Focus sur le Rosinformcenter (RIC)
Infoguerre revient sur cette « guerre de l’Internet » qui a vu l’apparition de nombreux sites et de structures d’ « information », tel que le Rosinformcenter (Centre d’Information Russe – RIC)Lors de la première campagne de Tchétchénie (1994-1996), alors que les combattants tchétchènes accueillaient facilement la presse russe et étrangère (notamment les équipes de télévision), le commandement russe respectait peu les médias, et perdirent finalement le contrôle de la diffusion d’informations.
Or la Guerre du Golfe en 1991 avait montré combien il était important de préparer les opinions publiques avant un conflit et de contrôler toutes les informations par la suite. En insistant sur le caractère stratégique de la région pour l’Occident, et en dressant un portrait au vitriole de Saddam Hussein, les forces américaines s’étaient ainsi attachées le soutien d’une grande partie des opinions internationales.
Pour la deuxième campagne tchétchène, les Russes tirèrent les leçons de leurs échecs passés, et étudièrent les techniques de « communication » des forces de l’OTAN en Yougoslavie. Pour contrôler les flux d’information, ils promulguèrent une résolution (n°1538) qui permettait de filtrer et sélectionner les médias étrangers qui couvriraient le conflit, et créèrent le Rosinformcenter (http://www.infocentre.ru).
Ce centre d’information fut créé en octobre 1999 par le Ministère de la Presse et la RIA Novosti (l’Agence d’Information de Russie), sous l’impulsion du président russe Vladimir Poutine. Il était chargé de centraliser et de diffuser des informations sur les opérations russes en Tchétchénie, et d’organiser la couverture de ces opérations par les journalistes. Il devint ainsi la principale, voire à certaines occasions l’unique, source d’information sur la situation militaire pour les journalistes russes et internationaux.
Vladimir Poutine en confia la direction à Mikhail Margelov, lui aussi ancien officier du KGB, et ancien du Tass, l’agence gouvernementale d’information. Bilingue en anglais, Margelov vécut huit ans au Moyen-Orient et enseigna l’arabe à l’académie du KGB. Avant son « recrutement » par Poutine, il travaillait chez Video International, l’une des plus importantes agences de publicité russe.
Vaincre sur le « front Internet »
Le site de Rosinformcenter avait également pour vocation de contrer les sites Internet des indépendantistes tchétchènes, dont le plus célèbre www.kavkaz.org. Le ministre des Affaires extérieures, Igor Ivanov, avait en effet alerté Moscou de la menace que représentait le « front Internet ». Le Kremlin répondit donc par le site www.infocentre.ru, mais aussi via une constellation d’autres sites tels que www.antiterror.ru (aujourd’hui disparu) et www.chechnya.ru, le site de Bislan Gantamirov, leader tchétchène pro-russe. Ce dernier utilisa de nombreuses images et vidéos afin de marquer plus profondément les esprits des internautes. Pour contrer le site www.kavkaz.org, les stratèges russes lancèrent même www.kavkaz.com afin de jouer sur la confusion des noms (les deux sites ont aujourd’hui disparus).
Le site www.infocentre.ru se révéla au final un outil de propagande analogue aux sites tchétchènes. Il combina à la fois les outils modernes de relations publiques et de « media management » que les techniques de désinformation de l’ère soviétique.
Lorsqu’à la fin décembre 1999, des correspondants de Reuters et de Radio Free Europe rapportèrent des pertes importantes dans les rangs russes, le Rosinformcenter démentit, en affirmant que les photos prises remontaient à 1995 et que les corps étaient ceux de Tchétchènes habillés en soldats russes. Le Rosinformcenter n’hésita pas non plus à qualifier les informations nuisant à la politique russe de « désinformation tchétchène » ou « de mesures actives des services occidentaux pour discréditer la Russie ». Enfin, les pertes russes annoncées étaient toujours qualifiées de « minimales » ou « inévitables », et les troupes adverses systématiquement désignées sous les termes de « bandits » ou de « terroristes internationaux »…
Malgré tous ces dispositifs, la guerre de Tchétchénie est considérée comme un échec du point de vue informationnel. Cependant, le gouvernement russe semble avoir pris la mesure de l’importance du média Internet. Pour preuve, le Ministère de l’Intérieur a mis sur pied une école spéciale pour de jeunes programmeurs destinés pour la plupart à venir grossir les rangs des services spéciaux. Comment mèneront-ils leur prochaine guerre de l’information ?
AVS