Comment un fonds d’investisement anglo-saxon manoeuvre en Suisse

Nous reproduisons avec l'aimable autorisation de Knowckers.org un de leurs articles récemment publié.

L’action de CVC dans l’affaire Forbo. Un correspondant suisse de knowckers nous a fait parvenir l’analyse suivante. Depuis novembre 2004, la lutte pour l’acquisition du groupe industriel suisse Forbo est enclenchée. En plein tumulte, il n’est pas possible de prévenir le résultat. En revanche, les techniques de chasse du fonds d’investissement anglo-saxon apparaissent clairement. Comme la plupart des fonds d’investissements, CVC Capital Partners s’appuie sur l’idéologie de « Value Investment ».


Le fonds promet de valoriser par ses investissements des entreprises en difficultés. Pour réaliser une valeur augmentée, les fonds d’investissements mettent en pièce les sociétés acquises, ils liquident les parties non rentables et revendent les parties rentables. Bien entendu, CVC dément ce dessein. Mais les analystes de la banque Pictet émettent un autre avis : il n’y a aucune entreprise qui n’a pas été restructurée après l’achat par CVC. Un fonds d’investissement comme CVC n’est pas tout-puissant. Il a besoin de soutien au sein de l’entreprise visée. Dans l’affaire Forbo, son correspondant s’appelle Willy Kissling. Il est président du conseil d’administration de Forbo et parallèlement membre du conseil de CVC. Formé par la Harvard Business School Cambridge aux Etats-Unis, Willy Kissling diffuse depuis trente ans l’idéologie anglo-saxonne dans l’économie suisse. A ce titre, Kissling a déjà mis en pièces quatre groupes industriels suisses (Landis&Gyr, OerlikonBührle, SIG et Unaxis). Plus de 30 000 employés ont perdu leur emploi.

Le groupe Forbo et son personnel sont désormais dans la ligne de mire. Le fonds d’investissement CVC Capital Partners agit indirectement. Pendant la phase initiale de répérage des cibles potentielles, ses correspondants locaux préparent le terrain. Dans l’affaire Forbo, c’est au printemps 2003 que Willy Kissling, comme membre du conseil d’administration, a ordonné à la direction de Forbo de vendre le domaine central du groupe et de s’adresser à CVC pour réaliser cette opération. Les membres de la direction ont refusé ce dessein suicidaire et ont proposé une alternative en suggérant un partenariat avec la société française Tarkett, dans le but de renforcer les activités centrales de Forbo. Kissling a opposé un refus ce propos et a sanctionné les directeurs par un audit sur leurs capacités de gestion. Par la suite, Willy Kissling a essayé de faire admettre son plan par le conseil d’administration. Il poussa à la démission le président du conseil d’administration et prit sa place. Il proposa immédiatement la vente de la colonne vertébrale du groupe.

De plus, Kissling voulut engager les consultants de la société anglo-saxonne Bain pour confirmer la justesse de cette décision stratégique. Ce coup de force déclencha un conflit avec le conseil d’administration de Forbo. L’état de déstabilisation et de paralysie du conseil d’administration fut le bon moment pour l’entrée officielle et publique de CVC. Le fonds d’investissement apparut alors comme la planche de salut et annonça le sauvetage de Forbo.

Les réseaux anglo-saxons en Suisse

Comme décrit ci-dessus, la chasse de CVC s’appuie sur un réseau local en Suisse. Le noyautage de CVC est organisé par le conseil de la société. On y retrouve des membres de la nomenclature de l’économie suisse comme Thomas Schmidheiny ou Barthélemy Helg. Le noyautage institutionnel est effectué via des sociétés différentes : ce sont les filiales des sociétés anglo-saxonnes en Suisse comme le cabinet de conseil Bain, qui soutient les activités de CVC pour ce qui est l’idéologie. Parallèlement, il y a des sociétés suisses, qui fournissent la connaissance de l’environnement : c’est le cabinet de communication Farner PR, qui s’occupe des opérations d’influence pour CVC et d’autres sociétés anglo-saxonnes comme par exemple la société Boeing.

Comment s’organise la résistance au fonds d’investissement

En Suisse, ni l’Etat, ni les experts ne se sont penchés pour l’instant sur cette problématique. Les journaux économiques restent muets car beaucoup de journalistes ont été formés dans le moule idéologique de l’agresseur. C’est pour cette raison que les détracteurs de CVC sont isolés et contenus par les relais du puissant réseau d’influence de CVC. Dans l’affaire Forbo, la résistance s’est organisé dans sa phase initiale autour de deux personnes : Michael Pieper, entrepreneur indépendant et membre du conseil d’administration de Forbo, et This Schneider, directeur et dirigeant du groupe Forbo. Dans un premier temps, Michael Pieper quitta le conseil d’administration de Forbo en décembre 2004 et commença à acheter 25% des actions de Forbo avec le but de ralentir le processus de l’acquisition.

Parallèlement à cette action symbolique, les défenseurs de Forbo, anti-CVC, sensibilisèrent les médias sur la rôle ambigu de Willy Kissling à l’intérieur de Forbo. Etant membre du conseil d’administration et du conseil de CVC, Willy Kissling violait les règles de « Corporate Governance », vantées par Kissling lui-même. La deuxième phase de la défense de Forbo, orchestrée par les anti-CVC, eut lieu sur l’échiquier sociétal. Les défenseurs de Forbo sont arrivés à briser le mur du silence en insistant sur le coût social si le plan de restructuration de Forbo, proposé par CVC était appliqué. D’autres solutions industrielles pouvaient être trouvées pour lutter contre la mise en pièce du groupe Forbo. Dans la foulée, les anti-CVC initièrent une campagne de presse contre Willy Kissling en dénigrant son image et en sensibilisant l’opinion publique suisse sur les intentions malsaines de CVC. Les détracteurs de CVC essayèrent de jouer sur deux constantes culturelles de la mentalité suisse : la menace étrangère et l’individu trop couronné de succès. Entre-temps, CVC identifia la menace et tenta de contrer en proposant lui-même une solution industrielle.

Pour l’instant, la lutte pour l’acquisition du groupe Forbo est en suspens. Mais il est à craindre que l’économie suisse perde la bataille. Pour information, le fonds d’investissement CVC Capital Partners fait la chasse aussi dans l’hexagone et il a déjà placé ses agents d’influence : En 1999, CVC a acheté, mis en pièce et revendu la société française BSN Glaspack. Et le docile servant Kissling est membre du conseil d’administration de Schneider Electric…