Au nombre des intervenants de la conférence du lundi 29 novembre « Existe-t-il des métiers stratégiques ? » (1), figurait notamment M. Didier Kling, en sa qualité de Président d’Honneur du Conseil National des Commissaires aux Comptes (CNCC) (2) et membre du Haut-Conseil du Commissariat aux Comptes. Or, ainsi qu’il ressortit de la conférence, ce métier est stratégique dans la mesure où le commissaire aux comptes a accès à l’ensemble des mouvements de fonds, reflets de l’activité et des choix de développement d’une entreprise. Parmi les missions du CNCC figure celle de veiller à la cohérence des normes élaborées en France concernant le métier de commissaire aux comptes et les normes internationales.Ces normes internationales sont essentiellement produites par le Public Company Accounting Oversight Board (3), une organisation privée mais à but non lucratif créée le 30 juillet 2002 par le Sarbanes-Oxley Act (4). Sa fonction déclarée est de « contrôler les auditeurs des entreprises afin de protéger les intérêts des investisseurs et de promouvoir l’intérêt public pour la préparation de rapports d’audit complet, honnête et indépendants » (5). Le but est donc a priori louable. Le problème est toutefois que le PCAOB s’est lui-même érigé de fait en instance productrice de normes internationales.
La première raison tient au fait que la quasi-totalité des grandes officines de contrôle des comptes sont anglo-saxonnes. A ce propos, à l’issue des interventions, M. Carayon s’interrogea sur l’absence d’un grand groupe d’audit européen. Réponse très simple et très pratique de M. Kling : qui dit audit, dit entreprises à auditer. Or, les grands groupes internationaux s’étant surtout constitués aux Etats-Unis, mécaniquement c’est outre-Atlantique que se sont apparues les grandes firmes d’audit financier. Un constat de surcroît renforcé par deux facteurs révélateurs du fossé entre les comportements européens et américains. Lorsqu’une entreprise américaine s’implante en Europe, elle fait systématiquement appel à des auditeurs américains. Mais le contraire n’est pas réciproque : les entreprises européennes n’emmènent pas leurs auditeurs européens lorsqu’elles s’installent aux Etats-Unis. Quant aux instances gouvernementales européennes, elles font elles aussi régulièrement appel à des firmes anglo-saxonnes pour examiner leurs comptes.
Il faut ajouter à cela que l’article 102 du Sarbanes-Oxley Act interdit d’exercer à tout cabinet américain de commissaires aux comptes qui ne serait pas enregistré auprès du PCAOB. Or, cette interdiction est élargie par l’article 106 à tous cabinets non-américains contrôlant les comptes d’une entreprise américaine. Pour mener à bien cette mission de contrôle, l’article 105 accorde au PCAOB un pouvoir d’investigation, aussi bien sur les cabinets d’audit que sur les entreprises auditées. Les modalités pratiques de ce pouvoir d’investigation furent détaillées par M. Kling : le PCAOB demande depuis peu à tout cabinet auditant une société cotée aux Etats-Unis de lui envoyer un formulaire comportant des renseignements :
• Concernant les personnes d’une part : devraient lui être signalées toutes les procédures aussi bien pénales que civiles touchant les dirigeants et les associés de la société en question.
• Concernant les comptes d’autre part: dans la mesure où le PCAOB est habilité au contrôle de qualité de l’examen des comptes, il demande un droit d’accès à tous les dossiers sans exception, depuis ceux de la holding jusqu`à la moindre filiale. Par prudence, une copie intégrale de ces dossiers devrait être envoyée à son siège aux Etats-Unis.
Il est évident qu’une transparence poussée à cet extrême serait suicidaire pour certaines entreprises. Certes, cette volonté de transparence est profondément ancrée au sein de la culture américaine. On pourrait néanmoins voir dans cette obligation un énième épisode de la « guerre des normes » initiée depuis maintenant une bonne dizaine d’années par les Etats-Unis : utiliser leur position dominante pour imposer des normes internationales pérennisant cette position.
Une telle explication résoudrait en tout cas le paradoxe par lequel M. Kling débuta son exposé : paradoxe apparent entre son métier dédié à la transparence et l’idée de dissimulation qu’il croyait inhérente à la notion d’intelligence économique. L’intelligence économique au contraire postule qu’aujourd’hui la domination ne s’effectue plus par la violence, mais par des moyens parfaitement légaux, voire moraux. Le CNCC est actuellement en négociation avec le PCAOB concernant l’utilisation de ce formulaire. Le risque est pour autant de taille : le PCAOB pourrait en rétorsion refuser de reconnaître la validité de la signature des cabinets d’audit français.
Antoine Schmitt
EGE Promotion 2005
1. Organisée sous l’égide de M. le député Bernard Carayon.
2. www.cncc.fr
3. www.pcaobus.org
4. Texte intégral disponible sur le site du PCAOB.
5. Traduit de l’Américain : « A private-sector, non-profit corporation, created by the sarbanes-Oxley Act of 2002 to oversee the auditors of public companies in order to protect the interests of investors and further the public interest in the preparation of informative fair and independent audit reports ».
La première raison tient au fait que la quasi-totalité des grandes officines de contrôle des comptes sont anglo-saxonnes. A ce propos, à l’issue des interventions, M. Carayon s’interrogea sur l’absence d’un grand groupe d’audit européen. Réponse très simple et très pratique de M. Kling : qui dit audit, dit entreprises à auditer. Or, les grands groupes internationaux s’étant surtout constitués aux Etats-Unis, mécaniquement c’est outre-Atlantique que se sont apparues les grandes firmes d’audit financier. Un constat de surcroît renforcé par deux facteurs révélateurs du fossé entre les comportements européens et américains. Lorsqu’une entreprise américaine s’implante en Europe, elle fait systématiquement appel à des auditeurs américains. Mais le contraire n’est pas réciproque : les entreprises européennes n’emmènent pas leurs auditeurs européens lorsqu’elles s’installent aux Etats-Unis. Quant aux instances gouvernementales européennes, elles font elles aussi régulièrement appel à des firmes anglo-saxonnes pour examiner leurs comptes.
Il faut ajouter à cela que l’article 102 du Sarbanes-Oxley Act interdit d’exercer à tout cabinet américain de commissaires aux comptes qui ne serait pas enregistré auprès du PCAOB. Or, cette interdiction est élargie par l’article 106 à tous cabinets non-américains contrôlant les comptes d’une entreprise américaine. Pour mener à bien cette mission de contrôle, l’article 105 accorde au PCAOB un pouvoir d’investigation, aussi bien sur les cabinets d’audit que sur les entreprises auditées. Les modalités pratiques de ce pouvoir d’investigation furent détaillées par M. Kling : le PCAOB demande depuis peu à tout cabinet auditant une société cotée aux Etats-Unis de lui envoyer un formulaire comportant des renseignements :
• Concernant les personnes d’une part : devraient lui être signalées toutes les procédures aussi bien pénales que civiles touchant les dirigeants et les associés de la société en question.
• Concernant les comptes d’autre part: dans la mesure où le PCAOB est habilité au contrôle de qualité de l’examen des comptes, il demande un droit d’accès à tous les dossiers sans exception, depuis ceux de la holding jusqu`à la moindre filiale. Par prudence, une copie intégrale de ces dossiers devrait être envoyée à son siège aux Etats-Unis.
Il est évident qu’une transparence poussée à cet extrême serait suicidaire pour certaines entreprises. Certes, cette volonté de transparence est profondément ancrée au sein de la culture américaine. On pourrait néanmoins voir dans cette obligation un énième épisode de la « guerre des normes » initiée depuis maintenant une bonne dizaine d’années par les Etats-Unis : utiliser leur position dominante pour imposer des normes internationales pérennisant cette position.
Une telle explication résoudrait en tout cas le paradoxe par lequel M. Kling débuta son exposé : paradoxe apparent entre son métier dédié à la transparence et l’idée de dissimulation qu’il croyait inhérente à la notion d’intelligence économique. L’intelligence économique au contraire postule qu’aujourd’hui la domination ne s’effectue plus par la violence, mais par des moyens parfaitement légaux, voire moraux. Le CNCC est actuellement en négociation avec le PCAOB concernant l’utilisation de ce formulaire. Le risque est pour autant de taille : le PCAOB pourrait en rétorsion refuser de reconnaître la validité de la signature des cabinets d’audit français.
Antoine Schmitt
EGE Promotion 2005
1. Organisée sous l’égide de M. le député Bernard Carayon.
2. www.cncc.fr
3. www.pcaobus.org
4. Texte intégral disponible sur le site du PCAOB.
5. Traduit de l’Américain : « A private-sector, non-profit corporation, created by the sarbanes-Oxley Act of 2002 to oversee the auditors of public companies in order to protect the interests of investors and further the public interest in the preparation of informative fair and independent audit reports ».