Think tanks : la pensée « made in Germany »

En inaugurant la fondation Prométhée, le député Bernard Carayon déclare être à l’origine du premier think tank français, dont l’absence en France est régulièrement déplorée. Il n’est donc pas inintéressant de jeter un œil sur la situation à l’étranger. Aux Etats-Unis, certes, où le mot « think tank » est apparu dans les années trente, mais également sur les « fabriques de la pensée » d’un pays géographiquement et politiquement plus proche de nous : le deuxième pays après les États-Unis, eu égard au nombre de think tanks. Non pas la Grande-Bretagne, mais l’Allemagne, qui compte entre 130 et 150 « Instituts de recherche » selon la Bayerischer Rundfunk (1).Et selon la définition qu’on donne au terme « think tank ».

En effet, cette profusion se retrouve dans la plasticité de la langue allemande. Là où la langue française reprend tel quel le terme anglo-saxon, l’allemand le traduit de trois façons : « Forschungsinstitut » (Institut de recherche), « Beratunsgsinstitut » (Institut de conseil) ou encore « Denkfabrik » (littéralement « fabrique de la pensée »). Mais d’une manière générale, un think tank est « un Institut de recherche qui s’occupe de questions ayant trait à un aspect pratique du travail politique » selon Martin Thunert (2), auteur du rapport le plus complet sur la politique allemande en matière de think tanks.

Le débat serait donc le même des deux côtés du Rhin ? Pas vraiment. Alors qu’en France la question porte inlassablement sur la quasi absence de véritables think tanks à la française, en Allemagne, elle tourne avant tout sur les conditions d’une meilleure intégration des think tanks au processus de décision politique.

Le dense rapport Thunert, disponible sur le site du Bundestag (3), s’attache dans un premier temps à brosser le panorama des think tanks en Allemagne, qu’il divise en 5 catégories :

1. Les Instituts de recherche économique (au nombre de 7).
2. Les Instituts s’occupant de politique étrangère et de sécurité, ou encore de promotion de la paix.
3. Ceux spécialisés dans le domaine social, environnemental et les recherches scientifiques et techniques.
4. Les « think tanks privés » ou à financement mixte (public – privé), parfois fondés par de grands groupes industriels allemands (Bertelsmann Stiftung, Alfred-Herrhausen-Gesellschaft de la Deutsche Bank, etc.).
5. La multitude des petits Instituts très spécialisés.

À peu près deux douzaines de ces instituts sont entièrement financés par l’État allemand. Mais le clivage le plus important se situe avant tout au niveau du mode de fonctionnement : en raison de leur taille modeste et leur faible structure, certains think tanks fonctionnent essentiellement au travers de grands réseaux d’experts externes auxquels ils font appel en fonction des problématiques traitées. Ils sont alors qualifiés « advokatischen Denkfabriken ». Ils se distinguent sur ce point des grandes structures de type académique.

La totalité des travaux de recherche comparent évidemment la situation allemande avec celle des États-Unis et partent du constat que non seulement l’Allemagne comprend moins de think tanks (ce qui est normal vu la différence de proportions), mais surtout que la plupart des think tanks allemands sont beaucoup moins orientés vers la sphère publique (au sens Affaires publiques). De surcroît, ils sont en majorité trop dépendants de l’État en termes de financement et des partis politiques dans leurs orientations. Ils appartiennent donc à ce que dans son mémoire sur le sujet, Daniel Florian, étudiant à l’Université de Bochum (4), appelle « des think tanks de 4ème génération ».

Une telle appellation n’est compréhensible que par opposition avec l’histoire des think tanks américains : « Universités sans étudiants » au départ, regroupant avant tout des professeurs de facultés, ils subissent une première évolution après la seconde guerre mondiale en étant directement missionnés par le pouvoir politique (comme la Rand Corporation). La seconde évolution intervient dans les années quatre-vingt, lorsqu’apparaissent des think tanks détachés de l’Université, mais fortement idéologisés, tels que la Heritage Foundation. Les quatre sortes de think tanks cohabitent aux États-Unis, avec les mêmes caractéristiques : produire du savoir, le propager, créer des réseaux et permettre à des élites de tous milieux de se rencontrer.

M. Thunert pointe d’une manière plus formalisée un « déficit de conseil » (traduction littérale de Beratungsdefizit) tant quantitatif que qualitatif, et surtout une « asymétrie » entre les Instituts à financements privés et ceux vivant sur fonds publics. Il préconise donc une diversification des sources de financement : un financement mixte assurerait à la fois une plus grande indépendance et une meilleure crédibilité aux think tanks allemands.

Autre aspect récurrent dans les travaux sur le sujet : les raisons d’une telle multiplication des think tanks. Un des arguments pour expliquer leur apparition aux États-Unis serait le régime politique, divisé en deux grands partis fonctionnant surtout comme des coalitions électorales : les partis étant focalisé sur les échéances électorales, il est revenu aux think tanks de réfléchir aux questions de politiques étrangère et intérieure. Ce mouvement serait allé croissant, avec l’obligation pour le pouvoir politique d’intervenir plus rapidement et surtout sur un nombre de sujets toujours plus nombreux et plus spécialisés.

Pour autant, même dans un système multipartiste comme le régime allemand, les think tanks trouvent leur utilité : ils permettraient de remédier à la perte de crédibilité des partis en dépassant les clivages partisans, et rendraient le processus de décision politique plus transparent. C’est encore dans cette optique que M. Thunert préconise une meilleure communication des think tanks, tant vers les politiques, que vers le public.

Claire Faverdin & Antoine Schmitt,
Étudiants EGE, promotion 8.

Liste sommaire de quelques Instituts de recherche allemands :

• Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), Berlin ; www.swp-berlin.org
• Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), Berlin ; www.dgap.org
• Centrum für angewandte Politikforschung (CAP), München ; www.cap.uni-muenchen.de
• Hessische Stiftung für Friedens – und Konfliktforschung (HSFK), Frankfurt ; www.hsfk.de
• Institut für Strategische Analysen (ISA), Bonn ; www.isa-ev.de
• Council on Public Policy (CPP), Bayreuth ; http://btkex1.cult.uni-bayreuth.de/
• Bertelsmann Stiftung, Gütersloh ; www.stiftung-bertelsmann.de
• Deutsches Überseeinstitut (DÜI), Hamburg ; www.duei.de
• Hamburgisches Weltwirtschaftsarchiv, Hamburg ; www.hwwa.de
• Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW), Berlin ; www.diw-berlin.de
• IFO-Institut (IFO), München ; www.ifo.de
• Institut für Arbeit und Technologie (IAT), Gelsenkirchen ; www.iatge.de
• Institut für Wirtschaft und Gesellschaft (IWG), Bonn ; www.iwg-bonn.de

Liste des Instituts de recherche français :

Instituts privés :

• Institut français des relations internationales (IFRI), fondé en 1979 par Thierry de Montbrial ; www.ifri.org
• Fondation pour la recherche stratégique (FRS), créée en 1990 ; www.frstrategie.org
• Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), fondé en 1990 par Pascal Boniface ; www.iris-france.org
• Institut Choiseul, créé en 1999, dirigé par Pascal Lorot ; www.choiseul.info
• Fondation Prométhée, fondée en 2004 à l’initiative des députés Bernard Carayon et Jean-Michel Boucheron.

Laboratoires universitaires les plus importants :

• Centre d’études et de recherches internationales (CERI), fruit de la collaboration entre Sciences-po Paris et le CNRS ; www.ceri-sciencespo.com
• Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques (CIRPES), au sein de l’Ecole des hautes études en sciences sociales : www.ehess.fr/cirpes/

1. Dossier de la radio bavaroise : http://www.br-online.de/wissen-bildung/thema/thinktanks
2. Martin Thunert (1959) est docteur en philosophie. Il possède un doctorat en sciences politiques de l’Université de Hambourg, enseigne en tant que professeur associé en sciences politiques à l’Université du Michigan, Ann Arbore, et est sponsorisé par le German Academic Exchange Service (DAAD). Il est l’un des principaux spécialistes allemands des think tanks et a écrit de nombreux articles et ouvrages sur ce sujet comme : Think Tanks in Germany ; Think Tanks Across Nations. A Comparative Approach, 2nd revised edition, Manchester, Manchester University Press, 2003.
3. Rapport pour le parlement allemand sur l’état des think tanks en Allemagne: Das Parlament : Aus Politik und Geschichte, article : Think tanks in Deutschland – Berater der Politik ?
http://www.das-parlament.de/2003/51/beilage/005.html
4. Rapport pour le parlement allemand sur l’état des think tanks en Allemagne: Das Parlament : Aus Politik und Geschichte, article : Think tanks in Deutschland – Berater der Politik ?
http://www.das-parlament.de/2003/51/beilage/005.html