Bagdad : un remake de la bataille d’Alger ?

Pendant la deuxième guerre du golfe, alors que l’offensive américaine battait son plein et que les médias et spécialistes s’interrogeaient sur la capacité de résistance de l’armée de Saddam Hussein (garde républicaine ou troupes régulières), certains voyaient, dans les difficultés de la coalition américano-britannique à Bassora, le renouvellement du scénario catastrophe de Stalingrad.
Malgré quelques similitudes sur le contexte général de ce conflit, les ressemblances s’arrêtent là. D’ailleurs, les commentateurs devraient savoir que l’histoire ne se répète jamais deux fois et que si les circonstance peuvent se ressembler, rien n’est jamais conforme. On ne peut que tenter de s’inspirer des erreurs du passé pour ne pas les reproduire.

A l’époque, les spécialistes avaient prévu la découverte d’Armes de Destruction Massives et nous avaient prévenu que la foule accueillerait en libérateurs les forces américaines. Il n’en a rien été. Bien au contraire, les chiites principaux bénéficiaires de cette défaite de Saddam Hussein on très vite considéré les forces américaines comme des occupants qui doivent partir le plus vite possible. Nous soulignions d’ailleurs sur Infoguerre que les Américains avaient perdu la guerre psychologique. A l’heure actuelle, il se pourrait bien qu’ils perdent bien plus que cela.

Les batailles d’Alger de l’Irak
Si les commentateurs et chroniqueurs de « guerre » ont besoin d’établir des comparaisons sensationnelles, ce n’est pas avec Stalingrad qu’il doivent les faire, mais avec la Bataille d’Alger. A ceci près, qu’il n’y a pas qu’une ville qui soit la proie des actes odieux de terroristes. En dehors de Bagdad, Nadjaf, Bassora, Tikrit, Mossoud sont aussi victimes d’attaques terroristes répétées. Les auteurs de ces attaques appartiennent à plusieurs factions souvent rivales : Al Qaïda, les partisans Baasistes de l’ancien régime de Saddam Hussein, certains chiites fondamentalistes, des citoyens irakiens qui ne supportent plus l’incurie et l’incapacité de l’administration Bremer à tenir ses promesses.

La France, pour rétablir l’ordre dans Alger et y faire cesser les attentats, y avait envoyé ses meilleurs régiments plus entraîner à « dropper les djebels » qu’à faire des opérations de basse police. Les militaires français ont, en leur temps, avec les méthodes que l’ont connaît, gagné la Bataille d’Alger. On peut craindre que, confronté à une guérilla urbaine permanente et diffuse et à un terrorisme grandissant, les Américains ne soient acculés à recourir à des méthodes similaires: faire du renseignement et du contre terrorisme. Les Américains lanceront-ils une « opération champagne », nom de l’opération qui vit une nuit de janvier 1957 se déployer simultanément quatre régiments parachutistes à Alger ? A priori, le contexte est très différent. C’est l’armée qui est déjà en première ligne à Bagdad, mais elle est en partie composée de forces tirées des réserves de la Garde nationale stationnée aux Etats-Unis, sans expérience ni connaissance réelle du terrain.

La communauté internationale laissera t-elle les USA, parangon de la démocratie et des libertés, appliquer des méthodes que l’on connaît pour rétablir l’ordre en Irak ? Les Etats-Unis se risqueront-ils à entrer dans cette spirale infernale dont l’effet boomerang pourrait être dévastateur ?

En tout état de cause, les Américains doivent se rappeler que, malgré la victoire de l’armée français sur le terrorisme lors de la bataille d’Alger, les militaires français n’en ont pas pour autant gagné la guerre d’Algérie. Dans les conflits post coloniaux ou néo-coloniaux (en ce qui concerne l’Irak), les conditions d’une victoire sont politico-militaires. Les militaires français, tant en Indochine qu’en Algérie, l’ont appris à leurs dépends.

Tirer les leçons du passé pour appréhender le contexte politico-militaire
On le voit, le contexte irakien devient de plus en plus dangereux pour les Américains et leurs alliés qui sont dans l’impasse suivante : soit s’engager d’avantage comme au Vietnam, soit se retirer et laisser le champ aux Nations Unies, ce qui serait perçu comme un échec.

En intervenant en Irak, l’administration Bush a détruit l’équilibre précaire qui régnait dans la région. Désormais, pour gagner il va leur falloir sérier les problèmes : venir à bout du terrorisme, (ce qui peut les amener à prendre des solutions « radicales » qui les mettraient en porte à faux avec leurs idéaux), sécuriser les populations, stabiliser le pays, mettre en place avec ou sans l’aide des Nations-Unies un régime politique crédible, petit à petit assurer une transition démocratique puis se retirer du jeux. Combien d’années cela nécessitera t-il ? Combien de pertes humaines, tant du côté américain qu’irakien ? Avec quels résultat pour l’avenir ? nul ne saurait le dire.

Les violences de ces derniers mois suscitent de la part des observateurs éclairés de nombreuses interrogations et inquiétudes. L’attentat contre l’Ambassade de Jordanie, attribué selon les Américains à des Irakiens mécontents de l’accueil par ce pays arabe des filles de l’ex dictateur, cacherait-il une autre vérité ? (selon une de nos informations, les poseurs de bombe reprocheraient au Roi de Jordanie, d’avoir appelé Saddam Hussein le 23 mars 2003, sur demande des américains, leur permettant ainsi de le localiser et d’effectuer une « frappe d’opportunité »). L’attentat qui a coûté la vie au Haut Représentant de l’ONU a semble t-il bénéficié de complicités internes, lesquelles, pourquoi ? Les assassinats de dignitaires chiites dont l’un serait attribué par les experts américains aux fondamentalistes kurdes, prouvent bien qu’une lutte d’influences est en cours.

Des réseaux soutenus par al Qaïda jusqu’aux partisans de Saddam Hussein, la démultiplication et le morcellement des acteurs rendent explosive une situation déjà tendue. Il faut reconnaître que les Américains ont la volonté d’en finir avec la pieuvre terroriste, et il font preuve d’une grande détermination dans cette lutte. Mais avant de commencer le combat qui pourrait les mener à la victoire, ils doivent d’abord mettre un visage sur cette hydre…

Seule une approche « politico-militaire » leur permettra d’appréhender la situation dans son ensemble. Mais tant que les Américains n’auront pas tiré les enseignements de leur échec au Vietnam, tant que leurs think-tank ne se seront pas penchés sur la logique politico-militaire, ils continueront à appréhender la guerre politico-militaire à l’aune de ce qu’ils ont fait du Vietnam à l’Afghanistan ou l’on a pu mesurer l’habilité des « spécialistes » américains à mettre en place des régimes fantoches.
Mis à mal, le gouvernement de Tony Blair et (qui sait ?) de Georges W.Bush risquent de payer le prix du sang versé par leurs troupes respectives en Irak, lors des prochaines échéances électorales. Ils devront tôt ou tard s’expliquer encore plus qu’ils ne l’ont déjà fait sur le bien-fondé de leur politique. Avant qu’il ne soit trop tard, Donald Rumsfeld, Collin Powell ou Georges Bush, devraient faire une lecture critique de la « La bataille d’Alger » de Massu et « la Guerre » du Colonel Trinquier. Cela leur évitera peut-être de tomber dans les mêmes errements que les Français.