Michel AOUN : « Je suis un catalyseur crédible pour l’avenir du Liban ».

INFOGUERRE- Quel est votre sentiment en voyant les images des manifestations populaires sur la place des martyrs ?
Ce qui se passent aujourd’hui à Beyrouth n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat d’années de résistance du peuple libanais. Si l’opposition est dans la rue c’est parce qu’elle a compris que le changement était possible désormais. Nous avons déjà obtenu la démission du gouvernement mais ce n’est pas suffisant. Vous le savez peut-être, au cours de mes récents voyages aux Etats-Unis, j’ai été reçu par des hauts responsables politiques du Sénat et de l’administration.Lors des entretiens que j’ai eu, j’ai pu mesurer combien les Américains voulaient faire du Liban une véritable plate-forme de la paix au proche-Orient. Grâce à la volonté affichée des Américains, le Président français est en train lui aussi d’accentuer sa pression sur la Syrie pour que le Liban retrouve la souveraineté. Le mouvement est enclenché et il ira jusqu’à la libération de mon pays. En regardant les images dont vous parlez, ce qui me réjouit le plus c’est de voir l’unité retrouvée du peuple libanais. Chrétiens, Sunnites, Druzes et même certains Chiites veulent ensemble le départ des militaires syriens…

Vous aussi vous voyez la main de Damas derrière l’assassinat de Rafik d’Hariri ?
Comme beaucoup j’ai de sérieux soupçons sur les auteurs de cet attentat. Néanmoins, l’effet obtenu n’est peut-être pas celui qui était recherché. Aujourd’hui le Liban est uni dans la peine pour demander la vérité sur acte odieux. Je pense que pour perpétrer un tel attentat il fallait de toute façon une grosse logistique.

Vous désignez donc la Syrie ?
Peut-être…

N’avez vous pas peur de la réaction de la Syrie devant l’ampleur des manifestations ?
Non, car la pression est chaque jour plus importante. Je ne souhaite pas que la Syrie soit écrasée et éliminée, je souhaite simplement que le Liban retrouve son indépendance. Vous savez, il faut être fort des deux cotés pour faire la paix …Seule l’ONU est compétente, c’est pourquoi j’en appelle aux Nations Unies pour faire respecter la Résolution 1559 appelant au respect de la souveraineté du Liban et au retrait de toutes les forces étrangères de son sol. Cette résolution a été initialement présentée par les Etats-Unis et la France, elle demande que soient strictement respectées la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'unité et l'indépendance politique du Liban, placé sous l'autorité exclusive du gouvernement libanais s'exerçant sur l'ensemble du territoire libanais. Ce texte demande aussi que les prochaines élections présidentielles au Liban se déroulent selon un processus électoral libre et régulier, conformément à des règles constitutionnelles libanaises élaborées en dehors de toute interférence ou influence étrangère.

Et Israël ?
Concernant Israël, ma position reste la même. Il faut la sécurité pour les Israéliens. Parallèlement, les Palestiniens doivent avoir une patrie et les Libanais leur souveraineté. Si on met place ces trois objectifs, nous pourront avoir la paix dans cette région du monde. Le sud Liban ne doit plus servir à déstabiliser Israël et la région. La résolution 1559 dont je viens de parler rappelle que toutes les milices libanaises et non libanaises présentent au Liban doivent être dissoutes et désarmées. C’est une condition pour pacifier nos frontières.

Comptez-vous revenir dans votre pays après plus de dix ans d’exil ?
Oui, bien sur que oui ! Mais mon départ pour Beyrouth n’est pas d’actualité. Je ne souhaite pas revenir dans un pays occupé. Tant que les Syriens seront au Liban je ne reviendrai pas car je serai alors obligé de me compromettre avec l’occupant. Comme tous les patriotes libanais de toutes confessions, j’exige le retrait de l’armée syrienne et le report des élections après leur départ. La démocratie ne peut s’exercer avec une présence militaire étrangère.

Vous voyez-vous jouer un rôle politique ?
Oui, je n’ai pas peur de le dire. Je pense être un catalyseur crédible. Depuis des années je multiplie les rencontres avec les représentants des différents confessions et partis libanais. Je fédère autour de moi des Druzes, des Chrétiens et des Musulmans. Je pense pouvoir jouer un rôle dans la réconciliation nationale dont mon pays a besoin. Mais je n’ai aucune envie de rentrer dans le jeu politique tant que la situation n’est pas saine.

Et la réconciliation entre chrétiens?
Concernant Samir Geagea, il faudra qu’il soit rejugé par un vrai tribunal légal et non pas devant une cour de justice comme celle qui l’a condamnée. Je pense que la paix dont le Liban a tant besoin passe par une amnistie, mais ce n’est pas à moi d’en juger. Aujourd’hui ce qui me préoccupe c’est l’unité et la souveraineté de mon pays.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Jusot