Les prédicateurs de l’American Way of Life

Depuis près de dix mois, les prédicateurs évangélistes américains sont présents dans le Golfe pour évangéliser la zone. Après les attentats du 11 septembre, George W. Bush avait employé le terme de « croisade » ; plusieurs entités ont entendu l’appel, dont la Samaritan’s Purse. Portraits de ces « croisés » de l’American Way of Life…La Samaritan’s Purse, qui pourrait se traduire par « la bourse des Samaritains », est une association américaine fondée en 1970 qui propose de l’assistance humanitaire. Elle intervient le plus souvent dans des zones « post-conflits ». Elle est dirigée par Franklin Graham, fils d’un célèbre télévangéliste américain Billy Graham, qui est également président de la Billy Graham Evangelistic Association.

Loyal soutien à l’administration Bush pour son intervention militaire en Irak, la Samaritan’s Purse est déjà implantée au Koweït et en Jordanie. C’est depuis ce pays qu’une dizaine de membres canadiens et américains de l’association a pénétré l’Irak à la fin « officielle » de la guerre. De son côté, le Koweït sert de plate-forme logistique pour la réception et la diffusion de « matériel pour la purification par le baptême ».
Leur objectif affiché est toujours d’apporter une aide humanitaire aux plus nécessiteux. Dans l’esprit des « Samaritains », cette aide n’est et ne peut pas être séparée d’une évangélisation : « Nous sommes d'abord une organisation chrétienne et ensuite une organisation de secours. Nous ne saurions séparer les deux » avait affirmé Franklin Graham. Les représentants de l’organisation ont depuis admis qu’ils partageaient leur foi chrétienne lors de conversations informelles avec les Irakiens.

Cette pénétration des mouvements évangéliques n’est pas sans provoquer l’indignation des responsables locaux. En effet, Franklin Graham, ainsi que d’autres prédicateurs de la mouvance évangélique, avaient violemment attaqué la religion musulmane après les attentats du 11 septembre 2001. Il était même allé plus loin en présentant l'Islam comme une « religion maléfique » (« evil », « wicked »).
Pour Ibrahim Hooper, porte-parole du Council on American-Islamic Relations (CAIR), cette installation d’organisations qui instrumentalisent l’aide humanitaire pour évangéliser est très négativement perçue par les populations musulmanes, qui y voient une application concrète de la « croisade » à laquelle appelait le président Bush.
Franklin Graham avait essayé de calmer le jeu en déclarant que la politique des Etats-Unis contre le terrorisme n’était aucunement une guerre contre les Musulmans et l’Islam. Trop tard, la polémique s’était déjà largement diffusée dans la presse des pays musulmans voisins…

Les prédicateurs en Amérique latine
Le prétexte de l’humanitaire pour le prosélytisme n’est pas nouveau pour cette association. En 2001, la Samaritan’s Purse était intervenue auprès des populations du Salvador, victimes de violents tremblements de terre. Selon les témoignages recueillis à l’époque, les missionnaires « Samaritains » passaient de longs moments en prières collectives dans les villages dans lesquels ils intervenaient et n’hésitaient pas à distribuer des tracts encourageant les villageois à croire en Jésus Christ.
La ferveur religieuse chrétienne est déjà vive dans les pays d’Amérique latine. Ce qui pose problème sur ces terres « chrétiennes », ce sont les conflits qui naissent avec les populations catholiques. En Equateur, au Nicaragua…, le schéma est souvent même : des prédicateurs évangélistes s’installent à grands renforts financiers, et diffusent leur message auprès des populations les plus pauvres. Le message est clair : acceptez vos misérables conditions de vie sur terre, car le paradis et de jours meilleurs vous attendent une fois dans l’autre monde. Conséquences : des populations entières qui deviennent amorphes, sans aucune volonté d’améliorer leur situation. Des générations entières sont transformées en attentistes d’une mort libératrice.
Certains voient dans ces messages, martelés lors de prêches véhéments, une volonté de maintenir des populations entières sous contrôle, et éviter ainsi des révoltes sociales. Pour mémoire, dans la plupart des pays d’Amérique latine, 90 % des richesses sont aux mains de 5 à 10 % de la population, voire d’acteurs étrangers de manière directe ou indirecte.

Autre rôle inavoué de ces prédicateurs : infiltrer les populations reculées et leur enseigner, en même temps que les messages de la Bible protestante, les bienfaits du libéralisme économique. Pour pénétrer ces « nouveaux marchés », les techniques sont souvent similaires. L’armée américaine entraîne dans son sillage des congrégations évangélistes lors de ses interventions militaires sur les zones de conflits. Dans l’application du « nation-building » par les Etats-Unis, les entreprises assurent la reconstruction des infrastructures, les juristes celle des institutions… et les évangélistes celle des esprits.

Bien entendu, la Samaritan’s Purse se défend de conditionner son aide à des conversions, mais elle précise également qu’elle fonctionne avec ses fonds propres et en dispose comme elle le souhaite. Dans le New York Times, la Samaritan’s Purse se félicitait tout de même de la conversion de 150 villageois du Salvador auxquels elle avait apporté son aide. Le directeur des « Samaritains » au Salvador s’était toutefois défendu de tout prosélytisme « agressif » et avait rappelé que toutes leurs activités recevaient l’aval du gouvernement américain à l’avance.

Les connexions avec le gouvernement américain
L’association reçoit en effet plus de 250 000 dollars de la part de l'agence américaine pour le développement (United States Agency for International Development, USAID), bien qu’officiellement la charte de cette dernière prévoit qu’elle ne peut pas financer de programmes à caractère religieux ou prosélyte…
Pour mieux comprendre les liens entre le pouvoir et la Samaritan’s Purse, revenons sur le dirigeant de cette dernière. Franklin Graham est considéré comme l’éminence grise de l’administration Bush, voire de « pasteur du président ». C’est lui qui a deux reprises, en 1996 et en 2000, a béni les Conventions républicaines, et qui a prononcé le serment officiel lors de l’investiture de Bush en janvier 2001. Récemment, il a encore dirigé les prières du Vendredi Saint au Pentagone.
Lors du premier conflit irakien en 1991, Franklin Graham était déjà actif dans la zone du Golfe. Il accompagnait alors ses chargements dits « humanitaires » de milliers d’exemplaires de l’évangile traduits en langue arabe. Il s’était à l’époque heurté au général Schwarzkopf qui voyait d’un mauvais œil ces distributions aux populations locales. Depuis le contexte a changé, l’administration du deuxième Bush est soutenue par les chrétiens conservateurs qui encouragent ces projets.
Avec l’aval, l’appui et…la bénédiction de l’administration Bush, quelles seront les conséquences de la Samaritan’s Purse sur l’Irak ?

AVS