Par la voix de George W. Bush le 13 août dernier, relayé par Robert Zoellick, Représentant au Commerce, les Etats-Unis ont annoncé leur intention de dénoncer le principe des subventions perçues par Airbus. L’affaire vient d’être portée devant l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC, déclenchant une réplique immédiate de Bruxelles.Cet affrontement de géants entre Boeing et Airbus n’est pas nouveau mais a pris une nouvelle ampleur depuis que ce dernier est parvenu à faire mieux que son concurrent en termes de livraisons sur l’exercice 2003. Pendant des décennies, Airbus a comblé son retard en collant à la gamme d’appareils produits par Boeing mais en misant, avec succès, sur des choix technologiques originaux et ambitieux. Au début des années 2000, les deux constructeurs furent ainsi en mesure de proposer aux compagnies aériennes deux gammes quasiment parallèles. L’heure des choix stratégiques avait donc sonné et ce choix fut naturellement celui de la différenciation et de la prise de risque.
Après avoir étudié la possibilité de lancer le Sonic Cruiser, Boeing a opté pour le 7E7 Dreamliner, un moyen et long-courrier misant avant tout sur les économies de carburant et de coûts de maintenance, dans une logique de renouvellement des flottes. De son côté, Airbus a fait le pari d’un modèle hors-normes, l’A 380, sans concurrent présent ni même prévisible sur le créneau du long et très long courrier. On évoque de plus le projet de l’A 350, qui viserait directement le 7E7.
Mais la concurrence entre les deux géants ne se limite évidemment pas aux salons feutrés des grandes compagnies aériennes et des salons aéronautiques. Elle prend aujourd’hui la forme d’un véritable affrontement entre l’Europe et les Etats-Unis, un choc dont les enjeux sont bien sûr un certain prestige, mais aussi et surtout le maintien d’une activité industrielle stratégique caractérisée à la fois par un contenu technologique de très haut niveau et une main-d’œuvre encore nombreuse et, sujet à la mode, encore peu délocalisée. Les Etats concernés se sont donc tout naturellement impliqués dans ce débat, soutenant à visage découvert leur champion respectif.
De l’autre côté de l’Atlantique, une telle implication de l’Etat fédéral n’a finalement rien que de très habituel. Le soutien aux industries et services considérés comme étant stratégiques est depuis longtemps l’objet d’une véritable politique publique, qui met en œuvre à la fois un arsenal législatif, les relais diplomatiques et les différents services et agences à disposition de l’exécutif. Chez nous en revanche la démarche est assez neuve et mérite d’être soulignée. Il est suffisamment rare d’entendre parler d’une même voix industriels (en l’occurrence, Noël Forgeard) et politiques (Pascal Lamy, Commissaire sortant au Commerce) pour le souligner et s’en féliciter.
La démarche américaine est d’évidence guidée par des motivations de politique intérieure qui se cachent de moins en moins. La presse européenne datée du 7 octobre souligne à l’envi la « coïncidence » entre cette annonce de Robert Zoellick et l’imminence du débat prévu le 8 entre Bush et Kerry, sur le thème de … la politique économique. Mais il faut aller au-delà de ces constatations conjoncturelles. Les plaintes déposées devant l’OMC ne sont que le début d’une procédure juridique qui sera à n’en pas douter longue et difficile. De prime abord, Airbus semble pouvoir espérer avoir gain de cause. Les prêts publics remboursables dont le constructeur européen bénéficie entrent en effet dans le cadre d’un accord bilatéral signé en 1992 avec les Etats-Unis. Ce texte prévoit que ces prêts doivent être limités à 33% des frais de R&D et être remboursables en 17 ans. Selon cet accord, Boeing peut bénéficier d’aides de la NASA et du Pentagone à hauteur de 3% de son chiffre d’affaires. Si Airbus semble avoir joué le jeu, il apparaît que Boeing ne communique plus depuis deux ans sur le montant de ces aides indirectes. Selon un récent rapport du Congrès, plus de la moitié des contrats passés par le Pentagone à ses principaux fournisseurs le sont au mépris de toutes les règles d’appel d’offres. Cette proportion est de 60 % en ce qui concerne Boeing, lui assurant de facto une source importante de financement. Pascal Lamy estime que la part de ces aides est passée de 3 à plus de 8,5%, afin notamment de financer le programme 7E7. Qui plus est, le constructeur de Seattle bénéficie de subventions déguisées sous la forme de déductions fiscales massives octroyées par les Etats de Washington et du Kansas. Enfin, Boeing est concerné au premier chef par la remise à plat imposée aux Etats-Unis par l’OMC des aides dites « FSC » (Foreign Sales Corporation). Ces subventions à l’exportation déguisées furent instaurées par une loi d’octobre 1999. A la suite de procédures répétées de l’Union Européenne devant l’OMC, et après avoir beaucoup tergiversé, le Congrès américain a préparé un projet de loi qui doit passer au vote dans les mois à venir. Mais les observateurs européens font remarquer que ce texte prévoit une période transitoire qui permettrait notamment de soutenir le lancement sur le marché du 7E7.
Bruxelles semble donc se présenter devant l’ORD avec des arguments solides. Il convient cependant de ne pas s’enflammer. La jurisprudence de l’OMC quant aux subventions est extrêmement restrictive et il y a fort à parier que l’on aboutisse à une solution au terme de laquelle l’accord de 1992 soit fondamentalement remis en cause. Il eût certainement été plus bénéfique aux deux parties de parvenir à une redéfinition de cet accord sans avoir recours à l’OMC. De toute évidence, en déclenchant les hostilités dans un tel contexte intérieur, Washington a choisi de mettre un terme à la situation de 1992, devenue bien trop profitable au concurrent européen. Bruxelles, dans ce domaine, est à coup sûr en position de faiblesse. Il convient maintenant de se tourner vers l’avenir en n’oubliant pas une chose : les décisions de l’OMC sont prises selon le principe « un pays, une voix ». L’Union Européenne a donc devant elle un long et patient travail d’influence en direction des Etats susceptibles de faire pencher la balance.
R.J.
Après avoir étudié la possibilité de lancer le Sonic Cruiser, Boeing a opté pour le 7E7 Dreamliner, un moyen et long-courrier misant avant tout sur les économies de carburant et de coûts de maintenance, dans une logique de renouvellement des flottes. De son côté, Airbus a fait le pari d’un modèle hors-normes, l’A 380, sans concurrent présent ni même prévisible sur le créneau du long et très long courrier. On évoque de plus le projet de l’A 350, qui viserait directement le 7E7.
Mais la concurrence entre les deux géants ne se limite évidemment pas aux salons feutrés des grandes compagnies aériennes et des salons aéronautiques. Elle prend aujourd’hui la forme d’un véritable affrontement entre l’Europe et les Etats-Unis, un choc dont les enjeux sont bien sûr un certain prestige, mais aussi et surtout le maintien d’une activité industrielle stratégique caractérisée à la fois par un contenu technologique de très haut niveau et une main-d’œuvre encore nombreuse et, sujet à la mode, encore peu délocalisée. Les Etats concernés se sont donc tout naturellement impliqués dans ce débat, soutenant à visage découvert leur champion respectif.
De l’autre côté de l’Atlantique, une telle implication de l’Etat fédéral n’a finalement rien que de très habituel. Le soutien aux industries et services considérés comme étant stratégiques est depuis longtemps l’objet d’une véritable politique publique, qui met en œuvre à la fois un arsenal législatif, les relais diplomatiques et les différents services et agences à disposition de l’exécutif. Chez nous en revanche la démarche est assez neuve et mérite d’être soulignée. Il est suffisamment rare d’entendre parler d’une même voix industriels (en l’occurrence, Noël Forgeard) et politiques (Pascal Lamy, Commissaire sortant au Commerce) pour le souligner et s’en féliciter.
La démarche américaine est d’évidence guidée par des motivations de politique intérieure qui se cachent de moins en moins. La presse européenne datée du 7 octobre souligne à l’envi la « coïncidence » entre cette annonce de Robert Zoellick et l’imminence du débat prévu le 8 entre Bush et Kerry, sur le thème de … la politique économique. Mais il faut aller au-delà de ces constatations conjoncturelles. Les plaintes déposées devant l’OMC ne sont que le début d’une procédure juridique qui sera à n’en pas douter longue et difficile. De prime abord, Airbus semble pouvoir espérer avoir gain de cause. Les prêts publics remboursables dont le constructeur européen bénéficie entrent en effet dans le cadre d’un accord bilatéral signé en 1992 avec les Etats-Unis. Ce texte prévoit que ces prêts doivent être limités à 33% des frais de R&D et être remboursables en 17 ans. Selon cet accord, Boeing peut bénéficier d’aides de la NASA et du Pentagone à hauteur de 3% de son chiffre d’affaires. Si Airbus semble avoir joué le jeu, il apparaît que Boeing ne communique plus depuis deux ans sur le montant de ces aides indirectes. Selon un récent rapport du Congrès, plus de la moitié des contrats passés par le Pentagone à ses principaux fournisseurs le sont au mépris de toutes les règles d’appel d’offres. Cette proportion est de 60 % en ce qui concerne Boeing, lui assurant de facto une source importante de financement. Pascal Lamy estime que la part de ces aides est passée de 3 à plus de 8,5%, afin notamment de financer le programme 7E7. Qui plus est, le constructeur de Seattle bénéficie de subventions déguisées sous la forme de déductions fiscales massives octroyées par les Etats de Washington et du Kansas. Enfin, Boeing est concerné au premier chef par la remise à plat imposée aux Etats-Unis par l’OMC des aides dites « FSC » (Foreign Sales Corporation). Ces subventions à l’exportation déguisées furent instaurées par une loi d’octobre 1999. A la suite de procédures répétées de l’Union Européenne devant l’OMC, et après avoir beaucoup tergiversé, le Congrès américain a préparé un projet de loi qui doit passer au vote dans les mois à venir. Mais les observateurs européens font remarquer que ce texte prévoit une période transitoire qui permettrait notamment de soutenir le lancement sur le marché du 7E7.
Bruxelles semble donc se présenter devant l’ORD avec des arguments solides. Il convient cependant de ne pas s’enflammer. La jurisprudence de l’OMC quant aux subventions est extrêmement restrictive et il y a fort à parier que l’on aboutisse à une solution au terme de laquelle l’accord de 1992 soit fondamentalement remis en cause. Il eût certainement été plus bénéfique aux deux parties de parvenir à une redéfinition de cet accord sans avoir recours à l’OMC. De toute évidence, en déclenchant les hostilités dans un tel contexte intérieur, Washington a choisi de mettre un terme à la situation de 1992, devenue bien trop profitable au concurrent européen. Bruxelles, dans ce domaine, est à coup sûr en position de faiblesse. Il convient maintenant de se tourner vers l’avenir en n’oubliant pas une chose : les décisions de l’OMC sont prises selon le principe « un pays, une voix ». L’Union Européenne a donc devant elle un long et patient travail d’influence en direction des Etats susceptibles de faire pencher la balance.
R.J.