Vins français au cœur d’une guerre économique

Deuxième exportateur traditionnel de vins aux Etats-Unis, la France voit à présent sa position menacée. Bien que les Etats-Unis soient toujours les premiers acheteurs en valeur, pour 285 millions d’euros, de vins de Bordeaux, la part des vins français a chuté au cours de l’année 2003, en tombant à 15% (source : Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France - FEVS). Elle pourrait ainsi voir l’Australie, l’Italie et le Chili la devancer sur le marché américain.


Protectionnisme et boycott des Etats-Unis


Suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à la guerre en Irak, les Etats-Unis ont pris des séries de mesure qui n’ont pas facilité les exportations françaises au cours des années 2002-2003.
Pour protéger leur territoire des attaques biologiques, le gouvernement américain a mis en place le « Bioterrorism Act » le 12 juin 2002 (conférer le texte original : http://www.fda.gov/oc/bioterrorism/bioact.html).
En vertu de cette loi, l’ensemble des exportateurs de produits agroalimentaires doit désormais s’enregistrer sur Internet et disposer d’un agent sur le sol américain. Les exportateurs français de vins (qui représentent plus de 75% des 1200 exportateurs agroalimentaires français) avaient jusqu’au 12 décembre 2003 pour effectuer ces démarches qui conditionnent désormais l’accès au marché américain. En réalité, ces nouvelles règles protectionnistes s’appliquent à beaucoup plus d’opérateurs puisque l’ensemble des embouteilleurs vendant aux Etats-Unis doivent également s’enregistrer auprès des autorités américaines.

Dans une entrevue, Jean Bizet (Président du groupe de travail sur l’OMC au Sénat et sénateur de la Manche) se refusait de voir dans ces prises de position économique la conséquence des récentes prises de position de la Commission européenne d’imposer en mars 2004 des sanctions contre les Etats-Unis pour les subventions qu’ils accordent à leurs exportateurs (En 2002, l’OMC avait autorisé l’Union européenne à augmenter ses tarifs douaniers sur les importations américaines pour imposer des sanctions de l’ordre de 3,7 milliards d’euros).
Plus délicat encore, les négociations portant sur l’ « Accord sur le vin » (« Wine Accord »). Signé en 1983, cet accord a été passé entre l'Union européenne et les Etats-Unis et renouvelé une dizaine de fois depuis. Les Etats-Unis exigent que l’Union européenne reconnaisse définitivement leurs pratiques œnologiques différentes des Européens, alors que ces derniers cherchent à faire disparaître les « semi-génériques » américains (Chablis, Burgundy…). Au terme des récents pourparlers, la dérogation accordée aux Etats-Unis sur leurs pratiques œnologiques a une fois de plus été prolongée de deux ans…

Autre sortie de crise pour les professionnels français du vin, les appels au boycott qui ont suivi les prises de position françaises concernant la guerre en Irak. Produit hautement symbolique, mais aux retombées économiques également bien réelles (en 2002, les exportations françaises de vins représentaient 22% des exportations mondiales de vins vers les Etats-Unis), le vin a été très médiatisé lors des appels au boycott des produits français. D’après le Syndicat des négociants en vins de Bourgogne, le boycottage n’a globalement pas été suivi. Toutefois, le syndicat remarquait que les opérateurs hésitaient à mettre en avant les vins français dans les magasins américains sous l’effet des pressions médiatiques.

Concurrence des vins sud-américains
En difficulté sur le marché américain, les vins français sont également concurrencés par les vins sud-américains en Europe.
Le Chili est devenu en quelques années l’un des concurrents avec lequel il faut compter. Avec son vin vendu dans 80 pays, le Chili en est devenu le 5ème exportateur au monde et représente 4,6 % de l'offre mondiale, soit plus de 600 millions de dollars par an (source : étude économique sur vitivinicole chilienne publiée par la Mission Economique de l'Ambassade de France au Santiago du Chili).
Pour en arriver à de tels résultats, les professionnels du vin au Chili ont élaboré un véritable plan stratégique pour la période 2002-2006 pour développer leurs exportations aux Etats-Unis, en Asie et en Europe. Cette stratégie a commencé par la création d’un nouvel organisme chargé de l’image et de la promotion des vins à l’exportation : le « Wines of Chile », créé à partir de deux associations de producteurs. Cette organisation fait la promotion des vins haut de gamme (dont le numéro 1 : Vina Concha Y Toro…), et prend un soin extrême à bien les associer à des notions positives (l'amitié, la famille, l'émotion, le naturel…). Ce véritable programme de séduction a permis aux vins chiliens de concurrencer les vins français, notamment en Grande-Bretagne et en Allemagne. Pascal Coste (Direction des relations économiques extérieures - DREE au Chili) explique également ces succès par un « rapport qualité/prix particulièrement favorable et une agressivité commerciale certaine ».

La réaction des professionnels français
Les professionnels du vin en France semblent avoir pris conscience des dangers d’un tel encerclement, et réagissent.
Un délai d'adaptation de huit mois a été accordé par les autorités américaines pour permettre aux exportateurs agroalimentaires de se conformer totalement à la loi sur le bioterrorisme. La FEVS a mis en ligne à cet effet un site Internet d'informations, et recruté un cabinet d'avocats américains pour aider les viticulteurs dans leurs diverses démarches.
De son côté, l'Onivins (Office national interprofessionnel des vins) viendra en aide pour la première fois aux professionnels français lors de deux grands salons aux Etats-Unis : le « Wine and Spirit Wholesalers Association » à Las Vegas en mai, et « Vinexpo » à Chicago en juin.
L'Onivins a également voté une augmentation du budget dédié à la promotion auprès des pays étrangers, et l’une de ses premières réalisations est un site Internet pour mieux faire connaître les vins français à travers le monde (www.vins-france.com). La Sopexa (Société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires) a aussi décidé d’augmenter son budget promotionnel pour les Etats-Unis (près de 7,5 millions d'euros), dont l’essentiel devrait être consacrée aux vins.

La filière du vin français a pris la mesure de ces différentes pressions commerciales, et les réactions sont vives et énergiques. Toutefois, la profession ne semble que réagir, et ne pas anticiper. Les professionnels français doivent reprendre l’initiative et développer leurs marchés extérieurs sur un secteur hautement historique et culturel de la France.

AVS