L’« émergence pacifique » (he ping jue qi) de la Chine est un nouveau concept qui réapparaît régulièrement dans les discours des dirigeants chinois depuis janvier 2004. Inventé par Zhen Bijian, ancien Vice Principal de l’Ecole Centrale du PCC fin 2003 et présenté par Hu Jintao et Wen Jiabao comme le socle central d’une nouvelle diplomatie chinoise, elle proclame publiquement l’ambition de puissance de la Chine et se veut en même temps rassurante pour les pays voisins et pour ses alliés ou adversaires potentiels. Quelles priorités pour la Chine ? Revanche ? Croissance ? Une Chine partagée entre rêve et pragmatisme.
Un peuple ne s’auto-proclame pas « Empire du milieu » pour rien. Malgré son histoire récente faite d’humiliations ou ressentie comme telle, la Chine ne peut pas effacer de sa mémoire collective son passé glorieux. Au contraire, un des moteurs essentiels de sa stratégie de puissance d’aujourd’hui se situe dans cette volonté de retrouver sa place centrale sur l’échiquier international de demain. Dans les pires moments d’exacerbation nationaliste ou de mégalomanie, cela se traduit même par l’idée de revanche à prendre sur le monde. Ceci constitue un premier axe de compréhension de la Chine : quelle passion l’anime, quel rêve la mobilise ?
Cependant, une autre constante traverse l’histoire de la civilisation chinoise : le pragmatisme. Slogans maoïstes mis à part, on en veut pour preuve la « cohabitation pacifique » entre les différentes religions. Les guerres de religion si présentes dans l’occident constituent une anomalie en Chine puisqu’un Chinois « croit » en ce qui lui est utile que ce soit une divinité ou un dogme idéologique, un calcul purement personnel et respecté comme tel. Autre exemple révélateur : la juxtaposition impensable mais bien chinoise du « socialisme de marché ». On l’aura deviné, le pragmatisme constitue l’axe rationnel de compréhension de la Chine : quelle logique suit-elle, en quel terme raisonne t-elle ?
Ces deux axes de repère nous permettent d’appréhender le concept d’« émergence pacifique » dans le cadre stratégique précis de la Chine : une volonté de puissance encadrée par un pragmatisme qui lui impose de considérer avec lucidité sa posture stratégique. Quelle est donc cette posture ? Sans entrer dans les détails et pour peu que l’on soit réaliste, chacun conviendra que face à l’hégémonie américaine et à ses nombreux alliés, la Chine même si elle dispose de plus en plus d’atouts, est dans un rapport du faible au fort et adopte les stratégies qui en découlent logiquement. En effet, les nombreux problèmes internes auxquels elle fait face lui imposent de maintenir une croissance forte, or ce sont bien les échanges avec l’Asie Pacifique, dont une grande partie avec les Etats-Unis qui permettent cette croissance.
L’« émergence pacifique » étant une construction parfaitement cohérente avec cette analyse de la situation chinoise, comment doit-on la considérer ? Voeux pieux pacifistes ? Diplomatie de puissance ? Déclaration vers l’intérieur du pays ? Manifestement, il y a double langage à la fois vers l’extérieur et l’intérieur du pays. On en revient finalement au dilemme de la muraille de Chine : sert-elle à se protéger ou à se cacher des autres ?
Analyse des enjeux : Acteurs et contradictions des intérêts
L’apparition d’un concept d’« émergence pacifique » pose en effet une question centrale quant à la réalité ou même de faisabilité de la stratégie de puissance de la Chine. Effectivement, ce concept doit en tant que symbole d’une nouvelle diplomatie satisfaire et rassurer les acteurs externes que sont : Etats-Unis, Japon, Taiwan, Corée, Australie, Indochine, Russie, Inde, Asie du Sud et éventuellement l’Europe. D’une part, il faudrait que la diplomatie chinoise puisse éliminer les préventions contre le « risque chinois », desserrer l’étau des alliances américaines pour contrer une stratégie d’encerclement et en même temps éviter d’être enfermée dans une rhétorique pacifiste qui lui enlève toute légitimité dans ses options militaires (notamment sur la question de Taiwan). On le voit bien, l’« émergence pacifique » de la Chine est plutôt une stratégie défensive même si c’est une défense active. Le versant offensif de la stratégie de puissance chinoise se situant quant à lui dans le fait de diviser pour régner (partage-attribution du marché chinois aux étrangers). Un paradoxe apparaît déjà : les objectifs de la diplomatie chinoise sont-elles conciliables entre-elles ?
Plus importantes et sans doute plus dangereux encore pour la Chine sont ses nombreuses contradictions internes. Effectivement, dans le cas de la Chine on aurait raison de dire que l’oubli des acteurs internes est une erreur grave qui dépasse le statut d’erreur méthodologique pour devenir une faute d’analyse. La Chine, empire étendu, a toujours dû se préoccuper en premier lieu de son unité avant de pouvoir se soucier de son influence à l’extérieur. Or si on jette un coup d’oeil sur la liste des acteurs internes et de leurs intérêts divergents, on comprend que la priorité première des dirigeants chinois dits de la 4è génération soit de « renforcer la capacité de direction du Parti » : dirigeants 3è génération/4è génération du PCC (lutte de pouvoir), ALP (armée), population rurale (nationalisme puis croissance)/population urbaine côtière (croissance puis nationalisme), autorités locales (décentralisation)/instances nationales (centralisation) ... Dès lors, il faut comprendre que le concept d’« émergence pacifique » s’il est apparu sur la scène internationale, s’adresse sans doute aussi en partie si ce n’est en majorité à l’ensemble des acteurs internes du pays. Une telle équation d’intérêts divergeants est-elle soluble ? Apparemment, la solution trouvée s’appelle l’« émergence pacifique » de la Chine.
Reconnaissons au passage la virtuosité avec laquelle les chinois sont passés maître dans le maniement du double langage : dans les langues occidentales, les expressions « émergence pacifique » ou « peaceful rise », mettent plus ou moins l’accent sur les adjectifs « pacifique » et « peaceful » qui qualifient respectivement les noms « émergence » et « rise », alors que dans le chinois l’expression « he ping jue qi » juxtapose simplement les idéogrammes signifiant « paix » et « émergence » sans mettre en valeur l’un des deux termes, ce qui permet une interprétation favorable selon la situation de l’acteur interne. Ce concept finalement passe-partout représente donc un bricolage susceptible de concilier en apparence les intérêts contradictoires de quasiment tous les acteurs internes ou externes ... Est-ce que cela suffira pour réduire les contradictions grandissantes et permettre à la Chine de traverser une mauvaise passe ? L’avenir nous le dira.
Quant aux répercussions de cette vraie fausse nouvelle diplomatie et ce qu’elle révèle sur la véritable stratégie de puissance de la Chine pour les acteurs externes, on nous permettra d’en juger plus tard après avoir appliquer le « guan qi xing, ting qi yan » (Wait and See) si cher aux dirigeants de la République Populaire de Chine.
Christophe CHAN
EGE promo 2005
Un peuple ne s’auto-proclame pas « Empire du milieu » pour rien. Malgré son histoire récente faite d’humiliations ou ressentie comme telle, la Chine ne peut pas effacer de sa mémoire collective son passé glorieux. Au contraire, un des moteurs essentiels de sa stratégie de puissance d’aujourd’hui se situe dans cette volonté de retrouver sa place centrale sur l’échiquier international de demain. Dans les pires moments d’exacerbation nationaliste ou de mégalomanie, cela se traduit même par l’idée de revanche à prendre sur le monde. Ceci constitue un premier axe de compréhension de la Chine : quelle passion l’anime, quel rêve la mobilise ?
Cependant, une autre constante traverse l’histoire de la civilisation chinoise : le pragmatisme. Slogans maoïstes mis à part, on en veut pour preuve la « cohabitation pacifique » entre les différentes religions. Les guerres de religion si présentes dans l’occident constituent une anomalie en Chine puisqu’un Chinois « croit » en ce qui lui est utile que ce soit une divinité ou un dogme idéologique, un calcul purement personnel et respecté comme tel. Autre exemple révélateur : la juxtaposition impensable mais bien chinoise du « socialisme de marché ». On l’aura deviné, le pragmatisme constitue l’axe rationnel de compréhension de la Chine : quelle logique suit-elle, en quel terme raisonne t-elle ?
Ces deux axes de repère nous permettent d’appréhender le concept d’« émergence pacifique » dans le cadre stratégique précis de la Chine : une volonté de puissance encadrée par un pragmatisme qui lui impose de considérer avec lucidité sa posture stratégique. Quelle est donc cette posture ? Sans entrer dans les détails et pour peu que l’on soit réaliste, chacun conviendra que face à l’hégémonie américaine et à ses nombreux alliés, la Chine même si elle dispose de plus en plus d’atouts, est dans un rapport du faible au fort et adopte les stratégies qui en découlent logiquement. En effet, les nombreux problèmes internes auxquels elle fait face lui imposent de maintenir une croissance forte, or ce sont bien les échanges avec l’Asie Pacifique, dont une grande partie avec les Etats-Unis qui permettent cette croissance.
L’« émergence pacifique » étant une construction parfaitement cohérente avec cette analyse de la situation chinoise, comment doit-on la considérer ? Voeux pieux pacifistes ? Diplomatie de puissance ? Déclaration vers l’intérieur du pays ? Manifestement, il y a double langage à la fois vers l’extérieur et l’intérieur du pays. On en revient finalement au dilemme de la muraille de Chine : sert-elle à se protéger ou à se cacher des autres ?
Analyse des enjeux : Acteurs et contradictions des intérêts
L’apparition d’un concept d’« émergence pacifique » pose en effet une question centrale quant à la réalité ou même de faisabilité de la stratégie de puissance de la Chine. Effectivement, ce concept doit en tant que symbole d’une nouvelle diplomatie satisfaire et rassurer les acteurs externes que sont : Etats-Unis, Japon, Taiwan, Corée, Australie, Indochine, Russie, Inde, Asie du Sud et éventuellement l’Europe. D’une part, il faudrait que la diplomatie chinoise puisse éliminer les préventions contre le « risque chinois », desserrer l’étau des alliances américaines pour contrer une stratégie d’encerclement et en même temps éviter d’être enfermée dans une rhétorique pacifiste qui lui enlève toute légitimité dans ses options militaires (notamment sur la question de Taiwan). On le voit bien, l’« émergence pacifique » de la Chine est plutôt une stratégie défensive même si c’est une défense active. Le versant offensif de la stratégie de puissance chinoise se situant quant à lui dans le fait de diviser pour régner (partage-attribution du marché chinois aux étrangers). Un paradoxe apparaît déjà : les objectifs de la diplomatie chinoise sont-elles conciliables entre-elles ?
Plus importantes et sans doute plus dangereux encore pour la Chine sont ses nombreuses contradictions internes. Effectivement, dans le cas de la Chine on aurait raison de dire que l’oubli des acteurs internes est une erreur grave qui dépasse le statut d’erreur méthodologique pour devenir une faute d’analyse. La Chine, empire étendu, a toujours dû se préoccuper en premier lieu de son unité avant de pouvoir se soucier de son influence à l’extérieur. Or si on jette un coup d’oeil sur la liste des acteurs internes et de leurs intérêts divergents, on comprend que la priorité première des dirigeants chinois dits de la 4è génération soit de « renforcer la capacité de direction du Parti » : dirigeants 3è génération/4è génération du PCC (lutte de pouvoir), ALP (armée), population rurale (nationalisme puis croissance)/population urbaine côtière (croissance puis nationalisme), autorités locales (décentralisation)/instances nationales (centralisation) ... Dès lors, il faut comprendre que le concept d’« émergence pacifique » s’il est apparu sur la scène internationale, s’adresse sans doute aussi en partie si ce n’est en majorité à l’ensemble des acteurs internes du pays. Une telle équation d’intérêts divergeants est-elle soluble ? Apparemment, la solution trouvée s’appelle l’« émergence pacifique » de la Chine.
Reconnaissons au passage la virtuosité avec laquelle les chinois sont passés maître dans le maniement du double langage : dans les langues occidentales, les expressions « émergence pacifique » ou « peaceful rise », mettent plus ou moins l’accent sur les adjectifs « pacifique » et « peaceful » qui qualifient respectivement les noms « émergence » et « rise », alors que dans le chinois l’expression « he ping jue qi » juxtapose simplement les idéogrammes signifiant « paix » et « émergence » sans mettre en valeur l’un des deux termes, ce qui permet une interprétation favorable selon la situation de l’acteur interne. Ce concept finalement passe-partout représente donc un bricolage susceptible de concilier en apparence les intérêts contradictoires de quasiment tous les acteurs internes ou externes ... Est-ce que cela suffira pour réduire les contradictions grandissantes et permettre à la Chine de traverser une mauvaise passe ? L’avenir nous le dira.
Quant aux répercussions de cette vraie fausse nouvelle diplomatie et ce qu’elle révèle sur la véritable stratégie de puissance de la Chine pour les acteurs externes, on nous permettra d’en juger plus tard après avoir appliquer le « guan qi xing, ting qi yan » (Wait and See) si cher aux dirigeants de la République Populaire de Chine.
Christophe CHAN
EGE promo 2005