La Guerre asymétrique

Puissance et guerre asymétrique : réflexions autour du dernier livre de Jacques Baud ( La Guerre asymétrique . Editions du Rocher, 2003)…
« L’une des particularités essentielles de la guerre asymétrique, écrit Jacques Baud, est qu’elle n’est pas basée sur la recherche de la supériorité, mais sur la conversion de la supériorité de l’adversaire en faiblesse. » Autant dire que les problématiques de la guerre asymétrique sont aujourd’hui directement liées à celle de l’accroissement de puissance. En effet, dans la mesure où l’on ne peut, ni veut, acquérir une puissance vouée à l’exaltation du hard power, c’est-à-dire à l’imposition d’une domination, d’un unilatéralisme tous azimuts, on ne peut qu’observer attentivement les dynamiques du conflit asymétrique. Et ce pour deux raisons. La première relève de l’évidence : personne ne peut  déployer une puissance primaire – fondée sur la violence – capable d’équilibrer celle développée par le dominant du moment, c’est-à-dire les Etats-Unis. La seconde tient à l’éthique, c’est-à-dire au souhaitable : il n’est plus acceptable de concevoir la puissance comme un processus de domination. De surcroît, il est de plus en plus difficile de légitimer une telle option. En effet, le nerf de la guerre, au XXIe siècle, c’est la légitimité de l’action armée. « Les capacités guerrières existent, mais la réticence à les utiliser constitue le véritable obstacle. Or, cette légitimité est dans une très large mesure dépendante de la perception du confit. Durant la guerre froide, l’URSS avait très bien compris ce phénomène et a été le principal soutien financier des mouvements pacifistes européens. La guerre de l’information, dans son acception asymétrique, est donc une « guerre de la perception ». / Le phénomène n’est pas nouveau, et la désinformation a accompagné l’art de la guerre tout au long de l’Histoire. La différence est que, dans l’Occident démocratique, la légitimité de l’action militaire est incontournable et tend à primer l’efficacité opérationnelle, alors qu’elle pouvait être plus facilement « manipulée » par le passé. »
Par conséquent, le « soft power » accroît chaque jour un peu plus sa crédibilité, et installe sa légitimité. Or, il s’avère à la portée du faible… Sans nul doute, le fort peut l’acquérir et le déployer avec d’autant plus d’aisance qu’il y consacre d’importantes ressources financières, mais il est incapable d’en interdire l’accès à celui qui se situe dans une position de faiblesse relative. D’où l’attention que doit susciter pour ce dernier la guerre de l’information. Bien entendu – Jacques Baud le souligne également avec raison –, la guerre de l’information (si on la comprend comme tentative de maîtrise de ladite information) n’est qu’une partie des guerres asymétriques, c’est-à-dire de la stratégie du faible au fort. Il n’en reste pas moins qu’elle en constitue un élément majeur. Pourquoi ? Parce que la guerre de l’information vise en dernier ressort à modeler les perceptions. Or, c’est aujourd’hui l’objectif majeur de toute volonté de contrôle social ou de dominance culturelle. Et ceci devient paradoxalement d’autant plus facile que l’individu se noie aujourd’hui dans l’océan de l’information. Il n’est plus en mesure d’absorber sélectivement les données pour produire une connaissance efficace, utile. Il ne parvient pas à faire le tri nécessaire entre l’essentiel et l’accessoire, ce qui empêche la formation d’un regard critique. Le citoyen lambda devient dès lors une proie plus facile, l’objet de la manipulation des pouvoirs. Il s’ouvre donc des perspectives d’interprétation et de décryptage de l’environnement informationnel à explorer résolument, pour redonner à chaque citoyen un espace de libre appréciation du monde et des événements.
Reste à soulever un dernier point, éthique … La stratégie asymétrique, la stratégie du faible au fort que son équipe juge – avec d’autres – parfaitement républicaine et démocratique, n’a rien à voir avec cette stratégie asymétrique pervertie que représente le terrorisme, ce trou noir de la conscience humaine. Si les stratégies asymétriques informationnelles tentent d’influencer par la force de l’intelligence, en considération de l’avenir des générations futures et de la dignité des individus, celles que nous reconnaissons légitimes ne recherchent ni l’effondrement de systèmes entiers ni la destruction d’autres sociétés. Les « valeurs » de ces hommes qui assassinent ne sont pas les nôtres : elles sont tout juste le contraire absolu de tous nos principes …


Thierry SERVAL