Les grands économistes évaluent le potentiel industriel européen à deux fois celui des États-Unis. À défaut de n’être pas totalement en face d’une Europe-puissance, nous assistons à tout le moins à la réémergence d’une Europe industrielle et entrepreneuriale de premier plan, avant tout grâce aux efforts quotidiens du système productif français. Seulement voilà, le potentiel remarquable de notre tissu économique souffre de plusieurs maladies dangereuses. L’année dernière, sur notre sol national, sont nées 294 000 entreprises. Ce chiffre est encourageant, d’autant plus qu’il se maintient chaque année depuis 10 ans. Mais sur la même période, 40 000 autres sont mortes (1). Ce chiffre représente le nombre d’établissements cumulés du Limousin (2) et de la Guyane (3), ou de la seule Guadeloupe (4). Chaque année, l’équivalent d’une région française disparaît. En 1993, nous avons atteint le chiffre record de 60 000, assistant par là à la terrible évaporation de la Picardie (5) ou de l’Auvergne (6), ou encore de tout le tissu industriel d’Île-de-France (7).
Ces dangereuses maladies dont il était question à l’instant, se matérialisent sous la forme d’une baisse de la productivité, d’un aléa de prospective, d’un risque mal évalué, d’une stratégie inefficace ou inadaptée, voire encore, pour ne citer que ces quelques exemples, d’un mauvais positionnement sur les marchés ou d’une méconnaissance des moyens de la concurrence. Ces maladies ne sont pas incurables, tout simplement parce qu’elles ont toutes une origine commune : une erreur humaine.
Aucun des problèmes que rencontrent les entreprises n’est lié à une quelconque fatalité du marché, à un hasard de l’environnement, à une malveillance de l’invisible « main invisible ». La vérité simple n’est malheureusement pas pour autant la plus aisée à admettre : tout risque est évitable, du risque informationnel au risque financier, en passant par les risques éthiques et de performance, comme ceux d’image et de management. Bien entendu, tout ceci n’est que théorie. Il sera bien évidemment impossible d’éviter tous les risques. Mais si nous commencions déjà, pour faire un premier pas dans le sens de l’accroissement de compétitivité, par seulement tenter de les minimiser ?
Beaucoup d’experts, du manager d’exception au politiste averti, savent ce que l’intelligence économique n’est pas : une boule de cristal, une chasse aux rumeurs, une simple recherche électronique ou encore un ersatz d’espionnage. Ce n’est rien de tout ça, pas plus qu’une invention récente, une histoire de journaux ou d’informaticiens. Retenons simplement, pour bien nous comprendre, qu’elle est un moteur stratégique du développement des entreprises et de l’efficacité de l’action des acteurs économiques.
On pourrait dire que l’intelligence économique est une activité de gestion de l’information, à des fins offensives ou défensives, mais il est aussi possible de la voir comme un simple fruit du bon sens de l’homme moderne. L’intelligence économique concerne effectivement la coordination des activités liées à l’information, de la simple donnée jusqu’à la stratégie complexe, mais il est sans doute plus opérationnel de la caractériser comme un simple moyen de faire mieux en faisant autrement. Car il ne s’agit pas d’inventer et de réinventer, ni de penser et de repenser, mais simplement d’accomplir, différemment.
Autour de l’intelligence économique gravite tout naturellement la multitude d’outils et de matières que les entreprises utilisent au quotidien, sans forcément les organiser de manière consciente, à savoir : la sûreté et la sécurité, matérielles ou non, la stratégie, la prospective, le marketing, la documentation, le lobbying, la propriété industrielle, le benchmarking ou encore le renseignement. L’intelligence économique se propose tout simplement de fédérer ces disciplines, et de les agglomérer de manière efficace afin de produire des résultats opérationnels. Car tout comme ces maladies à la cause commune que nous venons d’évoquer, les boîtes à outils que nous avons énumérées ont un point commun et un seul : l’information. Elles l’utilisent toutes afin de produire du résultat. Ainsi, même si le raccourci intellectuel est rapide, une entreprise qui gère mieux son information, génère plus de résultats.
Prenons, à titre d’exemple, le cas des Américains ; ils sont ce que nous appelons des coopétiteurs. Il y a une quinzaine d’années, déjà, naissait à l’université de Berkeley, en Californie, la « Doctrine de sécurité économique élevée au rang de politique nationale ». Elle a bénéficié d’une audience considérable sous l’administration de George Bush, puis fut consacrée par Bill Clinton sous la forme d’une « Politique de sécurité nationale ». Un Conseil Économique National a donc été créé, afin de travailler en étroite collaboration avec le Conseil National de Sécurité, et de réorienter les activités de renseignement pour soutenir les exports des entreprises américaines. Pour information, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, 40 % des 30 milliards de dollars du budget du renseignement américain sont consacrés au secteur économique. Aussi, l’Information Security Oversight Office (ISOO) réunissant le Pentagone, le département de l’Énergie et les agences de renseignement, a été créé pour assurer la protection et la gestion de toutes les informations confidentielles circulant dans les domaines économique et technologique. Enfin, les États-Unis ont même créé un National Industry Security Program, destiné à sensibiliser la communauté industrielle et technologique américaine à la défense de ses intérêts.
Presque quinze années que l’intelligence économique est une politique publique outre-Atlantique. Forts des points marqués par les rapports d’Henri Martre, de Bernard Carayon, de l’IHESI (aujourd’hui l’INHES) ou du Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises (CIGREF), nous pouvons espérer nous engager dans la même voie. Acte fort du gouvernement, Jacques Chirac lui-même a signé de sa main le décret présidentiel nommant Alain Juillet Haut Responsable chargé de l’intelligence économique au Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN). Des expérimentations ont été déployées dans sept régions tests, pilotées par le ministère de l’Intérieur.
Dans toutes ces initiatives, il s’agit tout simplement de penser et de traiter l’information autrement. Certains managers ont depuis longtemps adopté des stratégies d’intelligence économique variables, répondant certainement à leurs besoins, leur permettant de déceler des opportunités et des menaces, des forces et des faiblesses, et offrant l’avantage stratégique fondamental de connaître leurs environnements et de les surveiller. Ainsi, ces décideurs sont surpris et plus réactifs. Ils peuvent prévoir et se défendre. D’autres sont très certainement hésitants, comprenant bien l’intérêt d’une telle prise de conscience collective pour les grands capitaines d’industries, mais n’osant pas se doter eux-mêmes des instruments nécessaires à une démarche d’intelligence économique. Aux États-Unis ou en Asie, les PME-PMI sont spontanément plus offensives. En France, à l’exception de nos grands groupes, nous sommes actifs ou réactifs, voire même dormeurs. Nous devons nous demander ce qu’il arrive à notre poing quand nous ouvrons la main. C’est le même problème pour le dormeur : lorsqu’il se réveille, il cesse d’exister.
La démarche d’intelligence économique n’est peut-être pas encore mise en œuvre par toutes les entreprises parce que ces dernières n’ont pas conscience de son importance. Une société qui va bien n’a pas besoin de changement, c’est un fait communément établi. Et pourtant, ça et là, avec nos quinze années de retard, nous refusons de voir les murs se lézarder, et continuons de nous satisfaire d’« aller bien », alors que nous pourrions aller mieux.
Rémy Pautrat, Préfet, Vice Président Exécutif de l’ADIT,
Éric Delbecque et Swann Outin.
1) Source : INSEE, répertoire SIRENE.
2) 30 450 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
3) 7 602 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
4) 40 397 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
5) 60 276 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
6) 59 123 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
7) 57 469 établissements industriels pour un total de 662 764. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
Ces dangereuses maladies dont il était question à l’instant, se matérialisent sous la forme d’une baisse de la productivité, d’un aléa de prospective, d’un risque mal évalué, d’une stratégie inefficace ou inadaptée, voire encore, pour ne citer que ces quelques exemples, d’un mauvais positionnement sur les marchés ou d’une méconnaissance des moyens de la concurrence. Ces maladies ne sont pas incurables, tout simplement parce qu’elles ont toutes une origine commune : une erreur humaine.
Aucun des problèmes que rencontrent les entreprises n’est lié à une quelconque fatalité du marché, à un hasard de l’environnement, à une malveillance de l’invisible « main invisible ». La vérité simple n’est malheureusement pas pour autant la plus aisée à admettre : tout risque est évitable, du risque informationnel au risque financier, en passant par les risques éthiques et de performance, comme ceux d’image et de management. Bien entendu, tout ceci n’est que théorie. Il sera bien évidemment impossible d’éviter tous les risques. Mais si nous commencions déjà, pour faire un premier pas dans le sens de l’accroissement de compétitivité, par seulement tenter de les minimiser ?
Beaucoup d’experts, du manager d’exception au politiste averti, savent ce que l’intelligence économique n’est pas : une boule de cristal, une chasse aux rumeurs, une simple recherche électronique ou encore un ersatz d’espionnage. Ce n’est rien de tout ça, pas plus qu’une invention récente, une histoire de journaux ou d’informaticiens. Retenons simplement, pour bien nous comprendre, qu’elle est un moteur stratégique du développement des entreprises et de l’efficacité de l’action des acteurs économiques.
On pourrait dire que l’intelligence économique est une activité de gestion de l’information, à des fins offensives ou défensives, mais il est aussi possible de la voir comme un simple fruit du bon sens de l’homme moderne. L’intelligence économique concerne effectivement la coordination des activités liées à l’information, de la simple donnée jusqu’à la stratégie complexe, mais il est sans doute plus opérationnel de la caractériser comme un simple moyen de faire mieux en faisant autrement. Car il ne s’agit pas d’inventer et de réinventer, ni de penser et de repenser, mais simplement d’accomplir, différemment.
Autour de l’intelligence économique gravite tout naturellement la multitude d’outils et de matières que les entreprises utilisent au quotidien, sans forcément les organiser de manière consciente, à savoir : la sûreté et la sécurité, matérielles ou non, la stratégie, la prospective, le marketing, la documentation, le lobbying, la propriété industrielle, le benchmarking ou encore le renseignement. L’intelligence économique se propose tout simplement de fédérer ces disciplines, et de les agglomérer de manière efficace afin de produire des résultats opérationnels. Car tout comme ces maladies à la cause commune que nous venons d’évoquer, les boîtes à outils que nous avons énumérées ont un point commun et un seul : l’information. Elles l’utilisent toutes afin de produire du résultat. Ainsi, même si le raccourci intellectuel est rapide, une entreprise qui gère mieux son information, génère plus de résultats.
Prenons, à titre d’exemple, le cas des Américains ; ils sont ce que nous appelons des coopétiteurs. Il y a une quinzaine d’années, déjà, naissait à l’université de Berkeley, en Californie, la « Doctrine de sécurité économique élevée au rang de politique nationale ». Elle a bénéficié d’une audience considérable sous l’administration de George Bush, puis fut consacrée par Bill Clinton sous la forme d’une « Politique de sécurité nationale ». Un Conseil Économique National a donc été créé, afin de travailler en étroite collaboration avec le Conseil National de Sécurité, et de réorienter les activités de renseignement pour soutenir les exports des entreprises américaines. Pour information, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, 40 % des 30 milliards de dollars du budget du renseignement américain sont consacrés au secteur économique. Aussi, l’Information Security Oversight Office (ISOO) réunissant le Pentagone, le département de l’Énergie et les agences de renseignement, a été créé pour assurer la protection et la gestion de toutes les informations confidentielles circulant dans les domaines économique et technologique. Enfin, les États-Unis ont même créé un National Industry Security Program, destiné à sensibiliser la communauté industrielle et technologique américaine à la défense de ses intérêts.
Presque quinze années que l’intelligence économique est une politique publique outre-Atlantique. Forts des points marqués par les rapports d’Henri Martre, de Bernard Carayon, de l’IHESI (aujourd’hui l’INHES) ou du Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises (CIGREF), nous pouvons espérer nous engager dans la même voie. Acte fort du gouvernement, Jacques Chirac lui-même a signé de sa main le décret présidentiel nommant Alain Juillet Haut Responsable chargé de l’intelligence économique au Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN). Des expérimentations ont été déployées dans sept régions tests, pilotées par le ministère de l’Intérieur.
Dans toutes ces initiatives, il s’agit tout simplement de penser et de traiter l’information autrement. Certains managers ont depuis longtemps adopté des stratégies d’intelligence économique variables, répondant certainement à leurs besoins, leur permettant de déceler des opportunités et des menaces, des forces et des faiblesses, et offrant l’avantage stratégique fondamental de connaître leurs environnements et de les surveiller. Ainsi, ces décideurs sont surpris et plus réactifs. Ils peuvent prévoir et se défendre. D’autres sont très certainement hésitants, comprenant bien l’intérêt d’une telle prise de conscience collective pour les grands capitaines d’industries, mais n’osant pas se doter eux-mêmes des instruments nécessaires à une démarche d’intelligence économique. Aux États-Unis ou en Asie, les PME-PMI sont spontanément plus offensives. En France, à l’exception de nos grands groupes, nous sommes actifs ou réactifs, voire même dormeurs. Nous devons nous demander ce qu’il arrive à notre poing quand nous ouvrons la main. C’est le même problème pour le dormeur : lorsqu’il se réveille, il cesse d’exister.
La démarche d’intelligence économique n’est peut-être pas encore mise en œuvre par toutes les entreprises parce que ces dernières n’ont pas conscience de son importance. Une société qui va bien n’a pas besoin de changement, c’est un fait communément établi. Et pourtant, ça et là, avec nos quinze années de retard, nous refusons de voir les murs se lézarder, et continuons de nous satisfaire d’« aller bien », alors que nous pourrions aller mieux.
Rémy Pautrat, Préfet, Vice Président Exécutif de l’ADIT,
Éric Delbecque et Swann Outin.
1) Source : INSEE, répertoire SIRENE.
2) 30 450 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
3) 7 602 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
4) 40 397 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
5) 60 276 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
6) 59 123 établissements. Source : INSEE, répertoire SIRENE.
7) 57 469 établissements industriels pour un total de 662 764. Source : INSEE, répertoire SIRENE.