Au lendemain d’un élargissement historique pour l’Europe, la Turquie frappe à nouveau à la porte. Depuis le début du processus d’adhésion, les relations entre le vieux continent et la Turquie sont marquées par beaucoup d’hypocrisie. A deux mois des élections européennes le débat est relancé sur les frontières de l’Union européenne, sur son identité et sur sa vocation.
La peine de mort enfin abolie, l’accord de droits culturels aux Kurdes, le rôle de l’armée réduit… même le Conseil de l’Europe applaudit devant autant de progrès. Sur le plan économique, la Turquie n’est pas en reste non plus avec une croissance de plus de 5 % par an et une inflation qui commence à être maîtrisée. Ces bons résultats font légitimement espérer le Premier ministre turc Erdogan. Cet espoir est renforcé par le soutien de certains élus européens comme le député Vert, Noël Mamère : « il faut intégrer ce pays. On voit bien que c'est la perspective de l'entrée dans l'Union qui a fait faire à la Turquie de formidables progrès en matière de droits de l'homme». Pour séduire le continent, l’héritage kémaliste est sans cesse invoqué. Il s’agit de rassurer une opinion européenne préoccupée par les victoires électorales du parti AKP « islamiste modéré ». Autre sujet d’inquiétude: le retrait de l’armée turque de la vie politique et économique afin de respecter les exigences démocratiques de l’UE. Sachant que les officiers sont quasiment les seuls à pouvoir faire barrage à l’islamisme, le processus d’adhésion à l’Europe risque d’entraîner la Turquie dans le fondamentalisme. Comme le souligne le député européen et ancien ministre, Charles Pasqua, « l’Europe n’a jamais accepté l’adhésion de l’Espagne franquiste. Pourquoi devrait-elle accepter l’adhésion d’un pays co-dirigé par une armée au nationalisme panturc ombrageux et un parti islamiste? ».
Islamiste, laïque, nationaliste… La Turquie doit faire preuve de franchise et assumer son véritable visage. Pour réduire le malaise grandissant avec l’Europe, l’ancien ministre Hubert Védrine propose la mise en place d’une collaboration privilégiée. Ainsi l’UE pourrait bâtir avec des pays frontaliers, comme la Turquie, un partenariat stratégique, qui serait plus que l'association, mais moins que l'adhésion. Pendant que les dirigeants européens discutent du sexe des anges, l’embarras à l’égard de la Turquie est de plus en plus grand.
Il va falloir de la détermination politique de part et d’autre du Bosphore pour clarifier cette situation. Prendre une décision juste et ferme, serait pour l’Europe une formidable occasion de montrer sa maturité démocratique. Les Européens doivent s’entendre sur une définition commune de leur Union afin d’affirmer leur identité.
Jean-Baptiste JUSOT
LE PROCESSUS D’ADHESION DE LA TURQUIE.
1959 : Début des discussions sur la candidature turque.
1963 : Accord d’association économique.
1987 : La Turquie dépose officiellement sa candidature à Bruxelles.
1999 : A Helsinki, le Conseil européen accepte cette candidature.