Il est peu de semaines sans que l’on parle dans la presse économique des grands marchés d’Asie. Ces derniers inspirent tour à tour fascination et crainte, désirs de conquêtes commerciales et volontés protectionnistes. L’Inde et la Chine, les deux colosses en devenir, se projètent jusqu’à nous au travers de sentiments opposés qui méritent une analyse affinée.La bataille pour le leadership asiatique
Les civilisations chinoise et indienne sont plus anciennes que celles de l’Europe, et l’industrialisation est un vieux phénomène pour ces deux pays continents. Les exemples de réussite des temps anciens sont nombreux : l’imprimerie ou la poudre pour la Chine, l’excellence mathématique pour l’Inde… Mais c’est seulement depuis quelques années que ces deux pays ont changé leurs stratégies et influencent l’économie monde.
La Chine et l’Inde ont depuis deux siècles les bases d’une immense infrastructure industrielle : dans un premier temps grâce aux entreprises des concessions et aux colons britanniques, puis grâce aux investissements nationaux des gouvernements qui ont pris la relève. Le nationalisme propre aux deux pays est complètement intégré aux logiques économiques. Le principal investisseur de la Chine a été pendant longtemps l’armée. L’Inde a quant à elle refusé, en partie, l’aide financière de l’OCDE et a mis en place une industrie lourde (charbon, acier) et de biens de consommation (fer blanc, automobile, textile). C’est l’échec de l’économie dirigée qui a amené ces pays à s’ouvrir de manière contrôlée et à accepter les capitaux étrangers pour faire face aux besoins de leur immense population (1,2 milliards pour la Chine, 1 milliard pour l’Inde).
Dans les quinze dernières années, la Chine est passée d’une industrie lourde, centrée sur l’énergie et la sidérurgie, à une industrie diversifiée dont les produits sont concurrentiels sur les marchés mondiaux. La croissance du PIB était de 9,5 % en 2004, alors que les exportations augmentaient de 30 % en 2003 et que les investissements étrangers atteignaient 53 milliards de dollars en 2002. Cette nouvelle situation ne trouve pas son impulsion dans les seules lois du marché, mais bel et bien dans le volontarisme du parti communiste chinois. L’émergence de sociétés de taille internationale a pour origine la volonté du pouvoir politi-que : rappelons qu’un membre du parti communiste siège dans chaque conseil d’administration d’une entreprise chinoise. L’ouverture sur le monde a obéi à une stratégie de puissance dont la première étape s’est achevée le 1er janvier 2002 par l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce.
La dynamique d’ouverture vécue en Inde répond également à une volonté de puissance afin de ne pas laisser à la Chine le leadership politique en Asie. Après avoir été colonisée par les Portugais puis par les Français et enfin les Anglais, la montée en régime de l’économie indienne est aujourd’hui considérée comme une revanche sur l’occident. L’Angleterre interdi-sait en effet à ses colonies la moindre production industrielle pour assurer des débouchés à ses propres industries. L’Inde a reçu 5,1 milliards de dollars d’investissements en 2003, soit 15 % des flux financiers en direction des pays émergeants. Ce facteur s’est combiné avec la montée en puissance des grands groupes. Si l’Inde est connue pour ses entreprises de services infor-matiques, elle est également présente dans l’industrie automobile, la pharmacie, les biotechnologies et les services financiers.
Certains diront que la Chine et L’Inde ne sont que de nouvelles terres dans la globalisation économique, comme l’étaient les pays de l’ASEAN dans les années 70. Nous répondrons que la différence vient du fait que leur masse démographique et leur volonté politique peuvent changer les données de l’économie mondiale. Leur entrée dans une économie d’échange sera obligatoirement soumises à certaines forces économiques, mais ces dernières seront fortement biaisées par la traduction d’un patriotisme visant à établir une position prépondérante dans le maximum de secteurs industriels. Ces deux pays ne se contentent déjà plus de n’être que les ateliers de l’Occident.
Le potentiel de croissance de la Chine et de l’Inde est tel qu’il faut intégrer dans les stratégies économiques l’idée que ces pays seront les premiers producteurs industriels de la planète. La Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Union européenne, des États-Unis et du Japon. L’Inde suit le même chemin.
Les groupes chinois et indiens recherchent à présent des partenariats avec les entreprises occi-dentales pour accéder à de meilleures technologies. Le risque pour les industries européennes, américaines et japonaises est de voir à terme les deux géants d’Asie capter une grande part de l’épargne et des centres de décision.
Les problématiques de la conquête des marchés asiatiques
Les grands groupes japonais, américains, allemands ou français sont aujourd’hui dans l’obligation de se livrer une guerre féroce en terre chinoise et indienne. La taille des marchés implique bien sûr des opportunités fabuleuses, mais les sommes en jeu sur l’échiquier concurrentiel sont tellement faramineuses que les entreprises perdantes peuvent se voir définitivement à terre et hors compétition. Les pratiques déloyales et la corruption sont de mise sur des terrains qui ne sont pas souvent des plus transparents. De plus, et c’est évidemment de bonne guerre, les autorités des deux pays (avec plus de vigueur pour la Chine), pressent aux transferts de technologie. Ces derniers s’effectuent selon un schéma classique :
- Assemblage de composants en sous-traitance de sociétés étrangères ;
- Échange de technologies lors de la constitution d’un joint venture ;
- Rachat de la participation de la société étrangère et constitution d’une société entière-ment chinoise.
Ne pas céder aux sirènes chinoises ou indiennes en refusant le transfert technologique n’est permis qu’aux firmes ayant seules la connaissance du produit qu’elles veulent imposer. L’ unique solution pour les entreprises détenant des savoirs clés quasi-identiques est de permettre ce transfert.
Les sociétés françaises doivent être hyperactives dans la conquête des marchés asiatiques afin de ne pas se faire dépasser par les concurrents américains ou japonais : pour certaines firmes, la taille des contrats représente une opportunité unique de changer la donne. Le transfert de technologie devient un mal nécessaire pour le développement de l’entreprise.
Mais cette posture obligatoire des sociétés occidentales en Asie les conduira dans quelques années à faire face à des entreprises chinoises et indiennes hyper compétitives. Ces dernières, soutenues par des machines de guerre politico-économique, s’apprêtent en effet à faire un grand bond dans leur rattrapage technologique. L’innovation apparaît alors comme le facteur clé des années à venir.
La R&D comme déterminant essentiel pour l’avenir
Si la France veut augmenter ses parts de marchés et accroître son influence en Asie, il lui fau-dra avoir une longueur d’avance sur les groupes chinois et indiens en matière technologique, et donc avoir fait un énorme effort de recherche et développement.
Si on mesure l’intensité de la R&D réalisée par les entreprises, par rapport au PIB, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’Union européenne (1,41 % du PIB contre 1,24 %). Cependant, elle est nettement distancée par les États-Unis (2,10 %), le Japon (2,28 %) et l’Allemagne (1,76 %). Enfin, dans la R&D des entreprises, la part exécutée dans les industries de haute technologie est notablement plus élevé aux États-Unis (45,8 %) qu’en Europe (41,5 %) et au Japon (39,3 %) (1).
En d’autre terme, si la France et plus largement l’Europe veulent jouer un rôle actif quand viendra l’heure de l’inéluctable déploiement de puissance des géants asiatiques, elle devra faire preuve d’une forte lucidité en matière d’innovation et de captage des technologies adver-ses…
BM
1. OCDE
Les civilisations chinoise et indienne sont plus anciennes que celles de l’Europe, et l’industrialisation est un vieux phénomène pour ces deux pays continents. Les exemples de réussite des temps anciens sont nombreux : l’imprimerie ou la poudre pour la Chine, l’excellence mathématique pour l’Inde… Mais c’est seulement depuis quelques années que ces deux pays ont changé leurs stratégies et influencent l’économie monde.
La Chine et l’Inde ont depuis deux siècles les bases d’une immense infrastructure industrielle : dans un premier temps grâce aux entreprises des concessions et aux colons britanniques, puis grâce aux investissements nationaux des gouvernements qui ont pris la relève. Le nationalisme propre aux deux pays est complètement intégré aux logiques économiques. Le principal investisseur de la Chine a été pendant longtemps l’armée. L’Inde a quant à elle refusé, en partie, l’aide financière de l’OCDE et a mis en place une industrie lourde (charbon, acier) et de biens de consommation (fer blanc, automobile, textile). C’est l’échec de l’économie dirigée qui a amené ces pays à s’ouvrir de manière contrôlée et à accepter les capitaux étrangers pour faire face aux besoins de leur immense population (1,2 milliards pour la Chine, 1 milliard pour l’Inde).
Dans les quinze dernières années, la Chine est passée d’une industrie lourde, centrée sur l’énergie et la sidérurgie, à une industrie diversifiée dont les produits sont concurrentiels sur les marchés mondiaux. La croissance du PIB était de 9,5 % en 2004, alors que les exportations augmentaient de 30 % en 2003 et que les investissements étrangers atteignaient 53 milliards de dollars en 2002. Cette nouvelle situation ne trouve pas son impulsion dans les seules lois du marché, mais bel et bien dans le volontarisme du parti communiste chinois. L’émergence de sociétés de taille internationale a pour origine la volonté du pouvoir politi-que : rappelons qu’un membre du parti communiste siège dans chaque conseil d’administration d’une entreprise chinoise. L’ouverture sur le monde a obéi à une stratégie de puissance dont la première étape s’est achevée le 1er janvier 2002 par l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce.
La dynamique d’ouverture vécue en Inde répond également à une volonté de puissance afin de ne pas laisser à la Chine le leadership politique en Asie. Après avoir été colonisée par les Portugais puis par les Français et enfin les Anglais, la montée en régime de l’économie indienne est aujourd’hui considérée comme une revanche sur l’occident. L’Angleterre interdi-sait en effet à ses colonies la moindre production industrielle pour assurer des débouchés à ses propres industries. L’Inde a reçu 5,1 milliards de dollars d’investissements en 2003, soit 15 % des flux financiers en direction des pays émergeants. Ce facteur s’est combiné avec la montée en puissance des grands groupes. Si l’Inde est connue pour ses entreprises de services infor-matiques, elle est également présente dans l’industrie automobile, la pharmacie, les biotechnologies et les services financiers.
Certains diront que la Chine et L’Inde ne sont que de nouvelles terres dans la globalisation économique, comme l’étaient les pays de l’ASEAN dans les années 70. Nous répondrons que la différence vient du fait que leur masse démographique et leur volonté politique peuvent changer les données de l’économie mondiale. Leur entrée dans une économie d’échange sera obligatoirement soumises à certaines forces économiques, mais ces dernières seront fortement biaisées par la traduction d’un patriotisme visant à établir une position prépondérante dans le maximum de secteurs industriels. Ces deux pays ne se contentent déjà plus de n’être que les ateliers de l’Occident.
Le potentiel de croissance de la Chine et de l’Inde est tel qu’il faut intégrer dans les stratégies économiques l’idée que ces pays seront les premiers producteurs industriels de la planète. La Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Union européenne, des États-Unis et du Japon. L’Inde suit le même chemin.
Les groupes chinois et indiens recherchent à présent des partenariats avec les entreprises occi-dentales pour accéder à de meilleures technologies. Le risque pour les industries européennes, américaines et japonaises est de voir à terme les deux géants d’Asie capter une grande part de l’épargne et des centres de décision.
Les problématiques de la conquête des marchés asiatiques
Les grands groupes japonais, américains, allemands ou français sont aujourd’hui dans l’obligation de se livrer une guerre féroce en terre chinoise et indienne. La taille des marchés implique bien sûr des opportunités fabuleuses, mais les sommes en jeu sur l’échiquier concurrentiel sont tellement faramineuses que les entreprises perdantes peuvent se voir définitivement à terre et hors compétition. Les pratiques déloyales et la corruption sont de mise sur des terrains qui ne sont pas souvent des plus transparents. De plus, et c’est évidemment de bonne guerre, les autorités des deux pays (avec plus de vigueur pour la Chine), pressent aux transferts de technologie. Ces derniers s’effectuent selon un schéma classique :
- Assemblage de composants en sous-traitance de sociétés étrangères ;
- Échange de technologies lors de la constitution d’un joint venture ;
- Rachat de la participation de la société étrangère et constitution d’une société entière-ment chinoise.
Ne pas céder aux sirènes chinoises ou indiennes en refusant le transfert technologique n’est permis qu’aux firmes ayant seules la connaissance du produit qu’elles veulent imposer. L’ unique solution pour les entreprises détenant des savoirs clés quasi-identiques est de permettre ce transfert.
Les sociétés françaises doivent être hyperactives dans la conquête des marchés asiatiques afin de ne pas se faire dépasser par les concurrents américains ou japonais : pour certaines firmes, la taille des contrats représente une opportunité unique de changer la donne. Le transfert de technologie devient un mal nécessaire pour le développement de l’entreprise.
Mais cette posture obligatoire des sociétés occidentales en Asie les conduira dans quelques années à faire face à des entreprises chinoises et indiennes hyper compétitives. Ces dernières, soutenues par des machines de guerre politico-économique, s’apprêtent en effet à faire un grand bond dans leur rattrapage technologique. L’innovation apparaît alors comme le facteur clé des années à venir.
La R&D comme déterminant essentiel pour l’avenir
Si la France veut augmenter ses parts de marchés et accroître son influence en Asie, il lui fau-dra avoir une longueur d’avance sur les groupes chinois et indiens en matière technologique, et donc avoir fait un énorme effort de recherche et développement.
Si on mesure l’intensité de la R&D réalisée par les entreprises, par rapport au PIB, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’Union européenne (1,41 % du PIB contre 1,24 %). Cependant, elle est nettement distancée par les États-Unis (2,10 %), le Japon (2,28 %) et l’Allemagne (1,76 %). Enfin, dans la R&D des entreprises, la part exécutée dans les industries de haute technologie est notablement plus élevé aux États-Unis (45,8 %) qu’en Europe (41,5 %) et au Japon (39,3 %) (1).
En d’autre terme, si la France et plus largement l’Europe veulent jouer un rôle actif quand viendra l’heure de l’inéluctable déploiement de puissance des géants asiatiques, elle devra faire preuve d’une forte lucidité en matière d’innovation et de captage des technologies adver-ses…
BM
1. OCDE