La normalisation en matière de téléphonie mobile et la stratégie de la Chine

Cadre stratégique : l'enjeu de la normalisation dans le secteur de la téléphonie mobile

De quoi s'agit-il :
La norme est un document établi par consensus et approuvé par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et répétés , des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d'ordre optimal dans un contexte donné (1).
Quels sont les acteurs :
La normalisation institutionnelle obéit à une découpe sectorielle (généraliste, électrotechnique, télécoms) dans un cadre à trois niveaux : l’international, le régional et le niveau national.

Cependant la "sphère" de la normalisation s'étend régulièrement au-delà des structures de normalisation institutionnelles. Divers forums industriels gravitent maintenant autour des divers organismes institutionnels internationaux, régionaux, nationaux et prennent une influence grandissante (2).

En quoi la normalisation peut elle participer à une stratégie de puissance :
La normalisation conduit à des choix techniques et industriels qui ont un impact décisif sur l’évolution des marchés au niveau mondial et sur leurs acteurs. C'est d'autant plus vrai dans le secteur des télécommunications qu'il s'agit d'industries de réseau, soumises à des impératifs d'interopérabilité et dans lesquelles les choix technologiques structurent les marchés pour plusieurs années (3).

Une norme n’est jamais neutre et reflète le consensus et l’influence des intervenants dans le processus. Elle peut également constituer un puissant levier de promotion appuyant ainsi une stratégie de conquête de marché (4).

A l'occasion de sa visite au ministère français de l'industrie en mai 2004, le directeur chinois de la section télécommunications de l'UIT (5), Monsieur Houlin Zaho a introduit ses propos par la citation suivante (6) :
« La plus tumultueuse des batailles à la compétitivité sera relative au normes. De nouvelles normes peuvent être à la source de ressources gigantesques ou la mort d'empires colossaux. Avec autant d'enjeu, les normes suscitent des passions violentes ».

Or, si le processus de normalisation ne relève pas de la seule responsabilité des Etats, ceux-ci sont partie prenante des décisions stratégiques adoptées. C'est spécialement vrai en ce qui concerne la normalisation de la téléphonie mobile de troisième génération (3G) qui préfigure celle de la quatrième génération (4G).

La Chine semble avoir parfaitement maîtrisé l'échiquier complexe de la normalisation et avoir d'ores et déjà assis sa puissance sur le marché de la 3G et à plus longue échéance, de la 4G.

2- Cadre tactique : la stratégie de puissance de la Chine en matière de normalisation 3G et 4G

Création d'une norme concurrente :
En 1998, l’ETSI (7), a sélectionné l'UMTS comme successeur du GSM, avec deux composantes radio :
– W- CDMA (soutenu par l'Europe, le Japon et la Chine);
– TD/CDMA, (soutenu par les Etats-Unis).

Les acteurs anticipaient que le marché chinois mobile se partagerait entre le W-CDMA et le CDMA 2000.

En 1999, le gouvernement chinois a demandé à Datang Telecom de développer une norme inspirée du W-CDMA, le TD-SCDMA, en partenariat avec Siemens.

Un suspense habilement entretenu autour du calendrier d'octroi des licences de 3G :
La Chine n'a pas communiqué sur le calendrier de l'octroi des licences 3G.

La norme TD-SCDMA qui avait suscité le scepticisme de la part de la communauté scientifique a commencé à être testée par des équipementiers non présents sur le marché chinois en septembre 2001. Compte tenu de l'octroi « imminent » des licences, les équipementiers ne pouvaient pas faire l'impasse sur cette norme dissidente au risque sinon de louper leur entrée sur le 1er marché mobile mondial.

La Commission Européenne a réagit tardivement (novembre 2002) en demandant (vainement) à la Chine de ne pas développer une norme concurrente au W-CDMA. Cette réaction est intervenue 5 mois après que le gouvernement chinois ait autorisé Siemens et Datang communication à bâtir un réseau TD-SCDMA (8).

Les différents acteurs du secteur ont commencé à se livrer une bataille concurrentielle forte ce qui a eu pour effet de renforcer l'offre existante sur les différents équipements des trois normes et de permettre à la Chine de mettre en concurrence ses propres partenaires (baisse des prix, stimulation de l'innovation).

Aujourd'hui tous les acteurs du secteur invitent la Chine à ne plus différer l'octroi des licences de 3G sur son territoire. A l'occasion du 5ème forum IMT 2000 en mai 2004, le ministre de l'industrie chinois a indiqué que les licences seront attribuées « en fonction de la maturité du marché ».

Un comité d'experts a même été mis en place par le gouvernement chinois avec l'objectif annoncé de « relancer le processus de définition des conditions d'octroi des licences ».

Un positionnement favorable vers la 4G

En réalité les licences de 3G seront attribuées en Chine lorsque la norme TD-SCDMA sera parfaitement mature et que les travaux en direction de la 4G seront bien installés.

Optiquement, China Mobile, le premier opérateur mobile chinois semble devoir se rallier à la norme TD-SCDMA (9), mais des rumeurs persistantes font état de travaux de China Mobile sur la norme chinoise.

En janvier 2003, le gouvernement chinois a exprimé pour la première fois de manière aussi claire qu'il ne souhaite pas que la chine soit, à quelque degré que ce soit, dépendante des technologies des pays de l'ouest en matière de télécommunications.

Il est en train de s'en est donné les moyens : en 2012 la Chine maîtrisera de bout en bout la technologie TD-SCDMA et n'aura plus besoin de s'appuyer sur des sociétés occidentales pour en espérer un transfert de technologie.
Mais pas seulement : les travaux menés par la Chine sur la norme TD-SCDMA la poseront vraisemblablement en excellente position pour développer un standard de 4G de manière autonome.
Compte tenu de la taille du marché chinois, une norme « nationale » habilement mise en place pourrait s'imposer mondialement, plaçant ainsi les entreprises chinoises en position de puissance.

Béatrice Cospérec
Ecole de Guerre Economique

. Définition proposée par International organisation for standardisation (ISO): www.iso.ch
2. Dossier normalisation de l'Autorité de régulation des télécommunications www.art-telecom.fr/grandsdossiers/normalisation
3. 8emes entretiens de l'ART « normalisation et régulation » 28 octobre 2002.
4. Extrait de l'étude publiée en septembre 2004 par le cabinet Deloitte www.deloitte.com
5. L’UIT est une organisation internationale faisant partie du système des Nations Unies dans laquelle les gouvernements et le secteur privé coordonnent les réseaux et les services de télécommunications au niveau mondial.: www.itu.int
6. Ces propos avaient été publiés le 23 février 1993 dans « The Economist »
7. Organisme européen de normalisation
8. Ce réseau a été présenté non pas comme un réseau mobile de 3G, mais comme un palliatif à la carence du réseau fixe en Chine.
9. China Mobile utilise le GSM en 2G ceui la positionne naturellement vers W-CDMA et non pas vers la norme américaine CDMA 2000