La pédagogie de la connaissance

L’acquisition de la connaissance est une démarche exigeante. Elle réclame de l’effort, de la méthode et de la patience. N’en déplaise aux partisans du soi-disant savoir facile et immédiat, elle nécessite un apprentissage et ne constitue pas un produit fini disponible en rayon et livrable à la commande … Elle suppose des repérages préalables, des prérequis importants, des cartographies historiques et conceptuelles fiables, une expérience humaine crédible, une ténacité certaine. On ne peut donc échapper au fait qu’il existe nécessairement une pédagogie de la connaissance : la nier c’est refuser l’accès du savoir au plus grand nombre et la réserver arbitrairement à une élite de la naissance ou de la richesse (et elles se confondent souvent). Car il ne faut pas se leurrer : affirmer l’existence d’un fait, d’un objet ou d’une vérité ne l’empêche pas d’exister : en revanche, elle rend l’action beaucoup plus difficile. Ne perdons donc jamais de vue que la lucidité prépare à la maîtrise d’un problème.

De ce fait, malgré les protestations des inconséquents, il faut affirmer sans gêne que l’internet n’est pas le paradis de la connaissance. Tout circule sur la toile : le meilleur et aussi le pire. La guerre de l’information a trouvé en elle un vecteur particulièrement efficace. Plus que jamais, les passionnés du Web doivent donc se poser en « interstitiels », pour reprendre l’heureuse formule d’Alain Besançon. Ce dernier a récemment évoqué « le surgissement un peu partout d’esprits excellents, fortement éduqués, remplis d’une pensée vigoureuse et originale. Ils ont poussé comme l’herbe entre les pavés. Le fait est particulièrement fréquent dans la jeune génération. […] Ils sont complètement indemnes des idéologies qui ont ravagé les cervelles de leurs aînés. Ils ne sont pas obsédés par la droite ni par la gauche. En revanche on s’aperçoit […] qu’ils ont pioché les « grands livres », que dans leurs lycée, leur khâgne, ou dans quelque « planque » modeste ils ont acquis une impressionnante culture, qui ne doit rien, mais rien, à l’esprit du temps. On les voit quelquefois dans les colloques à l’étranger, où leurs travaux les ont fait remarquer et inviter : ils représentent avec honneur leur pays. […] Ce qui leur est commun, du moins à presque tous, c’est qu’ils sont le fruit du silence et de la tranquillité de nos interstices. »  Ce sont ces hommes qui doivent être les chasseurs de la désinformation, l’élite de la guerre de l’information – non pour tromper mais pour rétablir la vraisemblance, puisque la vérité est un grand mot et sans doute un rêve inaccessible. Ce sont eux qui doivent combattre le politiquement correct et l’« intox », deux faces d’un même totalitarisme, celui qui épargne désormais les corps pour mieux étrangler la pensée. Ce sont eux qui doivent se faire un devoir de la pédagogie de la connaissance, tout simplement parce que cette dernière rend possible la démocratie tout court.
Sans aucun doute possible, les knowckers sont des interstitiels …

Alexandre LIGNAC