Les Etats-Unis et l’Union européenne sont toujours en « guerre » ouverte sur la question des OGM (Organismes génétiquement modifiés), depuis qu’un groupe de sept pays de l'Union européenne, dont la France, a signé un moratoire pour refuser les importations de produits contenant des OGM, en attendant l'adoption par l'Union européenne d'une réglementation précise en matière d'étiquetage sur ces produits. Cette réglementation européenne a déjà été adoptée par les ministres des quinze Etats membres, mais attend encore la validation du Parlement européen, représentant les citoyens européens.
Depuis la signature de ce moratoire en 1999, les Etats-Unis ont pesé de toute leur influence pour le briser. Tous les acteurs se sont mobilisés pour imposer les OGM à des populations qui les refusent. Les milieux économiques en premier lieu, puisque les entreprises américaines, Monsanto en tête, sont les incontestables leaders du marché, suivi des milieux politiques. La déclaration du Président George W. Bush lors de la Conférence ministérielle internationale sur les sciences et technologies agricoles de Sacramento (Californie), en est le dernier exemple en date.
Le Président des Etats-Unis a encouragé les pays de l’Union européenne à lever le moratoire qui est motivé selon lui par « des peurs injustifiés et non-scientifiques ». Pourquoi ne précise-il pas plus clairement qu’il s’agit aussi de peurs économiques ? Les Etats-Unis étant le plus gros producteur et exportateur d’OGM, il entend bien écouler ses productions dans l’Union européenne qui n’est pas de taille à lutter. Les Etats-Unis mènent à la fois une stratégie directe contre le moratoire en amenant le contentieux devant l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et en exerçant un lobbying intense à Bruxelles, mais aussi une stratégie indirecte, en jouant notamment la « carte africaine ».
Selon Washington, le moratoire européen empêche les pays africains attirés par les OGM de les cultiver, sous peine de ne pouvoir vendre leur production en Europe. George W. Bush a ainsi déclaré que « Grâce aux travaux des scientifiques dans votre domaine (NDLR : les biotechnologies), nombre d'agriculteurs et de pays développés peuvent maintenant faire pousser des cultures qui résistent mieux à la sécheresse, aux nuisibles et aux maladies », et d'augmenter de fait leur productivité. Les arguments du Président Bush ne sont pas nouveaux : les produits transgéniques sont plus résistants aux maladies, parasites, conditions climatiques… et constituent donc une solution pour repousser la famine de ces pays. Ces arguments se calent sur l’axe émotionnel et sont le résultat de simplifications manichéennes ravageuses :
- Le moratoire européen interdit les produits contenant des OGM,
- Si les pays africains n’utilisent pas l’agriculture transgénique, ils sont condamnés aux famines
- DONC le moratoire européen encourage, voire est à l’origine, des famines en Afrique
La corde émotionnelle est l’une des techniques les plus efficaces pour persuader une audience. Est-elle suffisante pour l’emporter sur les faits de la réalité ? C’est malheureusement très possible. L’intervention anglo-américaine en Irak se fondait sur la menace d’armes de destruction massive (axe émotionnel) et non sur la réalité ; pourtant l’intervention a bien eu lieu.
Pour la question des OGM, un scénario similaire est plus que probable. Face à l’émotionnel, est-ce que la stratégie directe actuelle est suffisante ? L’Union européenne a déjà rétorqué, en la personne de Gerassimos Thomas, son porte-parole, qu’elle disposait « du droit légitime d'établir une réglementation pour assurer que les OGM sont mis sur le marché sur la base d'une évaluation prudente des risques », et que les pays européens donnaient 7 fois plus d’aides financières au développement des pays africains que les Etats-Unis. Il est également légitime de se demander s’il est utile d’augmenter la productivité des agriculteurs, à l’heure où les agriculteurs européens brûlent leur propre production pour éviter les surproduction et les chutes des cours…
Enfin, pourquoi est-ce que les Etats-Unis n’achèteraient pas les produits transgéniques provenant d’Afrique ? Pourquoi serait-ce à l’Europe d’être systématiquement acheteur/importateur, et aux Etats-Unis d’être vendeur/exportateur ? Que faire également du « protocole international sur la biosécurité » qui stipule qu’un Etat peut refuser les importations d’OGM au nom du principe de précaution ou de considérations socio-économiques ?
Malgré les chiffres bruts et quelques évidences, ces arguments sont insuffisants face à l’offensive émotionnelle mise en branle de l’autre côté de l’Atlantique. La stratégie de Washington est de convaincre les opinions publiques que les OGM représentent le Bien, tandis que les opposants sont sans scrupule vis-à-vis des famines. Le Président W. Bush a même fait une déclaration forte dans ce sens : « Pour le salut d'un continent menacé par la famine, je conseille vivement aux gouvernements européens de mettre un terme à leur opposition aux biotechnologies ». Avec une offensive sur la légalité et sur l’émotionnel, Washington entend encercler l’opposition européenne en retournant les opinions publiques contre leurs décisionnaires.
Les actions en justice et de lobbying entreprises par Washington ont de fortes chances de porter leurs fruits à terme. Les stratégies indirectes de perception management restent quant à elles beaucoup plus incertaines. Les autorités européennes devraient donc définir une stratégie immédiate pour communiquer leurs arguments (principes de précaution, la liberté de choisir sa politique, droit à l’indépendance agricole…) auprès des opinions publiques. Si les consommateurs refusent d’acheter des produits transgéniques, les importations diminueront d’elles-mêmes. A l’heure actuelle, qui aurait envie d’acheter de la viande issue d’un animal nourri avec de la farine animale ?
AVS