L’exception culturelle française réduite à une peau de chagrin ?

La France est en très mauvaise posture dans trois batailles décisives de la compétition dans l’industrie de la connaissance. Les deux premières appartiennent déjà au passé. La première bataille a eu pour enjeu le contrôle des logiciels. Le verrouillage des institutions scolaires et universitaires est une des cibles majeures de la stratégie de contrôle du marché conçue par Microsoft. En France, Microsoft a signé en 1998 un contrat cadre national avec l’Etat, renouvelé à la fin de 2003. Ce contrat vise à harmoniser les parcs informatiques de l’Education nationale (http://www.educnet.education.fr/plan/microsoft.htm).

Cette stratégie de Microsoft se décline sur tous les secteurs de la société civile : licences pour associations, licences pour matériel d'occasion, licences pour les PVD (programmes de dons de machines), participation aux actions de formation etc. Le verrouillage se fait à tous les niveaux : vendeurs d'ordinateurs/licences OEM rendant en pratique quasiment impossible l'achat d'un ordinateur sans windows ; concurrents-contentieux/accords de coopération technique croisée, sans oublier le lobbying auprès de la commission européenne pour faire passer la brevetabilité des logiciels, ce qui reviendra à régler définitivement le problème de Linux et des logiciels libres et gratuits.
La seconde bataille est passée quasiment inaperçue. La réforme des diplômes universitaires, souhaitée par l’Union européenne, passe pour une mesure de bon sens car elle donne à chaque étudiant d’un pays membre la possibilité d’aller travailler dans un autre pays en conservant ses acquis universitaires. Ce bon sens a cependant une limite importante: la réforme est une pâle copie du système américain. Or le système éducatif américain a démontré depuis longtemps ses limites: grille monoculturelle dans les standards éducatifs (monopole de l’anglais, vision unilatérale du fonctionnement des sociétés industrielles), démocratisation biaisée de l’université par un tri sélectif par l’argent dans l’accès aux universités les plus réputées, baisse du niveau culturel général des étudiants, méconnaissance des autres cultures). Si la France a su préservé son système de grandes écoles, elle a cédé sur la plupart des autres fronts.
La troisième bataille porte sur l’accès électronique à la connaissance. Google a annoncé la couleur en se lançant dans sa grande avanture de numérisation de millions d’ouvrage. L’Europe essaie de suivre l’exemple en imitant à petite échelle ce qui va se faire à grande échelle. Cette bataille n’est pas encore perdue mais tout dépendra de la dose de stratégie que l’Europe voudra mettre dans ce projet. Si l’influence des pays européens, proches des Etats-Unis, est aussi forte qu’elle ne l’a été dans la réforme Licence/Mastère/Doctorat, on peut s’interroger sur l’efficacité et la portée des actions de l’Union européenne. La production de connaissance n’est pas simplement un acte technique qui consiste à mettre à disposition des internautes les œuvres des différentes civilisations. Encore faut-il savoir mettre en avant le respect des cultures (sous-entendu dans l’exception culturelle frnaçaise) et non la supériorité d’une culture sur les autres («Les Etats-Unis sont la seule nation indispensable au monde»). Dans ce domaine comme dans d’autres, celui qui saura le mieux occuper le terrain, sera celui qui aura su se doter d’une stratégie et des moyens de l’appliquer.