Le livre de François-Bernard Huyghe s’enracine dans trois idées forces à méditer longuement, qu’il ramasse en autant de formules clefs : « la guerre perpétuelle », « l’intention hostile » et « l’idéologie ». Dans La Quatrième Guerre Mondiale, il est donc question de guerre de l’information, de combats d’image et de stratégies d’influence. Car au déchaînement de violence qu’induit le terrorisme répond une dynamique idéologique qui ne peut que nous enfermer dans la guerre perpétuelle. La vengeance et la peur se confrontent, ce qui constitue le pire des couples possibles. Une démonstration ressort donc clairement de l’ouvrage de Huyghe, celle de la fabrication d’un « tunnel idéologique », dans lequel se sont engagés les néoconservateurs. Un tunnel construit à partir des mêmes matériaux psychologiques que ceux qu’utilisaient et subissaient les gardiens de la doctrine soviétique. Ironie de l’Histoire qu’il faut pourtant regarder en face : le traumatisme du 11 septembre a permis la cristallisation et la montée en puissance d’une composante fortement idéologisée de la scène politique américaine.
Mais aux Etats-Unis, la mécanique des idées n’implique pas le mépris des réalités élémentaires. Par conséquent, les néoconservateurs « ont foi en la capacité démiurgique du producteur d’idées pourvu qu’il trouve des milliards, des médias et des missiles. Leur méthode consiste à influencer l’esprit de ceux qui commandent par « le pouvoir des idées » (« the power of ideas », slogan d’Heritage). Autre slogan : « les idées ont des conséquences » (ideas have consequences). Ces doctrinaires prônent donc tout à la fois des idées de domination et la domination des idées. »
Ce que démontre Huyghe avec pertinence, c’est qu’il ne faut pas confondre logique de l’idée et paralysie d’idéaliste maladroit. Depuis trois décennies, les néos ont parfaitement identifié leurs « cibles » (au sens marketing) et savent les atteindre avec le maximum d’efficacité. « La méthode des néos consiste à prendre en tenaille les centres de décision politique. Ils apparaissent comme fournisseurs d’idées et très souvent comme conseillers du prince. Si certains d’entre eux exercent de hautes fonctions, ils y sont généralement parvenus par un parcours de bureaucrates, et grâce aux alliances du réseau. Aucun n’est connu pour ses prouesses électorales. Mais tous ont compris le pouvoir du second bras de la tenaille : les médias. Excellents pédagogues, ils peuplent les plateaux de télévision, gagnent le soutien des barons de la presse comme Murdoch, fournissent des versions pour tout public de leurs théories./ Les néoconservateurs portent leurs efforts dans trois domaines prioritaires : les réseaux du pouvoir exécutif, les think tanks et les médias. Il s’y ajoute un quatrième élément que nous n’arrivons pas à désigner autrement que comme le « surf » idéologique : l’art de prendre la bonne vague. »
Huyghe François-Bernard, La Quatrième Guerre Mondiale, Editions du Rocher, 2004