La psychologie de l’humanisme contre la psychologie du poing…

Robert Kagan a pris le pari d’expliquer aux Européens qui ils sont. Dans son dernier ouvrage, intitulé La puissance et la faiblesse (et sous-titré Les Etats-Unis et l’Europe dans le nouvel ordre mondial), notre continent apparaît clairement comme un monstre de fragilité. Kagan n’y va pas par quatre chemins : il existe deux psychologies, celle de la puissance et celle de la faiblesse. Bien évidemment, la première est l’apanage des Etats-Unis, et la seconde appartient à l’Union européenne. Quel raisonnement fonde cette subtile analyse ? Le plus simple qui soit : ceux qui ont les plus gros muscles légitiment naturellement la force ... Bel effort de raisonnement !
Mais Kagan a raison, rétorqueront les réalistes : les Européens favorisent les règlements négociés et le multilatéralisme parce qu’ils n’ont pas les moyens d’une politique de contrainte militaire ! L’explication n’est pas fausse, mais elle s’affirme dramatiquement partiale, fâcheusement incomplète. Il faudrait ajouter, pour être parfaitement honnête, que l’Europe tend culturellement, historiquement et philosophiquement, au refus de l’unilatéralisme. Le monde européen du XIXe siècle, au paroxysme de sa puissance, fondait précisément son équilibre sur le « concert des nations », c’est-à-dire sur la multipolarité. Bismarck fut un maître en la matière, tout comme les gouvernements britanniques successifs.
Les règles, les lois, les traités, la négociation et la coopération transnationales ne constituent nullement des alibis. Ils ne masquent pas, comme l’écrit Kagan, la « psychologie de la faiblesse » européenne, mais traduisent davantage une authentique aspiration à la paix comme fruit de l’équilibre des puissances. Si l’Union en marche sur notre continent ne se donne certes pas tous les moyens d’une véritable stratégie de puissance (en témoigne notamment la difficulté de construire une industrie de défense européenne), on ne peut en conclure pour autant que ses valeurs relèvent de l’imposture et de la lâcheté dissimulée !
Il serait d’ailleurs utile de préciser que les Etats-Unis ne ménagent pas leurs efforts pour freiner les rapprochements intra-européens à leur goût trop menaçants pour leur suprématie politique, économique et technologique. Pourquoi les Européens ne s’unissent-ils pas politiquement et militairement écrit ironiquement notre auteur ? Peut-être, sans que cet élément explique tout – loin de là –, parce que l’Amérique s’entend à favoriser la discorde …
En somme, aux yeux de Kagan, l’Amérique s’offre comme le bouclier, le défenseur sans peur et sans reproche de l’Occident ! N’y aurait-il pas plus de raison à penser qu’en militant pour une plus grande coopération internationale, et pour le respect du dialogue et du droit qu’elle implique, l’Europe protège l’honneur et le génie propre, c’est-à-dire humaniste, de la civilisation occidentale …

Eric DELBECQUE