Dans son article premier, la loi sur l'eau de 1992 considère que "l'eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. L'usage de l'eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis." A partir de cette déclaration, nombreux sont ceux qui ont conclu que l'eau ne devait en aucun cas être considéré comme un bien marchand. Qu'une entreprise privée soit en charge des services liés à l'eau (distribution de l'eau potable, collecte et traitement des eaux usées) signifiait que l'on renonçait à sa définition de bien universel. Ces personnes militent pour une gestion directe des services publics par la collectivité car elle seule est à même d'atteindre l'objectif d'intérêt général. Au contraire, lorsque le service public est confié à une entreprise privée l'objectif unique est financier forcément aux dépens des usagers du service.Ces dernières années la participation du secteur privé dans la gestion des réseaux d'eau a été très active, particulièrement dans les pays en développement où le nombre de concessions pour les services d'eau a eu une croissance très forte. Toutefois récemment, on observe un changement radical de la politique des multinationales privées : le cercle vertueux de l'investissement qui apporte plus d'efficacité, qui elle-même ouvre plus de marchés en provenance d'autres pays, semble rompu. En effet, les expériences malheureuses dans certains pays confrontés à des problèmes monétaires comme en Argentine ont conduit plusieurs grands groupes privés à se retirer de nombreux projets trop risqués, ce qui a fait dire aux opposants du partenariat privé que les solutions proposées pour amener de l'argent frais dans les circuits de financement des services d'eau n'étaient pas les bonnes.
En France, les problèmes de corruption qui sont apparus au grand jour dans les années 1990 lors des passations de marché pour les services d'eau et les différents éclats sur la qualité de la ressource et de l'eau consommée ont fini de parfaire l'amalgame qui se fait injustement entre le service public, les entreprises privées, et les problèmes liés à l'eau. On ne peut pas dire que le service public est moins bien assuré quand il est confié à une entreprise privée, parce que celle-ci évolue dans le même environnement réglementaire que les régies et qu'elle est contrainte de respecter les mêmes principes : égalité des usagers devant le service (en ce qui concerne l'accès, les prestations, le tarif), continuité du service, mutabilité du service (adaptation pour l'intérêt général), et depuis peu, transparence et participation des usagers.
Par ailleurs, les différentes études "pour grand public" sur le prix de l'eau concluent à une surfacturation des services pratiqués par les opérateurs privés. Il est vrai qu'il est crucial de comparer les prix de l'eau qui varient d'une commune à une autre, mais à condition de comparer ce qui est comparable. Des études très récentes et plus poussées dans le domaine montrent que l'écart entre le public et le privé n'est pas si grand et qu'un prix plus élevé en gestion déléguée est souvent justifié par un service plus complexe qu'une régie était incapable de gérer efficacement. Toutefois, chaque municipalité négociant son contrat d'eau est confrontée à un pouvoir de négociation déséquilibré en faveur d'un géant de l'industrie de l'eau ainsi qu'à un déficit d'informations sur les coûts d'exploitation. Et cette entreprise peut utiliser stratégiquement cet avantage pour augmenter ses profits. C'est pourquoi il est primordial d'instaurer une régulation efficace des entreprises privées en arbitrant entre le degré d'efficacité d'exploitation et le contrôle des profits. En définitive, ce n'est pas le choix entre public et privé qui est crucial, mais plutôt le contrôle de la gestion des services d'eau que les communes ont souvent perdu.
Une fois n'est pas coutume, la France est un pays pionnier en ce qui concerne la participation des entreprises privées dans la gestion de l'eau à tel point que l'on parle d'école française de l'eau. Hormis l'Angleterre et le Pays de Galles où le secteur de l'eau est l'unique expérience de privatisation (avec vente des actifs), c'est en France que l'on observe la part la plus importante d'entreprises privées en charge de l'exploitation des réseaux d'eau. Aujourd'hui huit habitants sur dix sont desservis par un opérateur privé. Trois grand groupes transnationaux se partagent 98% du marché délégué au privé : VEOLIA Environnement (via Générale des eaux filiale de VEOLIA Water), SUEZ (via Ondeo) et Bouygues (via SAUR, Société d'aménagement Urbain et Rural). La possibilité pour les communes de déléguer la gestion des services d'eau à un opérateur privé est très ancienne et a connu une expansion constante à partir du milieu du 19ème siècle. C'est en 1853 qu'un décret impérial autorise la création de la Compagnie Générale des Eaux, société anonyme, qui obtient sa première concession de service public de distribution d'eau à Lyon en 1856 pour une durée de 99 ans. La Lyonnaise des eaux et de l'éclairage a été fondée en 1880. Elle est vite devenue un interlocuteur central lorsque les municipalités décidaient de concéder les services publics de distribution d'eau et de gaz puis d'électricité.
La rigueur de normes européennes sur l'eau potable et l'assainissement a accru grandement la complexité technique des traitements de l'eau et a conduit les systèmes de gestion locale à plus de professionnalisation parce que les technologies nécessaires impliquaient un degré élevé de spécialisation. Ceci combiné avec une nécessité croissante de recouvrement des coûts en raison de l'augmentation des déficits publics a eu comme principale conséquence d'accroître les besoins de financement et donc de faire appel à des partenaires privés externes.
Ondeo est le numéro un mondial en population desservie (125 millions d'habitants à travers le monde) des services d'eau potable et d'assainissement. La Générale des eaux arrivent juste derrière avec 110 millions d'habitants desservis mais est leader en France avec 26 millions de personnes desservies en eau potable et 19 millions en assainissement. Son chiffre d'affaires s'élève en 2003 à environ 11 milliards d'euros qui représentent 30% du chiffre d'affaires total de VEOLIA Environnement. Elles sont classées parmi les 100 plus grosses compagnies du monde par Global Fortune 500. La SAUR (le petit poucet mais 4ème mondial tout de même) est aussi résolument tournée vers l'international où elle dessert 29 millions d'habitants (et 6 millions en France). Ainsi, nos trois compagnies françaises possèdent ou ont des intérêts dans des compagnies des eaux dans plus de 100 pays et contrôlent à elles seules 40% du marché mondial de l'eau confié au privé. Seule vraie rivale dans le secteur avec sa position de troisième mondial, la RWE, géant de l'énergie en Allemagne, et sa filiale britannique la Thames Water a réussi à entrer sur le marché américain avec l'acquisition du leader national American Water Works.
Ces entreprises ont un savoir-faire historique dans l'eau et un haut niveau de compétence technique grâce notamment aux investissements réalisés dans la recherche et le développement. Elles profitent également des synergies importantes avec des filiales dans les secteurs de la propreté et des BTP pour offrir une plus large gamme de service tout en réduisant leurs coûts et réalisant des gains de productivité. Elles proposent ainsi aux industriels des services d'externalisation de la gestion des eaux de process et de l'assainissement ainsi que la gestion des déchets industriels allant de la construction des usines de traitement à l'exploitation complète du cycle de l'eau et des déchets.
Dans la perspective de la libéralisation du secteur de l'eau dans l'Union européenne avec l'ouverture des marchés (ou d'une partie de ces marchés) aux opérateurs privés, l'enjeu est de taille pour nos entreprises championnes puisqu'on prévoit à l'horizon 2010 une augmentation de 500 % de la population mondiale alimentée par le secteur privé. La conquête de l'or bleue va donc attirer de plus en plus de grandes entreprises spécialisées et peut-être accroître la concurrence dans un secteur très concentré. On espère ainsi que la ressource (rare) sera allouée plus efficacement, que le prix reflètera les vrais coûts pour donner les bonnes incitations aux usagers, mais aussi que cela permettra de remédier au fait que presque deux milliards de personnes dans le monde n'ont pas encore accès à l'eau potable.
Serge Garcia, chercheur en économie.
En France, les problèmes de corruption qui sont apparus au grand jour dans les années 1990 lors des passations de marché pour les services d'eau et les différents éclats sur la qualité de la ressource et de l'eau consommée ont fini de parfaire l'amalgame qui se fait injustement entre le service public, les entreprises privées, et les problèmes liés à l'eau. On ne peut pas dire que le service public est moins bien assuré quand il est confié à une entreprise privée, parce que celle-ci évolue dans le même environnement réglementaire que les régies et qu'elle est contrainte de respecter les mêmes principes : égalité des usagers devant le service (en ce qui concerne l'accès, les prestations, le tarif), continuité du service, mutabilité du service (adaptation pour l'intérêt général), et depuis peu, transparence et participation des usagers.
Par ailleurs, les différentes études "pour grand public" sur le prix de l'eau concluent à une surfacturation des services pratiqués par les opérateurs privés. Il est vrai qu'il est crucial de comparer les prix de l'eau qui varient d'une commune à une autre, mais à condition de comparer ce qui est comparable. Des études très récentes et plus poussées dans le domaine montrent que l'écart entre le public et le privé n'est pas si grand et qu'un prix plus élevé en gestion déléguée est souvent justifié par un service plus complexe qu'une régie était incapable de gérer efficacement. Toutefois, chaque municipalité négociant son contrat d'eau est confrontée à un pouvoir de négociation déséquilibré en faveur d'un géant de l'industrie de l'eau ainsi qu'à un déficit d'informations sur les coûts d'exploitation. Et cette entreprise peut utiliser stratégiquement cet avantage pour augmenter ses profits. C'est pourquoi il est primordial d'instaurer une régulation efficace des entreprises privées en arbitrant entre le degré d'efficacité d'exploitation et le contrôle des profits. En définitive, ce n'est pas le choix entre public et privé qui est crucial, mais plutôt le contrôle de la gestion des services d'eau que les communes ont souvent perdu.
Une fois n'est pas coutume, la France est un pays pionnier en ce qui concerne la participation des entreprises privées dans la gestion de l'eau à tel point que l'on parle d'école française de l'eau. Hormis l'Angleterre et le Pays de Galles où le secteur de l'eau est l'unique expérience de privatisation (avec vente des actifs), c'est en France que l'on observe la part la plus importante d'entreprises privées en charge de l'exploitation des réseaux d'eau. Aujourd'hui huit habitants sur dix sont desservis par un opérateur privé. Trois grand groupes transnationaux se partagent 98% du marché délégué au privé : VEOLIA Environnement (via Générale des eaux filiale de VEOLIA Water), SUEZ (via Ondeo) et Bouygues (via SAUR, Société d'aménagement Urbain et Rural). La possibilité pour les communes de déléguer la gestion des services d'eau à un opérateur privé est très ancienne et a connu une expansion constante à partir du milieu du 19ème siècle. C'est en 1853 qu'un décret impérial autorise la création de la Compagnie Générale des Eaux, société anonyme, qui obtient sa première concession de service public de distribution d'eau à Lyon en 1856 pour une durée de 99 ans. La Lyonnaise des eaux et de l'éclairage a été fondée en 1880. Elle est vite devenue un interlocuteur central lorsque les municipalités décidaient de concéder les services publics de distribution d'eau et de gaz puis d'électricité.
La rigueur de normes européennes sur l'eau potable et l'assainissement a accru grandement la complexité technique des traitements de l'eau et a conduit les systèmes de gestion locale à plus de professionnalisation parce que les technologies nécessaires impliquaient un degré élevé de spécialisation. Ceci combiné avec une nécessité croissante de recouvrement des coûts en raison de l'augmentation des déficits publics a eu comme principale conséquence d'accroître les besoins de financement et donc de faire appel à des partenaires privés externes.
Ondeo est le numéro un mondial en population desservie (125 millions d'habitants à travers le monde) des services d'eau potable et d'assainissement. La Générale des eaux arrivent juste derrière avec 110 millions d'habitants desservis mais est leader en France avec 26 millions de personnes desservies en eau potable et 19 millions en assainissement. Son chiffre d'affaires s'élève en 2003 à environ 11 milliards d'euros qui représentent 30% du chiffre d'affaires total de VEOLIA Environnement. Elles sont classées parmi les 100 plus grosses compagnies du monde par Global Fortune 500. La SAUR (le petit poucet mais 4ème mondial tout de même) est aussi résolument tournée vers l'international où elle dessert 29 millions d'habitants (et 6 millions en France). Ainsi, nos trois compagnies françaises possèdent ou ont des intérêts dans des compagnies des eaux dans plus de 100 pays et contrôlent à elles seules 40% du marché mondial de l'eau confié au privé. Seule vraie rivale dans le secteur avec sa position de troisième mondial, la RWE, géant de l'énergie en Allemagne, et sa filiale britannique la Thames Water a réussi à entrer sur le marché américain avec l'acquisition du leader national American Water Works.
Ces entreprises ont un savoir-faire historique dans l'eau et un haut niveau de compétence technique grâce notamment aux investissements réalisés dans la recherche et le développement. Elles profitent également des synergies importantes avec des filiales dans les secteurs de la propreté et des BTP pour offrir une plus large gamme de service tout en réduisant leurs coûts et réalisant des gains de productivité. Elles proposent ainsi aux industriels des services d'externalisation de la gestion des eaux de process et de l'assainissement ainsi que la gestion des déchets industriels allant de la construction des usines de traitement à l'exploitation complète du cycle de l'eau et des déchets.
Dans la perspective de la libéralisation du secteur de l'eau dans l'Union européenne avec l'ouverture des marchés (ou d'une partie de ces marchés) aux opérateurs privés, l'enjeu est de taille pour nos entreprises championnes puisqu'on prévoit à l'horizon 2010 une augmentation de 500 % de la population mondiale alimentée par le secteur privé. La conquête de l'or bleue va donc attirer de plus en plus de grandes entreprises spécialisées et peut-être accroître la concurrence dans un secteur très concentré. On espère ainsi que la ressource (rare) sera allouée plus efficacement, que le prix reflètera les vrais coûts pour donner les bonnes incitations aux usagers, mais aussi que cela permettra de remédier au fait que presque deux milliards de personnes dans le monde n'ont pas encore accès à l'eau potable.
Serge Garcia, chercheur en économie.