Dès 1989 des militaires américains réunis autour du stratège W.S. Lind lançaient le concept de « guerre de quatrième génération » (Fourth Generation Warfare, abrégé en 4GW).
La première génération de guerre – à les suivre - reposait sur la masse humaine disposée en lignes et en colonnes sur le champ de bataille, de l’ère du mousquet à la première guerre mondiale.
La seconde génération supposait une puissance de feu, bientôt celle de la mitrailleuse puis de l’avion, et mobilisait en amont toute une puissance industrielle. Elle naît en réponse aux affrontements des fronts dans les tranchées.
La troisième impliquait le principe de capacité de manœuvre, telle le blitzkrieg de la Seconde Guerre Mondiale. Gagne celui qui disperse et contourne les troupes ennemies. L’avantage est à la technologie et à la vitesse.
Et la 4GW? Elle correspondrait à la révolution de l’information. Mais surtout, elle mobiliserait des populations entières en un antagonisme gagnant tous les domaines politique, économique, social, culturel où l’objectif serait le système mental et organisationnel de l’adversaire.Totalement asymétrique, elle opposerait deux acteurs n’ayant rien en commun. D’un côté des puissances high tech (plus ou moins capables de profiter de la Révolution dans les Affaires Militaires : information en temps réel, armes « intelligentes » et précises, commandement à distance par les réseaux numériques). D’autre part, des acteurs transnationaux ou infranationaux éparpillés, groupes religieux, ethniques ou d’intérêt s’en prenant indistinctement au marché, aux symboles de l’Occident, à ses communications.
Par la suite, l’idée de 4GW a fait son chemin dans les milieux de la réflexion stratégique, peinant parfois à se distinguer de notions proches : conflits asymétriques, non étatiques et/ou de faible intensité (Martin van Creveld) ou encore « Netwar », la guerre en réseau des spécialistes de la Rand Corporation Arquilla et Ronfeldt.
Le 11 Septembre – frappe au cœur du dispositif ennemi, très petites forces, retournement des moyens adverses, recherche de l’impact médiatique et psychologique – redonne toute son actualité au concept de « quatrième génération ». C’est bien un conflit où un des acteurs refuse obstinément de jouer suivant les règles de l’adversaire et d’aller sur le terrain où ce denier est invincible, préférant rechercher la désagrégation de son système. Cela semble annoncer une suite ininterrompue d’actes terroristes et de conflits de basse intensité, de guérillas et de répressions maladroites par des troupes mal adaptées à un adversaire diffus et non-militaire. La séparation entre guerre et paix, semble les premières victimes de ce changement. « Comment combat-on et peut-on vaincre un ennemi sans forme, se demande Wilson. En fait, comment sait-on que l'on a gagné ? (...) Que gagne-t-on et quand sait-on que nous avons gagné ? » demandait Gary Wilson, un des théoriciens de la 4GW (1). C’est une assez bonne façon de souligner le paradoxe de ce que d’autres appellent « quatrième guerre mondiale ».
Dans un article de Commentary d’Octobre 2001. Eliot Cohen propose de la substituer à « guerre au terrorisme » pour mieux exprimer que l’ennemi est l’islam militant.
Repris par Norman Podhoretz (2) l’expression est surtout popularisée par James Woolsey, ancien directeur de la CIA. Ainsi, dans un article traduit dans le Monde et qui fit grand bruit en 2002, il proclamait « nous allons gagner la quatrième guerre mondiale. ». Si la troisième est la guerre froide, la quatrième viserait « les terroristes, les dictateurs et les autocrates. » C’est une rhétorique chère aux penseurs néo-conservateurs : l’Amérique s’éveille encore une fois et reprend sa mission au service de la démocratie. L’Empire prédestiné « ouvrant les yeux » pour la quatrième fois en un siècle, doit s’engager dans un affrontement décisif.
Mais le plus étrange est que cette dialectique soit reprise par les milieux islamistes. Ben Laden considère lui-même que ce sont « les juifs et les croisés » qui font une guerre mondiale à Dieu. En Février 2002 le Middle East Media Research Institute (un think tank, il est vrai, très militant et plutôt proche du Likoud israélien) annonçait avoir recueilli un texte d’un Abu 'Ubeid al-Qurashi, pseudonyme supposé d’un des chefs de l’organisation al Quaïda : il se référait explicitement à la doctrine de la quatrième génération. Elle l’emporterait, disait-il, sur une défense américaine dont les principes sont hérités de la guerre froide : avertissement préalable, frappes préventives et dissuasion.
Étonnantes convergences à l’aube de la guerre perpétuelle et sans limites ? Ou façon compliquée de poser une question simple : l’hyperpuissance peut-elle l’emporter sur l’insurrection planétaire qu’elle nourrit elle-même ?
François-Bernard Huyghe
[email protected]
(1) Greg Wilcox, Gary Wilson, « Military response to Fourth Generation Warfare in Afghanistan », conférence, 5 mai 2002.
(2) Directeur éditorial de Commentary et professeur associé de l'Institut Hudson
Note : pour se documenter sur la GW4, le plus simple est de suivre les références bibliographiques et les nombreux liens de la page « Fourth Generation Warfare » sur l’excellent www.disinfopedia.org
La première génération de guerre – à les suivre - reposait sur la masse humaine disposée en lignes et en colonnes sur le champ de bataille, de l’ère du mousquet à la première guerre mondiale.
La seconde génération supposait une puissance de feu, bientôt celle de la mitrailleuse puis de l’avion, et mobilisait en amont toute une puissance industrielle. Elle naît en réponse aux affrontements des fronts dans les tranchées.
La troisième impliquait le principe de capacité de manœuvre, telle le blitzkrieg de la Seconde Guerre Mondiale. Gagne celui qui disperse et contourne les troupes ennemies. L’avantage est à la technologie et à la vitesse.
Et la 4GW? Elle correspondrait à la révolution de l’information. Mais surtout, elle mobiliserait des populations entières en un antagonisme gagnant tous les domaines politique, économique, social, culturel où l’objectif serait le système mental et organisationnel de l’adversaire.Totalement asymétrique, elle opposerait deux acteurs n’ayant rien en commun. D’un côté des puissances high tech (plus ou moins capables de profiter de la Révolution dans les Affaires Militaires : information en temps réel, armes « intelligentes » et précises, commandement à distance par les réseaux numériques). D’autre part, des acteurs transnationaux ou infranationaux éparpillés, groupes religieux, ethniques ou d’intérêt s’en prenant indistinctement au marché, aux symboles de l’Occident, à ses communications.
Par la suite, l’idée de 4GW a fait son chemin dans les milieux de la réflexion stratégique, peinant parfois à se distinguer de notions proches : conflits asymétriques, non étatiques et/ou de faible intensité (Martin van Creveld) ou encore « Netwar », la guerre en réseau des spécialistes de la Rand Corporation Arquilla et Ronfeldt.
Le 11 Septembre – frappe au cœur du dispositif ennemi, très petites forces, retournement des moyens adverses, recherche de l’impact médiatique et psychologique – redonne toute son actualité au concept de « quatrième génération ». C’est bien un conflit où un des acteurs refuse obstinément de jouer suivant les règles de l’adversaire et d’aller sur le terrain où ce denier est invincible, préférant rechercher la désagrégation de son système. Cela semble annoncer une suite ininterrompue d’actes terroristes et de conflits de basse intensité, de guérillas et de répressions maladroites par des troupes mal adaptées à un adversaire diffus et non-militaire. La séparation entre guerre et paix, semble les premières victimes de ce changement. « Comment combat-on et peut-on vaincre un ennemi sans forme, se demande Wilson. En fait, comment sait-on que l'on a gagné ? (...) Que gagne-t-on et quand sait-on que nous avons gagné ? » demandait Gary Wilson, un des théoriciens de la 4GW (1). C’est une assez bonne façon de souligner le paradoxe de ce que d’autres appellent « quatrième guerre mondiale ».
Dans un article de Commentary d’Octobre 2001. Eliot Cohen propose de la substituer à « guerre au terrorisme » pour mieux exprimer que l’ennemi est l’islam militant.
Repris par Norman Podhoretz (2) l’expression est surtout popularisée par James Woolsey, ancien directeur de la CIA. Ainsi, dans un article traduit dans le Monde et qui fit grand bruit en 2002, il proclamait « nous allons gagner la quatrième guerre mondiale. ». Si la troisième est la guerre froide, la quatrième viserait « les terroristes, les dictateurs et les autocrates. » C’est une rhétorique chère aux penseurs néo-conservateurs : l’Amérique s’éveille encore une fois et reprend sa mission au service de la démocratie. L’Empire prédestiné « ouvrant les yeux » pour la quatrième fois en un siècle, doit s’engager dans un affrontement décisif.
Mais le plus étrange est que cette dialectique soit reprise par les milieux islamistes. Ben Laden considère lui-même que ce sont « les juifs et les croisés » qui font une guerre mondiale à Dieu. En Février 2002 le Middle East Media Research Institute (un think tank, il est vrai, très militant et plutôt proche du Likoud israélien) annonçait avoir recueilli un texte d’un Abu 'Ubeid al-Qurashi, pseudonyme supposé d’un des chefs de l’organisation al Quaïda : il se référait explicitement à la doctrine de la quatrième génération. Elle l’emporterait, disait-il, sur une défense américaine dont les principes sont hérités de la guerre froide : avertissement préalable, frappes préventives et dissuasion.
Étonnantes convergences à l’aube de la guerre perpétuelle et sans limites ? Ou façon compliquée de poser une question simple : l’hyperpuissance peut-elle l’emporter sur l’insurrection planétaire qu’elle nourrit elle-même ?
François-Bernard Huyghe
[email protected]
(1) Greg Wilcox, Gary Wilson, « Military response to Fourth Generation Warfare in Afghanistan », conférence, 5 mai 2002.
(2) Directeur éditorial de Commentary et professeur associé de l'Institut Hudson
Note : pour se documenter sur la GW4, le plus simple est de suivre les références bibliographiques et les nombreux liens de la page « Fourth Generation Warfare » sur l’excellent www.disinfopedia.org