EDF, entreprise créée en 1946, intègre les anciennes entreprises locales de production, de transport et de distribution d'électricité. Ce géant mondial de l'électricité constitue non seulement un axe de la puissance de la France en Europe mais aussi un lien entre l'exécutif et la population française à travers la démocratie par les implications économiques, sanitaires et politiques de l'utilisation de l'électricité. La construction des centrales nucléaires et des lignes THT repose sur un contrat tacite de bénéfices communs entre la population française et les autorités politiques. Ce texte a pour unique objectif de rappeler les liens informels issus de la construction politique d'EDF et les risques encourus en cas de privatisation de l'opérateur français. Les Centrales nucléaires et le Réseau Très Haute Tension
La construction des centrales et leur acceptation par la population française repose sur une triple connivence :
1. Autonomie nationale en octroyant à la France la plus forte indépendance au pétrole pour un pays ne disposant pas de gisement d'hydrocarbure.
2. Alliance politique s'appuyant sur le volontarisme du pouvoir en place dans les années 60-70 et la représentation syndicale majoritaire.
3. Connivence locale l'apport fiscal des centrales nucléaires apporte une ressource non négligeable et répartie sur l'ensemble du territoire.
L'effort consenti est au profit de la collectivité nationale. La population a accepté le risque du nucléaire. L'émergence de mouvements NIMBY (1) est encore à l'heure actuelle largement circonscrit, le cours du pétrole est particulièrement instable face à l'homogénéité de la production électronucléaire.
Les cas des coupures d'eaux ne sont en rien comparables. Lors des nombreux problèmes d'insalubrité connus en Seine-Maritime, il fut aisé de fournir des citernes à la population pour palier le manque.
Demain, l'entreprise publique privatisée (l'Etat inférieur à 30 % du capital) ne pourra que rappeler son nouveau statut. L'Etat français se trouvera mis en porte à faux devant les utilisateurs d'électricité soit 95 % de la population française.
L'électricité nécessite une anticipation, un positionnement volontaire.
Si la France a choisit courageusement pendant des périodes difficiles l'énergie électronucléaire, il n'en fut pas de même pour certains voisins principalement dans le sud de l'Europe. Depuis l'accident de Tchernobyl et la déplorable communication autiste sur la disparition du nuage dans notre pays, le nucléaire est craint mais accepté en France comme un produit à bas coût pour le citoyen et comme une manne pour les responsables politiques locaux et nationaux. De même les réseaux de THT sont appréhendés comme un facteur d'égalité d'accès à une énergie à bas prix et constitue aussi une manne par l'emprise sur le sol des poteaux électriques... Cependant les perspectives d'exportation de l'électricité sont perçues comme une exploitation de l'effort national au profit de nations refusant de prendre un risque similaire pour leur propre population civile.
Le paroxysme est encore à venir avec la cession de capacités de production à des pays tiers non nucléaires, au titre d'un échange industriel comme l'Italie. Voire le financement par le gouvernement italien dans certaines régions françaises pour la création à son profit d'unités de productions électronucléaires.
Mettez ensemble la vente d'un effort national avec des coupures répétées et prolongées et une situation météorologique exceptionnelle. Il me semble que nous risquerions une rupture politique proche du cas du sang contaminé….
EDF, la compétence mise en cage
En résumé:
- Pas de liberté de manœuvre par absence de vision politique de l'énergie
- Pas d'actionnaire mais un aspirateur de dividendes en moyenne sur 20 ans, le chèque est de 500 millions d'euros par an.
- Un savoir-faire fort et diversifié inhibé par un discours managérial de culpabilisation
- Une direction de haut-fonctionnaires et de banques d'affaires quand tous les concurrents d'EDF cherchent des compétences dans les autres industries.
La problématique du système de distribution de l'électricité comme point d'ancrage possible de la contestation et point de faiblesse de la solidarité des institutions
Devant la garantie produite par EDF depuis de nombreuses années et sa capacité à mobiliser du matériel et des hommes pour palier aux intempéries, quelle sera la réactivité pour toutes les communes de France d'un opérateur de Hambourg ou de Bruxelles ? Non que leurs compétences soient moindres mais leurs impératifs seront autres notamment dans la création de valeur…
La zone d'action sur l'ensemble du territoire européen permettra-t-il de maintenir des capacités d'actions sur l'ensemble du continent notamment en cas de dégâts généralisés ou de catastrophes naturelles dans un bassin transnational comme en 2001 de Bratislava à Munich via Prague avec des crues exceptionnelles ?
A cela il faut ajouter qu'EDF est un tampon entre le pouvoir politique et la population par son aspect centralisé et sa réactivité. Or les postes de directions des régies locales sont régulièrement occupés par des parlementaires ou des membres de l'exécutif local (conseil général et communauté de communes). On peut s'interroger sur la réaction de la population dans la perspective d'un délabrement du réseau ou la perpétuation de coupures d'électricité ou encore l'absence de réaction dans les cas de catastrophes naturelles.
EDF n'assure pas qu'un service public, l'entreprise publique assure la continuité territoriale du pouvoir républicain en fournissant à la population un produit de primordial. L'entreprise publique assure aussi une pérennité économique par sa capacité de mobilisation et sa seule appartenance à l'exécutif national. Contrairement à d'autres entreprises publiques ou privatisées EDF est régulièrement bénéficiaires et ne touchent plus de subventions ce qui l'a rendue autonome par rapport aux pouvoirs politiques. L'électricien national est dans une position d'intermédiaire entre la population et le gouvernement en matière d'électricité.
Conclusion
La privatisation d'EDF constitue un risque très aléatoire et ne dépend pas que de la météorologie mais aussi des capacités des collectivités locales à renégocier ou non un partenariat durable et bénéfique pour la population. Il apparaît que l'électricité, produit particulier de l'énergie, constitue un besoin indispensable de notre société avec le carburant, la santé et l'eau. Néanmoins l'électricité n'est pas stockable et est primordiale en raison de son utilisation cumulative.
L'absence répétée et prolongée d'électricité aurait des conséquences sur les pouvoirs publics mais aussi sur le fonctionnement de l'Etat comme les ordinateurs des centres d'impôts, les blocs opératoires, la signalisation routière, le transport ferroviaire…
Il ne faut pas confondre réforme du statut spécial d'EDF dans un cadre commun à l'ensemble des français et économie de marché. L'ouverture du capital d'Electricité de France puis sa privatisation dépasse les besoins en fonds propres du budget de l'Etat français. EDF est modestement l'un des derniers vecteurs d'intérêt de puissance français… après la grande braderie Elf, Total, Pechiney … Avant Alstom ? Dassault ? Thales ?
Joseph-Paul Ricard
(1) Not in my backyard, en français pas dans mon jardin. Attitude en provenance de la Californie qui consiste à refuser tout implantation industrielle pour des raisons écologiques, touristiques voire de confort personnel.
(2) Le principe de spécialité impose à EDF de ne pas commercialiser ni produire d'autres biens que l'électricité en raison de son monopole sur le territoire français.
(3) La revue d'histoire sociale dans son numéro 4 traite justement des revendications des électriciens et gaziers en France pendant le XXème siècle en mettant en exergue les particularités de cette corporation.