La mondialisation n’a pas encore atteint les esprits, à voir l’ignorance dans laquelle nous sommes en France de ce qui se fait ailleurs en matière d’énergies renouvelables. Nous sommes sourds aux cris de victoire des chercheurs, aveugles face aux réalisations ambitieuses et aux dispositifs législatifs étrangers, muets en matière de discours stratégique, raidis dans une position d’attente mortifère. Et pourtant, le monde est à un tournant décisif en matière d’énergie. Nous devons ouvrir les yeux sur la réalité, initier des analyses comparées et adopter le point de vue de la longue durée. Et d’abord distinguer les spéculations sur l’imminence du « peak oil » et la fin du pétrole des réflexions réalistes sur le fossé en train de se creuser entre la demande d’énergie en croissance constante et les capacités de production limitées. Le point de non-retour en matière de pollution s’approche, des mécanismes de régulation se mettent en place (protocole de Kyoto, objectifs européens à l’horizon 2010, certification verte, ...), des technologies de rupture apparaissent, les rendements augmentent, les coûts baissent : comment peut-on délibérément choisir d’aller contre les évidences et ne pas voir que les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse, biogaz) constituent une lame de fond émergente non concurrentielle mais complémentaire des énergies traditionnelles, fossile et nucléaire ?
En Espagne, une loi visant à obliger toute nouvelle construction d’être dotée d’équipement solaire thermique est sur le point d’entrer en application. Cette disposition existait déjà depuis 1999 à Barcelone avant de s’appliquer à Madrid. Le gouvernement espagnol a développé une véritable stratégie de puissance en matière d’énergies renouvelables dans un document fondamental intitulé Stratégie nationale d’efficacité énergétique 2004-2012 (1). C’est là une autre dimension, plus concrète et ambitieuse, que les grands préceptes abstraits de notre Charte de l’environnement...
En Allemagne, pays pourtant peu réputé pour son ensoleillement, plus de 6 millions de mètres carrés de panneaux solaires sont installés, soit dix fois plus qu’en France. Le tarif de rachat de l’électricité d’origine solaire est de 55 centimes d’euro/kWh contre 15 centimes en France métropolitaine. Et que dire des 220 MW d’éoliennes installés en France depuis 1997 contre 13000 MW en Allemagne ? La France est pourtant riche de nombreuses régions très ensoleillées et du deuxième gisement d’énergie éolienne d’Europe...
Le Japon détient 49% du marché de l’énergie solaire avec Sharp. Honda, Canon, Sony misent sur le solaire, et ce n’est pas par simple amour de la nature. L’Allemand Q-Cells connaît un développement exponentiel. Conergy est entré en fanfare à la Bourse de Francfort ce 17 mars après avoir surmultiplié ses bénéfices passés de 0,4 million d’euros en 2003 à 11 millions d’euros en 2004. Pour sa première cotation, le titre s’est envolé de 31% le jour même où le baril de pétrole atteignait 56 dollars à Londres et 57 à New York. Photowatt, leader en France des cellules et panneaux solaires, exporte 95% de sa production et envisagerait même de quitter le territoire national...
La Chine vient d’adopter début mars une loi sur les énergies renouvelables. Le texte, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2006, oblige les distributeurs d'électricité à acheter du courant produit à partir de sources d'énergies renouvelables à des prix fixés par le gouvernement. À la conférence de Bonn en juin 2004, Pékin s'était engagé à installer d'ici 2010 une capacité de 60 gigawatts en énergies renouvelables, soit 10 % de la capacité totale du pays, contre moins de 1 % aujourd'hui.
Face à ce bouillonnement, où en sommes-nous en France ? Depuis le 1er janvier 2005, les aides de l’ADEME destinées aux particuliers désireux de s’équiper en installations d’énergies renouvelables ont été supprimées et remplacées par un crédit d’impôt de 40%. Au mieux, ce changement ne donne aucune impulsion nouvelle aux énergies renouvelables, au pire il augmente le coût des installations photovoltaïques. Cette situation ne risque pas de changer quand on considère les positions de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) présidée par Jean Syrota, ancien directeur de la COGEMA. La CRE ne manque pas une occasion pour critiquer le mécanisme d’obligation d’achat d’électricité d’origine renouvelable, lui préférant le système bien plus libéral et bien moins incitatif des appels d’offres.
Enfin, la bêtise française en matière d’énergies renouvelables devrait être labellisée après le sommet atteint le mercredi 23 mars à la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale. Celle-ci a adopté un amendement qui restreint les possibilités de développement de l’éolien en France. Auparavant, EDF rachetait l’électricité provenant de parcs d’éoliennes de capacité maximale de production de 12 MW. Si l’amendement est adopté, EDF sera toujours obligée d’acheter de l’électricité fournie par les éoliennes mais uniquement si elles produisent plus de 20 MW. Or, une éolienne moyenne produit entre 1,5 MW et 2,5 MW. Autant dire que le marché français, essentiellement constitué d’installations moyennes, est condamné. Serge Poignant, le député à l’origine de cet amendement, est élu de Loire-Atlantique, département à fortes ressources éoliennes, ce qui doit expliquer sa passion immodérée pour l’intérêt supérieur de la nation. C’est ce même personnage qui a fait voter l’amendement du 27 mai 2004 retirant aux préfets la délivrance de permis de construire pour la confier aux maires. Pour cet ancien chercheur du CNRS spécialiste de la résonance magnétique nucléaire, il y a des intérêts nationaux qui résonnent dans le vide...
Or, la France a les moyens de se doter d’une véritable force de frappe en matière d’énergies renouvelables. Les gisements éolien et solaire existent, la demande augmente en même temps que la pollution et le prix du pétrole, les chercheurs français travaillent sur des technologies de rupture promises à un grand avenir. Il nous manque une véritable doctrine de puissance en matière d’énergies renouvelables. Par rapport aux potentialités du marché, nous sommes au début de l’industrie des énergies renouvelables comme aux débuts de l’industrie automobile ou aéronautique. Combien de temps tiendrons-nous contre les évidences ?
BP
1. Estrategia Española de Eficiencia energética 2004-2012, disponible sur http://www6.mityc.es/energia/desarrollo/doc/E4.pdf