En juillet 2003, le magazine L’Hémicycle publiait un hors-série intitulé « OGM : 50 personnalités répondent ». L’éditorial expliquait les raisons d’une telle parution : « Parce que nous avons réalisé que les points de vue sur la question ne saurait se résumer aux deux approches caricaturales du « tout pour » ou du « tout contre ». […] En l’occurrence, le travail d’approfondissement [de cet hors-série] revenait à étayer ce qui n’était qu’esquissé dans ces quatre pages [L’Hémicycle, n°133] : l’existence d’un mouvement massif au sein des élites politiques et intellectuelles en faveur d’une attitude tempérée sur les OGM. Alors que depuis un grand nombre d’années, le débat a principalement été animé par une poignée d’ « anti » et de grandes firmes semencières ». Suite à la lecture de ces quelques lignes, nous nous attendions à une présentation des arguments des deux parties ; ce que l’on appelle plus communément un « débat ». Or cela n’a pas du tout été le cas… très vite, le lecteur réalise qu’un seul point de vue est exprimé, celui des pro-OGM.Pour s’en rendre compte, il suffit de lire la plupart des titres, sous-titres et extraits qui sont mis en valeur. Les titres de paragraphe de l’article p. 8-9 illustrent parfaitement cette idée. Ils sont en rouge et gras, ce qui les fait ressortir en un coup d’œil : « Une économie de 15 à 100 dollars par hectare » ; « Une économie de dépense en désherbage de 20% » ; « Les effets à long terme ne sont pas encore apparus » ; « Nous devrions aller vers une culture plus importante des OGM en Europe ».
Les lecteurs peuvent également s’interroger sur la neutralité des « encarts » intitulés « Mythes ou réalité ». Ces derniers ne font que défendre les partisans des OGM. Par exemple, la page 6 offre une tribune à la société Monsanto pour faire sa publicité (« Les cinq valeurs clés : le dialogue, la transparence, le respect, le partage et l’utilité symbolisent l’engagement de l’entreprise à l’égard de ses interlocuteurs ») et se défendre vis-à-vis des semences stériles.
Cet exemple permet de rebondir sur l’incompréhension, volontaire ou non, des deux « camps ». Monsanto défend les semences stériles en expliquant que les sociétés se doivent « de protéger leurs découvertes, et d’avoir un retour sur investissement en matière d’innovation agricole ». Le raisonnement est tout à fait normal dans une logique commerciale. De l’autre côté, les anti-OGM mettent en avant la dépendance économique des agriculteurs vis-à-vis des industriels, si les graines ne peuvent pas être semées les années suivantes. Ils mettent ainsi à mal les arguments des pro-OGM qui prétendent que les OGM sont LA solution pour améliorer la vie des pays du Tiers-monde, soumis à la sécheresse et aux insectes.
Les OGM, mais de quoi parle-t-on ?
Les OGM issus des recherches en biotechnologie peuvent bien entendu améliorer le quotidien des populations. Mais est-ce ces organismes là que condamnent les anti-OGM ? La confusion est omniprésente dans cette polémique.
Les OGM sont devenus un terme générique qui englobe des enjeux bien différents. Il y a d’un côté les OGM présents dans l’alimentation, et de l’autre les OGM dans les applications scientifiques. Les anti-OGM sont très réactifs sur les enjeux touchant à l’agro-alimentaire et l’alimentation, alors que les pro-OGM se défendent sur l’échiquier scientifique.
Il est grand temps de bien distinguer ces différents échiquiers : alimentation et recherches scientifiques. Tant que ces distinctions ne seront pas clairement posées, le « débat » ressemblera à un dialogue de sourd. Quand les anti-OGM détruisent des champs destinés à la recherche, ils font fausse route. Ils donnent à leurs adversaires des armes de communication fondées sur « l’émotif » ; ces plants étaient destinés à des enfants malades… Au niveau communication, il y a mieux pour faire passer son message !
Quand les pro-OGM utilisent des techniques d’influence pour gagner le cœur des consommateurs, on peut également se poser des questions sur la confiance qu’ils ont en leur cause.
Des techniques similaires à un site de Perception Management
Les techniques d’influence utilisées par L’Hémicycle ne sont pas sans rappeler celles du site www.ogm-debats.com. Une étude (1) a été réalisée sur les techniques de Perception Management mises en place par les industries des biotechnologies pour influencer l’opinion publique par Internet. Il suffit d’ailleurs de voir à qui s’adressent les Remerciements du magazine : « L’équipe souhaite tout particulièrement remercier, Delphine Guey au GNIS, Marie Rigouzzo et Sophie Le Guellec de DEBA (2), pour leur réactivité. » L’Hémicycle a même illustré ces propos en reprenant des schémas directement extraits du site OGM-Débats.
Un tel mimétisme dans le choix des arguments offensifs et des techniques d’influence entre l’Hémicycle et le site OGM-Débats ne peut que nuire à la cause des OGM. Tenter d’influencer les citoyens en agissant directement sur leurs perceptions sur le sujet ne peut que décrédibiliser leur cause.
Quand verra-t-on une réunion pendant laquelle des réponses précises seront apportées sur les OGM ? Peut-être jamais, tant que les échiquiers d’approche sur la question ne seront pas clairement différenciés.
Tableau récapitulatif des échiquiers :
(1) Le cyberlobbying ou les nouvelles logiques d’influence sur Internet, Etude de cas : le débat sur les OGM, mars 2003, 80 pages.
(2) Le GNIS est le Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants.
L’association DEBA a été créée par cinq majors de l’agroalimentaire (BASF Agricultural Products, Bayer CropScience, Dow AgroSciences, DuPont-Pioneer Semences, Monsanto et Syngenta).
AVS