Guerre de communication et d’influence dans l’agroalimentaire

Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un milliard d’adultes sont en état de surpoids dans le monde et 300 millions d’individus sont cliniquement obèses. L’OMS parle « d’épidémie du siècle ». La population française n’est pas épargnée par ce phénomène avec un taux de croissance d’obèses de 5 % par an, et 14,4 % des enfants de 5 à 6 ans qui sont déjà en surpoids. Malgré ces données inquiétantes, les parlementaires français ont rejeté le 9 octobre dernier, quatre amendements destinés à lutter contre l'obésité chez les enfants lors de la première lecture du projet de loi sur la santé publique…Une dynamique préventive cassée
En 2001, un groupe d’experts a été constitué au sein de l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments) afin de mettre en lumière les problèmes sanitaires liés au sel dans l’alimentation. Le rapport rendu public en 2002 recommandait une diminution de la consommation de sel de 20 % dans les cinq prochaines années pour atteindre un apport moyen de l’ordre de 7 à 8 grammes par jour. En validant ces recommandations, la France par la voix de son Ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, avait montré sa détermination à lutter contre ce grave problème de santé publique. Les maladies cardiovasculaires sont en effet la première cause de mortalité en France, et les anti-hypertenseurs représentent le premier poste de dépenses en médicaments de la Sécurité sociale.

Cependant, un an après ce rapport, les recommandations concernant l’excès de sel dans l’alimentation ont disparu de la loi de santé publique, récemment discutée au Parlement. La consommation de sel augmente en France, comme d’ailleurs dans les autres pays industrialisés. Cette augmentation se remarque surtout chez les jeunes, notamment en raison de la consommation de plus en plus fréquente de plats préparés particulièrement salés. Le député PS, Jean-Marie Le Guen, estime quant à lui qu’il y aura en France 20 % d’enfants obèses dans la prochaine décennie si aucune action politique n’est prise.

Un lobby agroalimentaire puissant
Face au politique, les industriels de l’agroalimentaires jouent de leur influence et de leur communication pour préserver cette manne financière ; en 2001, le « grignotage » seul représentait 10 % des dépenses alimentaires. Au premier semestre 2003, selon l’institut d’études SECODIP, ces industriels ont dépensé plus de 300 millions d’euros afin de promouvoir en France les boissons sucrées, les confiseries, les chocolats, les biscuits et les chips.
La consommation excessive de sel est un autre axe sanitaire plus méconnu, mais également inquiétant. Le tableau ci-dessous (1) présente les aliments les plus riches en sel dans l’alimentation des Français. Les apports extérieurs de sel (le chlorure de sodium) aux aliments sont marginaux. Ce sont les quantités de sodium présentes dans les aliments, ou ajoutées au cours des processus de fabrication, qui sont à considérer. Par exemple, si la consommation journalière de sel ajouté est de 1 gramme, la quantité de sodium dans les aliments est de 8 grammes !



Deux principaux problèmes se présentent aux consommateurs : le manque de sensibilisation autour de la consommation du sel et du sucre, et l’absence d’informations claires sur la composition des aliments.
L’étude SECODIP révèle également que la télévision est le relais privilégié de cette communication. Face au matraquage visuel, les faibles connaissances nutritionnelles du consommateur se font terriblement ressentir. Quand une publicité met en avant un yaourt contenant 0 % de matière grasse avec un slogan du type : « Rester mince, c’est facile ! », on frôle la désinformation. La matière grasse, ce sont les lipides, qu’en est-il des glucides, ou plus simplement du sucre ? Même sans en rajouter, ces yaourts « 0 % » contiennent du sucre et ne sont en aucune manière une solution pour rester mince, sans parler des problèmes de diabète qui en découlent.

Un Etat responsable ou un réveil de l’opinion publique
Comment diminuer les consommations excessives de sel et de sucre dans l’alimentation des Français ? L’Etat ne doit pas démissionner de ses devoirs de prévention. Il doit prendre en compte l’impact dévastateur sur la santé des Français, impact qui aggrave directement le déficit budgétaire et le trou de la sécurité sociale. Malgré les pressions des lobbies de l'agroalimentaire, l’Etat doit envoyer un message fort en direction des industriels du secteur.
Si cette fermeté ne vient pas « d’en haut », devra-t-on attendre une fois de plus des vagues de procès (type class-action) de consommateurs lésés ? Ou bien faudra-t-il attendre que l’opinion publique se fasse à nouveau entendre sur la question de la santé pour espérer une prise de position de notre gouvernement ?


1. Rapport du groupe de travail sur le sel, AFSSA, janvier 2002.
Lire le rapport sur le sel de l’AFSSA

AVS