Les entreprises françaises victimes de la guerre de l’information

Il serait utile de tenir à jour une liste exhaustive des entreprises françaises victimes d’attaques informationnelles. Cette liste n’existe pas à priori et si une administration française la possède, sa confidentialité est absurde car elle dissimule une réalité qu’il est désormais impératif de
rendre publique.
Rappelons pour mémoire quelques cas flagrants de l’année en cours.Six entreprises françaises ont fait l'objet d'attaques informationnelles depuis près d'un an. Ces entreprises ne sont pas au cœur de la défense de l'indépendance de la France, mais se situent dans les domaines de l'économie de l'information et de la culture. Ces deux secteurs sont en pleine explosion et représentent un caractère stratégique car ils diffusent à la fois les modes de vie et permettent la perception de notre environnement.
Ces secteurs via les systèmes d'échanges comme Internet sont aussi un nouvel espace de développement commercial atténuant les obstacles nationaux. La maîtrise des contenus (Vivendi Universal, France Telecom, Altran) devient aussi importante que la maîtrise et la capacité de développement des contenants (Alcatel, Gemplus, France Telecom.

Or chacune des entreprises citées a subi de graves revers ces derniers mois
à la fois sur leur valeur boursière (perte de l'ordre de 65 % en moyenne) et dans leur activité industrielle. Face à ce faisceau de déconvenues nous pouvons nous limiter à une explication géopolitique de la crise internationale et chercher aussi des hypothèses dans les rapports de forces
géoéconomiques pour ces secteurs émergeants, stratégiques.

Il ne nous appartient pas de juger et d'émettre un avis péremptoire, mais de mettre à la lumière du lecteur des faits qui apparaissent concordants.

Vivendi Universal

L'entreprise a été prise dans la tourmente en l'espace de six mois. Beaucoup de rumeurs se sont focalisées sur l'ancien PDG JM Messier (défaut de paiement, opacité des comptes, magouillage des AG). On pourrait penser que ces accusations entraînent une remise en cause générale de l'ensemble du système de décision de l'entreprise (CA, direction financière, auditeur, direction...). Il n'en a pas été ainsi, M. Messier est parti accompagné de quelques administrateurs. En fait, il nous a été pudiquement expliqué par bribes, les éléments de cette rupture. Les banques ne voulaient plus de JMM.
La famille américaine Bronsfeld (ex-PDG d'Universal) n'a pas apprécié l'américanisation de JMM... et M. Bébéar voulait être administrateur de VU. Comme l'ancien PDG de Axa garde la main sur le 1er groupe financier international, il ne se priva pas de faire jouer ses moyens de pression.
Insistons cependant sur le fait que la soumission de Messier aux normes anglo-saxonnes et sa trahison de l'exception culturelle française sont les pivots de cette crise et des manœuvres informationnelles qui se sont succédé par la suite.
Trois mois après la démission de JMM, le début du démantèlement de VU-VE commença. La multinationale de médias n'existe plus, laissant la place à un
grand groupe de communication recentré sur quelques secteurs.

France Telecom

Ici aussi il y a un phénomène de focalisation sur le PDG et non sur les acteurs de la décision. Ce phénomène est aggravé par la présence comme actionnaire de l'Etat français. Le processus est différent.
Pour France Telecom, l'élément premier est l'affaire Mobilcom. Cette investissement malheureux » est un cas d’école dans l’incapacité d’un patron français Michel Bon à appliquer des règles élémentaires de management de l’information, donc d’intelligence économique. En Allemagne, cette opération va induire le doute sur France Telecom dans le presse puis chez les investisseurs (notamment petits porteurs). Les administrateurs nommés par la tutelle démissionnent mais ils clament leur solidarité avec Michel Bon. Rappelons que l’affaire France Telecom est 5 fois plus grave que celle du Crédit Lyonnais.
Il reste néanmoins que France Telecom dut refuser et abandonner des licences de la prochaine génération de portable (UMTS) isolant à l'avenir l'opérateur français.

Alcatel

En mai 2001, la société d'équipement électronique a souhaité acquérir la société Lucent (Etats-Unis) pour avoir une taille critique dans la télécommunication mondiale. Pour cela, Alcatel recrute un spécialiste américain de son secteur qu'elle embauche sur place avec pour objectif de négocier et d'intégrer la société Lucent. Les négociations se déroulent sans encombre car Lucent est confronté à de nombreuses difficultés financières.
Il apparaît que l'administration américaine est intervenue personnellement pour empêcher cette fusion au moment de la finalisation de l'accord (source Intelligence on line n° 444). Mais comme le rappelle avec insistance Monsieur de Villepin, les Américains restent nos alliés. Personne n’en doute mais il faudrait que Monsieur de Villepin nous indique le prix à payer et accepterons-nous de boire le calice jusqu’à la lie. L’électeur français tranchera.

Altran

Il s'agit là d'une tentative de dénigrement de la société de conseil français afin de récupérer un savoir-faire à bas prix. De nombreuses actions ont été perpétrées au sein de l'entreprise à Madrid et à Singapour. Les salariés de l'entreprise se sont regroupés au sein d'une association Altran c'est nous et publient sur un site Internet leur point de vue. Ils font aussi un état des tentatives de déstabilisation que subit l'entreprise à travers l'Europe. Selon l'association de salariés, l'origine des rumeurs ferait suite au rachat d'une partie des actifs d'Arthur D. Little. Le site à visiter : www.altran-cest-nous.org. Il n’en demeure pas moins vrai que le management d’Altran a commis des erreurs et des responsables ont dû démissionner. Le plus dur dans cette affaire est de faire le tri entre l’intérêt de puissance et les infractions qui pénalisent à juste titre l’image de l’entreprise.

Sodexho

La société française a été attaquée par l'information aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, en raison de son implication dans la gestion du système pénitentiaire. La principale attaque s'est portée sur les plateaux repas fabriqués et conditionnés par des prisonniers, destinés aux université américaines. Les médias ont rendu compte. Cette affaire est-elle une conséquence indirecte de nos divergences avec les Etats-Unis dans le conflit irakien ou a-t-elle d’autres explications ? Le débat reste ouvert.

Gemplus

Un fond de pension américain, proche des administrations Clinton et Bush, est soupçonné d'acquérir puis de transférer le savoir-faire et les brevets de la carte à puce vers les Etats-Unis. Ce procédé est jugé très sûr et n'existe presque pas aux Etats-Unis. Il permettrait aux banques américaines d'obtenir une position dominante et à l'administration de pouvoir développer un système de sécurité unique. Nous avons déjà commenté cette affaire sur Infoguerre. Elle illustre l’incapacité du politique à définir une politique de grand projet en matière de technologie de l’information. Désolé Monsieur de Villepin, mais dans ce domaine, les Américains ne sont pas que des alliés.

Alstom

En 2002, la société Alstom a été victime de rumeurs à propos des procès sur l'amiante. A l'occasion de la publication des résultats 2001, la société Alstom avait publié dans un encart une provision de plusieurs millions d'euros pour prévenir les verdicts des procès en rapport avec l'amiante.
Vers la fin de l'année, en provenance des Etats-Unis, un forum d'investisseur a émis l'information que Alstom avait en cachette provisionné l'argent de ses futurs défaites judiciaires sur l'amiante. Sans vérification apparente, le Wall Street Journal et le New- York Times ont relayé cette information. Celle-ci provoqua la chute du cours d'Alstom (déjà bien bas).
L'entreprise réagit en ressortant son rapport annuel prouvant qu'il n'y avait rien de secret. Le cours de bourse se ressaisit mais l'entreprise dut faire face à ses créanciers. Le plan de restructuration de Pierre Bilgé fut largement parasité par la pression des actionnaires (grands et petits) et par cette suspicion qui se retrouve encore dans le presse. Les liens entre le « New- York Times » et « Le Monde » permirent un voyage transatlantique à cette rumeur qui a été repris récemment sur un deux pages par « La Tribune ».

Vincent CHAGNEAU