a acquise dès sa parution en 1990, au même titre que le parti communiste vietnamien qui l’a fait traduire à 5000 exemplaires à la même époque au Vietnam. Qui disait après 1968 qu’il ne fallait pas mourir idiot ? Les Américians n’ont pas tout rejeté du communisme. Ils semblent avoir récupéré la recette léniniste sur les idiots utiles, ces compagnons de route bercés par les slogans humanistes du genre «Pour la paix dans le monde !» qui servaient de paravent aux campagnes de propagande internationales orchestrées par l’URSS durant la guerre froide.
Pour une fois l’alerte est donnée assez tôt. Remercions à ce sujet les fonctionnaires responsables qui ont joué leur rôle. Si on ne veut pas aboutir à une seconde affaire Gemplus, revue et corrigée, il est urgent de se mobiliser pour éviter d’être menés par le bout du nez par des forces économiques étrangères qui profitent de nos divisions et de l’opportunisme des uns et de la désinvolture des autres. Il s’agit en l’occurrence de ne pas se contenter de recevoir les coups mais de contenir une éventuelle manœuvre de prédation économique qui peut une fois de plus se traduire par des pertes de parts de marché, une agravation du chômage et une baisse de l’activité économique de notre pays.
Christian Harbulot