L’émission 100 minutes pour convaincre, diffusée sur France 2, avait invité jeudi 25 septembre José Bové. Le leader de la Confédération paysanne a démontré son talent de polémiste en repoussant sans grandes difficultés les piètres assauts des contradicteurs/vedettes à savoir Frantz Olivier Giesbert, de Bernard Kouchner, de Philippe Douste Blazy et Alain Duhamel. Seuls un agriculteur alsacien et la mère d’un enfant malade ont réussi à égratigner la rhétorique bien huilée du leader de la Confédération paysanne. Mais derrière cet exercice de façade, se cachent d’autres enseignements moins parisiens.A plus d’un titre, cette émission est un morceau d’anthologie en termes de guerre de l’information appliquée au débat politique. L’objectif des contradicteurs était d’amener José Bové à se positionner par rapport à l’engagement politique. Mais au lieu de piéger Bové en le poussant dans ses contradictions, ce sont ses contradicteurs qui ont été obligés de se justifier sur le bien-fondé de leur interrogation principale : pourquoi José Bové ne devient-il pas un homme politique en se présentant aux élections ? Comment ses contradicteurs ont-ils commis une telle erreur ? D’abord par manque de professionnalisme. Le courant de pensée que représente José Bové n’est pas sorti de nulle part.
Les pratiques de désobéissance civile auxquelles il se réfère ont été largement usitées en Italie au cours des années 1970. Cette démarche de contre-pouvoir a même été théorisée par Toni Négri, à l’époque un des dirigeants de l’Autonomie ouvrière italienne qui s’opposait à la stratégie frontale des Brigades Rouges contre l’Etat et le Compromis historique entre le Parti Communiste italien et la Démocratie chrétienne. La stratégie a abouti à un échec stratégique qui a été intériorisé par une partie non négligeable de l’extrême gauche européenne. Contrairement aux apparences, cette mouvance a tiré des bilans de ses échecs. Non pas à la suite d’un vaste mouvement public de réflexion et de remise en cause idéologique mais par tâtonnement à travers différentes expériences telles que l’expérience du sous Commandant Marcos au Mexique ou les innovations en termes de pouvoirs locaux, répertoriées lors du contre sommet de Porto Alegre.
La catalyse de cette remontée progressive de bilans a été possible grâce à l’émergence des Organisations Non Gouvernementales comme nouveaux points d’ancrage dans la société civile. Les errements passés des organisations subversives enlisées dans leur problématique révolutionnaire ont été dépassés par cette possibilité de trouver une nouvelle forme de légitimité dans le débat démocratique. C’est le cœur de l’argumentation de José Bové lorsqu’il exprime son souci de rester dans son rôle de syndicaliste. Il signale d’ailleurs à ce propos la place que l’Organisation des Nations Unies reconnaît désormais aux ONG aux côtés du monde politique et du monde économique. Cette analyse gommait de fait la pertinence de la question : pourquoi Monsieur Bové ne devenez-vous pas un homme politique ?
En revanche, ce temps précieux dépensé inutilement aurait pu être utilisé autrement. La nouvelle stratégie de désobéissance civile adoptée par la mouvance proche de José Bové a-t-elle plus de chances de réussir que celle préconisée jadis par Toni Négri ? Rien n’est moins sûr. Qu’en est-il d’abord des objectifs poursuivies et surtout de la vision subversive des choses ? Les actions spectaculaires menées par la mouvance de José Bové ne pointent qu’une infime partie des problèmes. On peut même s’étonner de constater que ces attaques soient parfois aussi peu incisives. A l’heure où certains grands groupes de l’agroalimentaire américains s’interrogent sur le contenu de leurs produits (cf article du journal Monde Le mea culpa des industriels face à l’essor du grignotage, daté du 3 septembre 2003), la Confédération paysanne est plutôt effacée devant l’ampleur du débat de société sur le triptyque système industriel, alimentation et mode de vie. A titre d’exemple, elle n’a jamais interpellé sérieusement le monde médical américain sur les conséquences de plus en plus visibles des effets néfastes d’une partie de la production agroalimentaire sur la santé publique aux Etats-Unis. Et pourtant il y avait de quoi faire puisque même en France les ONG médicales restent plutôt aphones sur ce sujet scabreux.
Cette approche timorée n’est pas cohérente lorsqu’on observe la virulence des amis de José Bové à propos des Organismes Génétiquement Modifiés. On peut aussi s’étonner que la Confédération paysanne n’ait jamais établi de parallèle significatif entre la crise de la famille qui sévit aux Etats-Unis (cas de plus en plus fréquent des enfants qui grignotent devant un poste de télévision et qui ne dînent plus avec leurs parents, excepté le week end) et la politique suivie par ces mêmes groupes agroalimentaires et la grande distribution. La présence croissante de ces groupes agroalimentaires dans les milieux éducatifs est à l’origine de pratiques démagogiques comme celles d’offrir des produits en fonction des notes obtenues. Sur ce terrain, José Bové apparaît effectivement comme un syndicaliste au champ d’analyse très limité.
Qu’en est-il enfin de la nécessaire réflexion sur les réalités des rapports de force entre puissances ? Sur ce sujet, José Bové, comme tant d’autres dans l’alter mondialisation, bote en touche en sortant sa carte de citoyen du monde. Seulement voilà, cette attitude-là est trop facile. Le modèle contestataire communiste a été un échec notamment parce qu’il était fondé sur le principe de la construction du socialisme dans un seul pays. Autrement dit, seul importait le monde à venir et non celui qui faisait face. En les occultant de leur raisonnement, les ténors de l’alter mondialisation font une impasse qui frise le contresens. La version revue et corrigée d’un monde meilleur à l’échelle planétaire, au-delà des réalités de puissances, risque de suivre le même cheminement aveugle que les cohortes de révoltés des années 30. Sans finalité stratégique, la contestation devient au mieux une rente de situation, au pire un cul de sac qui alimente surtout les réparateurs de vitrines et les tribunaux. C’est le vrai piège dans lequel risque de tomber à terme José Bové. Il est dommage que ses contradicteurs d’un soir ne lui aient pas posé une question aussi élémentaire.
Christian Harbulot
Nota bene : Les rapports de force entre puissances sont une des données essentielles du problème de la mondialisation des échanges. On le voit transparaître de manière très didactique à travers l’épineux dossier de la déréglementation de l’électricité en Europe. Sur ce dossier exemplaire d’incompatibilité possible entre les mécanismes du marché et les attentes de la société civile, José Bové n’est guère bavard. Faut-il démanteler un système public qui marche et qui satisfait les consommateurs au profit d’un système privé qui fuit ses responsabilités en cas de dysfonctionnement grave ? Le catastrophique dossier californien sur l’électricité ainsi que les récentes pannes géantes nord-américaine et italienne ne sont-ils pas des signaux forts sur la nécessité d’une politique énergétique de puissance publique sortant du strict cadre du marché ? Dans cette équation, le service rendu aux citoyens, l’intérêt des entreprises, les calculs syndicaux et le pilotage stratégique du politique à la tête de l’Etat ne sont pas forcément en harmonie. L’équipe d’Infoguerre mettra bientôt en ligne un article sur la polémique à venir concernant un éventuel démantèlement d’EDF.
Les pratiques de désobéissance civile auxquelles il se réfère ont été largement usitées en Italie au cours des années 1970. Cette démarche de contre-pouvoir a même été théorisée par Toni Négri, à l’époque un des dirigeants de l’Autonomie ouvrière italienne qui s’opposait à la stratégie frontale des Brigades Rouges contre l’Etat et le Compromis historique entre le Parti Communiste italien et la Démocratie chrétienne. La stratégie a abouti à un échec stratégique qui a été intériorisé par une partie non négligeable de l’extrême gauche européenne. Contrairement aux apparences, cette mouvance a tiré des bilans de ses échecs. Non pas à la suite d’un vaste mouvement public de réflexion et de remise en cause idéologique mais par tâtonnement à travers différentes expériences telles que l’expérience du sous Commandant Marcos au Mexique ou les innovations en termes de pouvoirs locaux, répertoriées lors du contre sommet de Porto Alegre.
La catalyse de cette remontée progressive de bilans a été possible grâce à l’émergence des Organisations Non Gouvernementales comme nouveaux points d’ancrage dans la société civile. Les errements passés des organisations subversives enlisées dans leur problématique révolutionnaire ont été dépassés par cette possibilité de trouver une nouvelle forme de légitimité dans le débat démocratique. C’est le cœur de l’argumentation de José Bové lorsqu’il exprime son souci de rester dans son rôle de syndicaliste. Il signale d’ailleurs à ce propos la place que l’Organisation des Nations Unies reconnaît désormais aux ONG aux côtés du monde politique et du monde économique. Cette analyse gommait de fait la pertinence de la question : pourquoi Monsieur Bové ne devenez-vous pas un homme politique ?
En revanche, ce temps précieux dépensé inutilement aurait pu être utilisé autrement. La nouvelle stratégie de désobéissance civile adoptée par la mouvance proche de José Bové a-t-elle plus de chances de réussir que celle préconisée jadis par Toni Négri ? Rien n’est moins sûr. Qu’en est-il d’abord des objectifs poursuivies et surtout de la vision subversive des choses ? Les actions spectaculaires menées par la mouvance de José Bové ne pointent qu’une infime partie des problèmes. On peut même s’étonner de constater que ces attaques soient parfois aussi peu incisives. A l’heure où certains grands groupes de l’agroalimentaire américains s’interrogent sur le contenu de leurs produits (cf article du journal Monde Le mea culpa des industriels face à l’essor du grignotage, daté du 3 septembre 2003), la Confédération paysanne est plutôt effacée devant l’ampleur du débat de société sur le triptyque système industriel, alimentation et mode de vie. A titre d’exemple, elle n’a jamais interpellé sérieusement le monde médical américain sur les conséquences de plus en plus visibles des effets néfastes d’une partie de la production agroalimentaire sur la santé publique aux Etats-Unis. Et pourtant il y avait de quoi faire puisque même en France les ONG médicales restent plutôt aphones sur ce sujet scabreux.
Cette approche timorée n’est pas cohérente lorsqu’on observe la virulence des amis de José Bové à propos des Organismes Génétiquement Modifiés. On peut aussi s’étonner que la Confédération paysanne n’ait jamais établi de parallèle significatif entre la crise de la famille qui sévit aux Etats-Unis (cas de plus en plus fréquent des enfants qui grignotent devant un poste de télévision et qui ne dînent plus avec leurs parents, excepté le week end) et la politique suivie par ces mêmes groupes agroalimentaires et la grande distribution. La présence croissante de ces groupes agroalimentaires dans les milieux éducatifs est à l’origine de pratiques démagogiques comme celles d’offrir des produits en fonction des notes obtenues. Sur ce terrain, José Bové apparaît effectivement comme un syndicaliste au champ d’analyse très limité.
Qu’en est-il enfin de la nécessaire réflexion sur les réalités des rapports de force entre puissances ? Sur ce sujet, José Bové, comme tant d’autres dans l’alter mondialisation, bote en touche en sortant sa carte de citoyen du monde. Seulement voilà, cette attitude-là est trop facile. Le modèle contestataire communiste a été un échec notamment parce qu’il était fondé sur le principe de la construction du socialisme dans un seul pays. Autrement dit, seul importait le monde à venir et non celui qui faisait face. En les occultant de leur raisonnement, les ténors de l’alter mondialisation font une impasse qui frise le contresens. La version revue et corrigée d’un monde meilleur à l’échelle planétaire, au-delà des réalités de puissances, risque de suivre le même cheminement aveugle que les cohortes de révoltés des années 30. Sans finalité stratégique, la contestation devient au mieux une rente de situation, au pire un cul de sac qui alimente surtout les réparateurs de vitrines et les tribunaux. C’est le vrai piège dans lequel risque de tomber à terme José Bové. Il est dommage que ses contradicteurs d’un soir ne lui aient pas posé une question aussi élémentaire.
Christian Harbulot
Nota bene : Les rapports de force entre puissances sont une des données essentielles du problème de la mondialisation des échanges. On le voit transparaître de manière très didactique à travers l’épineux dossier de la déréglementation de l’électricité en Europe. Sur ce dossier exemplaire d’incompatibilité possible entre les mécanismes du marché et les attentes de la société civile, José Bové n’est guère bavard. Faut-il démanteler un système public qui marche et qui satisfait les consommateurs au profit d’un système privé qui fuit ses responsabilités en cas de dysfonctionnement grave ? Le catastrophique dossier californien sur l’électricité ainsi que les récentes pannes géantes nord-américaine et italienne ne sont-ils pas des signaux forts sur la nécessité d’une politique énergétique de puissance publique sortant du strict cadre du marché ? Dans cette équation, le service rendu aux citoyens, l’intérêt des entreprises, les calculs syndicaux et le pilotage stratégique du politique à la tête de l’Etat ne sont pas forcément en harmonie. L’équipe d’Infoguerre mettra bientôt en ligne un article sur la polémique à venir concernant un éventuel démantèlement d’EDF.