Il est toujours étonnant de constater à quel point les « anarchistes » militants, clamant leur athéisme à qui veut l’entendre, conservent finalement une mentalité religieuse ... C’est particulièrement le cas du Critical Art Ensemble (« Utopie du plagiat, Hypertextualité et Production culturelle Electronique », http://www.freescape.eu.org/eclat/3partie/cae/cae.html) : leur éloge du plagiat a quelque chose de presque sacerdotal … Les idées, nous dit-on, s’améliorent, se polissent. Elles ont donc une vie propre, en soi, en dehors des êtres de chair et de sang. Cette apologie du plagiat, rigoureusement platonicienne, s’articule conséquemment sur un Ciel des Idées.
A ceci près, il est vrai, que leur perfection est à bâtir. Elles sont en devenir … Cette fastidieuse tirade du Critical Art s’affirme donc platonicienne et hégélienne… Pour des types qui ringardisent les autres à tout-va, c’est tout de même beaucoup… Un peu rétrogrades ces nihilistes ! Le plagiat, continue-t-on d’apprendre, serait nécessaire, fatal. « Il est la conséquence du progrès. Il s’empare de la phrase d’un auteur, use de ses expressions, efface une idée fausse et la remplace par une idée juste ». Ouh là, c’est pas très démocratique non plus ça : le coup de l’idée « fausse » et de l’idée « juste » ? Doit-on plier le genou devant le Dogme ? Un peu plus bas dans le texte, le Critical Art martèle que les mots « n’appartiennent pas aux écrivains », et il ajoute : « Depuis quand seraient-ils la propriété de quiconque? «Vos propres mots », vraiment ! et qui êtes-« vous » donc ? » On serait conséquemment tentés de demander la même chose : « T’es qui toi, Critical Machin Chouette, pour nous expliquer ce qu’est l’idée fausse et l’idée juste ? »
Sans compter qu’il ne craint pas la confusion ! « Nous sommes à l’âge du recombinatoire, à l’âge des corps recombinés, des catégories sexuelles recombinées, des textes recombinés, de la culture recombinée. […] dans le passé, la recombinatoire a toujours été un élément essentiel du développement du sens et de l’invention » : et alors ? Bien sûr que la signification d’un texte découle exclusivement de sa relation à d’autres textes. Évidemment que ces textes dépendent de ce qu’il y avait avant eux, « du contexte dans lequel ils se trouvent et de la capacité d’interprétation du lecteur » ! Mais en quoi cette vérité banale devrait mettre à mort la notion d’auteur et légitimer le plagiat ? Recombiner des idées et accueillir la richesse des réflexions qui nous ont précédés n’a jamais voulu dire oublier de citer ses sources, de reconnaître ceux qui nous ont intellectuellement et artistiquement nourris! Les esprits puissants reconnaissent volontiers les pensées qui les épaulèrent dans leur croissance mentale. Combiner c’est dialoguer, reconnaître et rencontrer l’Autre, encore faut-il qu’on ne l’extermine pas au passage en niant toute trace de son passage ! De surcroît, pour recombiner avec justesse, pertinence et talent, pour que l’informaton interagisse avec d’autres informations, il faut pouvoir pondérer les sources, les évaluer, en mesurer la crédibilité. Si l’on ignore qui dit quoi, ça risque de se compliquer : à défaut de connaissance, on verra proliférer la propagation de rumeurs et la désinformation en bonne et due forme !! Ce que le Critical Art avoue lui-même en affirmant que le plagiat « s’est historiquement refusé à privilégier un texte quelconque par des mythes légitimants, qu’ils soient spirituels, scientifiques ou autres. Le plagiaire voit tous les objets à l’identique et, de ce fait, il horizontalise le plan du phénomène. Tous les textes sont potentiellement utilisables et réutilisables ». Autant dire que le pire a les mêmes droits que le meilleur ! Et que l’intox vaut la vérité !
« Dans une société dominée par l’explosion de la « connaissance », lit-on encore, il est plus urgent d’explorer les possibilités du sens de l’existant que d’accumuler de l’information redondante. » Non, justement !!! Ce n’est pas la connaissance qui explose, mais la quantité des données et des informations qu’il faut traiter pour être précisément en mesure de produire du savoir, de la connaissance réelle et utile. Plus que jamais, nous nageons dans les approximations, les faux-débats et les faux-semblants, plus que jamais la guerre de l’information faite rage et la manipulation de l’information prolifère. De ce fait, la connaissance n’a jamais paru plus fragile, et conséquemment plus précieuse. C’est évidemment pour cette raison que l’information ne doit certainement pas, comme y invite le Critical Art, « être produite et diffusée en temps réel, sans délai, ni pause ». Tout au contraire, il est urgent de prendre le temps, d’évaluer, de pondérer, de fixer des coefficients de certitude, pour ne pas se laisser abuser, tout simplement parce qu’il y va de notre liberté à tous ! Ces fameuses « constellations textuelles » dont le Critical se gargarise ne sont finalement qu’un magma informe qui ressemble aussi peu à de la connaissance que l’esclavage ressemble à la liberté !
Quant à écrire que le plagiat est une résistance à la privatisation de la culture, c’est affirmer tout bonnement l’inverse de la réalité. Admettre ses « dettes » intellectuelles, continuer de reconnaître des auteurs, des pensées individualisées, autorise précisément à penser le monde, à décrypter des logiques et des dynamiques, à identifier du sens. Pourquoi ? Parce que rendre à César ce qui lui appartient revient à pouvoir resituer, contextualiser des pensées et des analyses, à historiciser, à confronter des opinions différentes, bref à ne rien se laisser imposer tout en persistant à apprendre et à comprendre. Il n’existe aucune possibilité de « démocratie culturelle » dans le plagiat !
Je vous laisse également apprécier le recyclage de vieilles lunes épistémo-philosophiques du Critical Art, s’acharnant sur l’idée d’une unité fondamentale de sens : « L’essentialisme des Lumières n’est pas parvenu à dégager une unité d’analyse qui soit aussi une base du sens. Celles qui interviennent dans l’analyse d’un texte sont tout aussi arbitraires que la connexion entre le signifiant et son référent. […] Le texte en soi est fluide - même si le jeu de langage de l’idéologie peut donner l’illusion d’une stabilité […]. En conséquence, le principal objectif du plagiaire sera donc de restaurer la dynamique et la dérive instable du sens, en s’appropriant et en recombinant des fragments de culture. On peut ainsi produire du sens, sans qu’il soit préalablement associé à un objet ou à un ensemble d’objets. » J’hésite : faut-il rire ou pleurer …Si je comprends bien, le Critical Art vise la suprême dignité de charcuteur de textes … Et comment s’y prendra-t-il pour « restaurer la dynamique et la dérive instable du sens » ? Utilisera-t-il je-ne-sais quelle faculté supra-sensible, faisant surnaturellement la part entre le bon grain et l’ivraie ? Sont-ils marrants tout de même tous ces petits Salomons en herbe !! Il faudra un jour nous expliquer ce que recouvre véritablement « l’échec de l’essentialisme romantique » et le refus de « l’objet supposé transcendantal » : sous le vernis philosophique, il est à craindre que ne se cache que l’indigence intellectuelle des sculpteurs de fumée …
En revanche, on peut soupçonner le Critical Art de ne guère aimer le dépassement et l’effort sur soi qui fondent l’art et caractérisent le talent réel, la virtuosité. Et ce n’est pas moi qui l’invente ; il suffit de lire : « La production culturelle, littéraire ou autre, est traditionnellement un processus lent et pénible. En peinture, sculpture, ou dans l’écriture, la technologie a toujours été primitive. Pinceaux, burins et marteaux, plume et papier, imprimerie même, ne se prêtent pas à la production rapide et à la grande distribution. Le délai entre production et diffusion peut sembler insupportablement long. Comparés aux oeuvres électroniques, les livres d’art et l’art visuel traditionnel souffrent encore énormément de ce problème. » Ah bon ? Parce que la rumination – c’est-à-dire le travail du temps – qui permet la création devrait être dorénavant conçue comme un problème ? Comme une condition inacceptable à éliminer du réel ?
Le Critical Art se prend pour un parangon de techno-culture. J’aimerais savoir ce qui le lui laisse penser … « L’époque actuelle, paraît-il, nous oblige à repenser et à re-formuler la notion de plagiat. » Encore faudrait-il nous expliquer pourquoi. En ce qui me concerne, je n’ai toujours pas saisi … Suis-je lent d’esprit ? « Il est temps de nous servir ouvertement et audacieusement de la méthodologie de la recombinatoire, nous lance-t-on, histoire d’être mieux en accord avec la technologie de notre temps. » Mais pourquoi l’homme devrait-il se plier à la technologie ? Pourquoi s’enferre-t-on régulièrement dans cette passion de l’aliénation, dans ce goût malsain de se rouler dans la boue ? Il m’a toujours semblé, tout au contraire, qu’il incombait à l’humanité de se rendre maître des sciences et des techniques. Ce qui constitue précisément la beauté du techno-pouvoir, de l’authentique techno-culture, c’est son insurrection au service de l’humain, contre tout ce que l’ordre des choses porte d’inique. A l’inverse de ce qu’écrit le Critical Art, les vrais libertaires ne se reconnaissent pas à leur rapidité d’acceptation du réel, mais plutôt à leur capacité de résistance à la bêtise et à l’oppression, quelle que soit sa forme. On est ici loin du compte …
Alexandre LIGNAC
A ceci près, il est vrai, que leur perfection est à bâtir. Elles sont en devenir … Cette fastidieuse tirade du Critical Art s’affirme donc platonicienne et hégélienne… Pour des types qui ringardisent les autres à tout-va, c’est tout de même beaucoup… Un peu rétrogrades ces nihilistes ! Le plagiat, continue-t-on d’apprendre, serait nécessaire, fatal. « Il est la conséquence du progrès. Il s’empare de la phrase d’un auteur, use de ses expressions, efface une idée fausse et la remplace par une idée juste ». Ouh là, c’est pas très démocratique non plus ça : le coup de l’idée « fausse » et de l’idée « juste » ? Doit-on plier le genou devant le Dogme ? Un peu plus bas dans le texte, le Critical Art martèle que les mots « n’appartiennent pas aux écrivains », et il ajoute : « Depuis quand seraient-ils la propriété de quiconque? «Vos propres mots », vraiment ! et qui êtes-« vous » donc ? » On serait conséquemment tentés de demander la même chose : « T’es qui toi, Critical Machin Chouette, pour nous expliquer ce qu’est l’idée fausse et l’idée juste ? »
Sans compter qu’il ne craint pas la confusion ! « Nous sommes à l’âge du recombinatoire, à l’âge des corps recombinés, des catégories sexuelles recombinées, des textes recombinés, de la culture recombinée. […] dans le passé, la recombinatoire a toujours été un élément essentiel du développement du sens et de l’invention » : et alors ? Bien sûr que la signification d’un texte découle exclusivement de sa relation à d’autres textes. Évidemment que ces textes dépendent de ce qu’il y avait avant eux, « du contexte dans lequel ils se trouvent et de la capacité d’interprétation du lecteur » ! Mais en quoi cette vérité banale devrait mettre à mort la notion d’auteur et légitimer le plagiat ? Recombiner des idées et accueillir la richesse des réflexions qui nous ont précédés n’a jamais voulu dire oublier de citer ses sources, de reconnaître ceux qui nous ont intellectuellement et artistiquement nourris! Les esprits puissants reconnaissent volontiers les pensées qui les épaulèrent dans leur croissance mentale. Combiner c’est dialoguer, reconnaître et rencontrer l’Autre, encore faut-il qu’on ne l’extermine pas au passage en niant toute trace de son passage ! De surcroît, pour recombiner avec justesse, pertinence et talent, pour que l’informaton interagisse avec d’autres informations, il faut pouvoir pondérer les sources, les évaluer, en mesurer la crédibilité. Si l’on ignore qui dit quoi, ça risque de se compliquer : à défaut de connaissance, on verra proliférer la propagation de rumeurs et la désinformation en bonne et due forme !! Ce que le Critical Art avoue lui-même en affirmant que le plagiat « s’est historiquement refusé à privilégier un texte quelconque par des mythes légitimants, qu’ils soient spirituels, scientifiques ou autres. Le plagiaire voit tous les objets à l’identique et, de ce fait, il horizontalise le plan du phénomène. Tous les textes sont potentiellement utilisables et réutilisables ». Autant dire que le pire a les mêmes droits que le meilleur ! Et que l’intox vaut la vérité !
« Dans une société dominée par l’explosion de la « connaissance », lit-on encore, il est plus urgent d’explorer les possibilités du sens de l’existant que d’accumuler de l’information redondante. » Non, justement !!! Ce n’est pas la connaissance qui explose, mais la quantité des données et des informations qu’il faut traiter pour être précisément en mesure de produire du savoir, de la connaissance réelle et utile. Plus que jamais, nous nageons dans les approximations, les faux-débats et les faux-semblants, plus que jamais la guerre de l’information faite rage et la manipulation de l’information prolifère. De ce fait, la connaissance n’a jamais paru plus fragile, et conséquemment plus précieuse. C’est évidemment pour cette raison que l’information ne doit certainement pas, comme y invite le Critical Art, « être produite et diffusée en temps réel, sans délai, ni pause ». Tout au contraire, il est urgent de prendre le temps, d’évaluer, de pondérer, de fixer des coefficients de certitude, pour ne pas se laisser abuser, tout simplement parce qu’il y va de notre liberté à tous ! Ces fameuses « constellations textuelles » dont le Critical se gargarise ne sont finalement qu’un magma informe qui ressemble aussi peu à de la connaissance que l’esclavage ressemble à la liberté !
Quant à écrire que le plagiat est une résistance à la privatisation de la culture, c’est affirmer tout bonnement l’inverse de la réalité. Admettre ses « dettes » intellectuelles, continuer de reconnaître des auteurs, des pensées individualisées, autorise précisément à penser le monde, à décrypter des logiques et des dynamiques, à identifier du sens. Pourquoi ? Parce que rendre à César ce qui lui appartient revient à pouvoir resituer, contextualiser des pensées et des analyses, à historiciser, à confronter des opinions différentes, bref à ne rien se laisser imposer tout en persistant à apprendre et à comprendre. Il n’existe aucune possibilité de « démocratie culturelle » dans le plagiat !
Je vous laisse également apprécier le recyclage de vieilles lunes épistémo-philosophiques du Critical Art, s’acharnant sur l’idée d’une unité fondamentale de sens : « L’essentialisme des Lumières n’est pas parvenu à dégager une unité d’analyse qui soit aussi une base du sens. Celles qui interviennent dans l’analyse d’un texte sont tout aussi arbitraires que la connexion entre le signifiant et son référent. […] Le texte en soi est fluide - même si le jeu de langage de l’idéologie peut donner l’illusion d’une stabilité […]. En conséquence, le principal objectif du plagiaire sera donc de restaurer la dynamique et la dérive instable du sens, en s’appropriant et en recombinant des fragments de culture. On peut ainsi produire du sens, sans qu’il soit préalablement associé à un objet ou à un ensemble d’objets. » J’hésite : faut-il rire ou pleurer …Si je comprends bien, le Critical Art vise la suprême dignité de charcuteur de textes … Et comment s’y prendra-t-il pour « restaurer la dynamique et la dérive instable du sens » ? Utilisera-t-il je-ne-sais quelle faculté supra-sensible, faisant surnaturellement la part entre le bon grain et l’ivraie ? Sont-ils marrants tout de même tous ces petits Salomons en herbe !! Il faudra un jour nous expliquer ce que recouvre véritablement « l’échec de l’essentialisme romantique » et le refus de « l’objet supposé transcendantal » : sous le vernis philosophique, il est à craindre que ne se cache que l’indigence intellectuelle des sculpteurs de fumée …
En revanche, on peut soupçonner le Critical Art de ne guère aimer le dépassement et l’effort sur soi qui fondent l’art et caractérisent le talent réel, la virtuosité. Et ce n’est pas moi qui l’invente ; il suffit de lire : « La production culturelle, littéraire ou autre, est traditionnellement un processus lent et pénible. En peinture, sculpture, ou dans l’écriture, la technologie a toujours été primitive. Pinceaux, burins et marteaux, plume et papier, imprimerie même, ne se prêtent pas à la production rapide et à la grande distribution. Le délai entre production et diffusion peut sembler insupportablement long. Comparés aux oeuvres électroniques, les livres d’art et l’art visuel traditionnel souffrent encore énormément de ce problème. » Ah bon ? Parce que la rumination – c’est-à-dire le travail du temps – qui permet la création devrait être dorénavant conçue comme un problème ? Comme une condition inacceptable à éliminer du réel ?
Le Critical Art se prend pour un parangon de techno-culture. J’aimerais savoir ce qui le lui laisse penser … « L’époque actuelle, paraît-il, nous oblige à repenser et à re-formuler la notion de plagiat. » Encore faudrait-il nous expliquer pourquoi. En ce qui me concerne, je n’ai toujours pas saisi … Suis-je lent d’esprit ? « Il est temps de nous servir ouvertement et audacieusement de la méthodologie de la recombinatoire, nous lance-t-on, histoire d’être mieux en accord avec la technologie de notre temps. » Mais pourquoi l’homme devrait-il se plier à la technologie ? Pourquoi s’enferre-t-on régulièrement dans cette passion de l’aliénation, dans ce goût malsain de se rouler dans la boue ? Il m’a toujours semblé, tout au contraire, qu’il incombait à l’humanité de se rendre maître des sciences et des techniques. Ce qui constitue précisément la beauté du techno-pouvoir, de l’authentique techno-culture, c’est son insurrection au service de l’humain, contre tout ce que l’ordre des choses porte d’inique. A l’inverse de ce qu’écrit le Critical Art, les vrais libertaires ne se reconnaissent pas à leur rapidité d’acceptation du réel, mais plutôt à leur capacité de résistance à la bêtise et à l’oppression, quelle que soit sa forme. On est ici loin du compte …
Alexandre LIGNAC