Un exemple d’utilisation de la traçabilité comme arme commerciale

Du fait du caractère fongible des céréales, leur traçabilité est très délicate à réaliser. Pour créer un système de traçabilité pertinent au sein d’un organisme stockeur en lien avec des agriculteurs (de la parcelle à la sortie du silo), les investissement en informatique (base de données et système d’information géographique), en infrastructure et ressources humaines deviennent très vite important et surtout sans commune mesure avec les bénéfices retirés par la production. En particulier, la situation financière et les perspectives des producteurs céréaliers français ne semblent pas permettre de grandes marges de manœuvre en matière d’investissement dans ce domaine.
Toutefois, on constate que la traçabilité des filières céréalières françaises est aujourd’hui abordée en terme de marché commercial.
I – L’illusion du marché de la traçabilité dans les productions céréalières

D’un côté, la mise en place de la traçabilité est présentée comme une nécessité par les filières aval (exigence technique des cahiers des charges commerciaux), sans aucune contrepartie financière significative, alors que les industriels et la distribution utilisent cet argument marketing au profit de leurs marques commerciales. Il est d‘ailleurs intéressant de noter que dans les quelques filières céréalières où l’effort de traçabilité a été mené jusqu’au bout (c’est à dire où l’organisme stockeur est en mesure de consolider les informations parcellaires des agriculteurs et de les communiquer à la filière avale), les industriels et distributeurs expliquent invariablement que l’accès aux informations ne les intéresse pas. A quoi cela sert-il ? Qu’est ce qui est valorisé ? Quel intérêt y ont les agriculteurs ?

De l’autre côté, on observe un grand nombre de prestataires proposant des solutions informatiques et technologiques très hétéroclites à destination des agriculteurs et organismes stockeurs, à des budgets souvent importants, sans réelle émergence d’un standard permettant d’exploiter l’effort fait dans la traçabilité dans l’ensemble de la filière. Dans certains cas, le déploiement des logiciels d’enregistrement de traçabilité parcellaire devient même un enjeux de concurrence commerciale entre une coopérative et un négoce agricole sur un même territoire, qui cherchent par-là à « fidéliser » les agriculteurs. Est-ce vraiment le but de la traçabilité dans une filière ?

Finalement, la question de la traçabilité agricole se débat dans des considérations commerciales intérieures, sans que des avancées notables soient faites dans ce domaine depuis de nombreuses années, et sans que personne ne pose la question de savoir : quelle est la finalité de la traçabilité ?

L’argument de l’inquiétude du citoyen ne semble pas être suffisant pour justifier des investissements lourds dans des filières fragilisées économiquement. Si le citoyen est sans doute soucieux des questions d’environnement et de sécurité alimentaire, le consommateur est-il vraiment prêt à payer plus cher ?

Soit on pose la question de la traçabilité des productions agricoles françaises en terme d’arme stratégique commerciale permettant à chaque maillon des filières agro-alimentaires de retirer un bénéfice des investissements réalisés : différenciation positive des produits français à l’import comme à l’export, protection stratégique du savoir –faire des agriculteurs français dans leur pratique de conduite de cultures, développement d’une image de marque de sérieux véhiculée efficacement par les institutions et pouvoir publics… Dans ce cas, une action politique dans un esprit d’organisation bienveillante et de synergie des acteurs au service de la puissance de l’agriculture française est indispensable (et non pas action par une législation sclérosante).

Soit on laisse le système dériver, et la politique du « chien crevé au fil de l’eau » actuelle contribuera à l’affaiblissement général des acteurs agricoles français en présence, et aucun bénéfice n’en sera retiré par personne.

A titre d’illustration, le secteur de la traçabilité par les puces RFID permet de montrer comment une bonne synergie entre les acteurs gouvernementaux, industriels et de la recherche, permet de contribuer à la puissance économique.

II – Etude de cas : le marché des puces RFID

Le développement de la RFID
Dans le domaine de la traçabilité, les technologies supportant les processus de traçabilité sont très importants. Elles en conditionnent la faisabilité technique, mais elles représentent également des enjeux de marchés potentiellement énormes. Actuellement, sur les produits manufacturés, la traçabilité et l’identification se fait, le plus souvent, par un système de code barre à lecture optique.
Une des technologies émergente dans ce domaine est la RFID, ou l’utilisation de puces à radiofréquence permet de s’affranchir de la lecture optique et donc de la manipulation du produit.
En matière de recherche appliquée dans ce domaine, un acteur important est l’institut de recherche américain MIT regroupant des industriels tels que Procter&Gamble, Gilette, Wallmart…
En matière de fabrication des puces RFID et des systèmes informatiques permettant d’exploiter les informations, les sociétés leader sont Sun Microsystem, IBM, Intel, Texas Instrument.
Un challenger est ST Microelectronics (société franco-italienne).

La construction d’un standard mondial
D’autre part, les technologies de traçabilité doivent se rattacher à des standards afin de pouvoir accompagner les produits même si leur cycle de vie est international. Dans le domaine des codes à barre, le standard le plus connu et le plus répandu est le standard GENCOD EAN (association internationale, avec des représentations nationales).
Dans le domaine de la RFID, il y a concurrence entre l’association GENCOD (représentant en particulier l’Europe) et l’UCC qui est son homologue nord-américain.
Pour éviter qu’il y ait une concurrence entre deux standards, ce qui irait à l’encontre de l’harmonisation internationale de la traçabilité par RFID, UCC et GENCOD ont décidé récemment de se regrouper. La direction de cet ensemble a été confiée à une personne de GENCOD, avec pour objectif de sortir un standard mondial.

Une standardisation de fait
En parallèle, l’armée américaine vient d’annoncer qu’elle imposait à partir de maintenant, à tous ses fournisseurs une traçabilité RFID. Vu l’ampleur des fournisseurs de l’armée américaine, ceci correspond à une standardisation de fait du marché, susceptible de favoriser les industriels américains.
D’autre part, Wallmart a annoncé qu’il imposait à ses 120 fournisseurs de s’équiper en système RFID, sachant que 73% de ces fournisseurs sont hors USA.
Enfin, Carrefour vient d’annoncer une alliance avec Intel pour lancer la traçabilité par RFID.
Les industriels américains prennent-ils de vitesse ce marché, indépendamment du travail engagé sur le standard mondial ?

Enjeux économiques
La fabrication des puces silicium RFID n’est pas à terme une technologie à haute valeur ajoutée. En revanche, le marché des systèmes d’acquisition de donnée et des systèmes d’information pour gérer la masse de données qui peuvent être transmises par les puces RFID est potentiellement énorme. Des acteurs majeurs tels que IBM proposent déjà des systèmes intégrés, Sun et Microsoft sont sur les rangs.

Olivier ARNAULT