Le rapport qui faisait beaucoup parler le petit monde de l’intelligence économique vient d’être remis au Premier ministre par Bernard Carayon, député du Tarn (qui a entendu, pour réaliser ce travail, 360 personnes en quatre mois et demi, et qui fut épaulé par une petite équipe au caractère résolument interministériel). Intitulé Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, ce texte (qui renvoie à de nombreuses illustrations et cas concrets) a l’immense mérite de placer la discipline au niveau qui doit être le sien : celui d’une authentique stratégie publique. « L’intelligence économique, écrit dès l’introduction Bernard Carayon, devrait être une vraie et grande politique publique de l’État à l’instar de ce que sont les politiques de santé, d’environnement ou de fiscalité. » Ce qui évite d’ailleurs au député de s’épuiser dans des essais de définition : il s’est essentiellement polarisé sur « l’utilité, les champs d’application et les acteurs de l’intelligence économique ». Ce qui est encore plus intéressant dans cette démarche, c’est que l’affirmation du rôle de l’État et des collectivités publiques s’articule sur un raisonnement qui donne sa vraie mesure à l’intelligence économique. Quel est le constat simple mais fondamental auquel s’arrime la démonstration ? Celui d’une mondialisation sans pilote : non, le monde globalisé ne s’auto-régule pas conformément au phantasme des ardents défenseurs de la « main invisible ». Conséquence implacable ? Les États ne sont pas prêts d’être obsolètes : ils se révèlent même plus nécessaires que jamais. L’indiscutable guerre économique que se livrent les nations et les entreprises constitue la seconde base du raisonnement de l’auteur du rapport, alors même que les politiques éprouvent habituellement beaucoup plus de difficulté à reconnaître publiquement la réalité de cet affrontement.
Dès lors, la vraie question ne peut plus tarder à apparaître, et le député du Tarn la formule sans précaution inutile : voulons-nous « proposer au monde notre langue, notre culture et nos valeurs, ou bien sommes-nous destinés à devenir un simple lieu mondial de villégiature ? » C’est après tout la seule interrogation qui vaille ! Notre place dans le monde dépend largement de la puissance économique qui appuiera nos ambitions. Comment parler d’une voix forte, comment être entendus si nous n’avons pas les moyens très concrets de notre volonté d’influence globale ? Car il faut bien y venir : aujourd’hui la puissance signifie largement l’influence ! Et c’est précisément la négligence de cette étroite association, et de sa relation à la prospérité, qui explique le relatif échec de l’intelligence économique en France. Là encore, le rédacteur du rapport vise juste : le problème du microcosme de la discipline, c’est de « s’être focalisés sur les moyens » et d’avoir « occulté les fins… »
Il faut donc prendre l’exacte mesure des lacunes françaises concernant les objectifs. Bernard Carayon les a ciblés avec justesse. Premièrement, l’État doit rapidement construire une doctrine, c’est-à-dire identifier les intérêts économiques et scientifiques majeurs qu’il lui incombe de promouvoir et de défendre. En effet, l’État « n’a jamais défini ni les secteurs d’activités stratégiques – en termes de souveraineté, d’emplois, d’influence –, ni les technologies, au moins les technologies dures, s’y rattachant, et n’a jamais évalué les forces et les faiblesses de la recherche et des industries françaises dans lesdits secteurs. » La conséquence d’une politique publique d’intelligence économique en découle donc logiquement : il est indispensable d’engager « une réflexion prospective appliquée » et de « définir des priorités en matière de recherche et d’innovation, de secteurs d’activités-clefs et de choix de pays partenaires. »
Deuxièmement, il doit mener à bien – selon une formule régulièrement utilisée par le député et qui a toutes les chances de devenir un classique … – trois mariages et un enterrement. Les trois mariages sont ceux des administrations les unes avec les autres, du secteur privé et du public, de l’information blanche (c’est-à-dire publique) avec celle qui l’est « un peu moins » … La mise en bière concerne la naïveté française posant que la guerre économique est un mythe et que nos compétiteurs n’utiliseront pas tous les moyens à leur disposition pour obtenir un avantage compétitif décisif ...
Troisièmement, il devient urgent que les pouvoirs publics s’intéressent authentiquement à la formation des nos élites administratives en matière d’intelligence économique. Les contraintes de ce monde globalisé, dont elles sont davantage protégées que les responsables des entreprises, leur échappent parfois en grande partie. C’est un problème à résoudre au plus vite … A cet égard, comment ne pas s’étonner, comme nous y invite avec raison le rédacteur du rapport, que les grandes administrations de l’État « faisant partie de son périmètre de souveraineté fassent régulièrement appel à des cabinets d’audit ou à des banques d’affaires anglo-saxons ou américains ? »
Quatrièmement, le bouillonnement des idées nécessaires à la vigueur de notre stratégie de développement économique n’est pas canalisé de la manière propre à éclairer les choix gouvernementaux : seule la création de think-tanks (sur le modèle américain mais en prenant en compte les spécificités nationales et européennes) peuvent assurer cette optimisation de l’énergie intellectuelle.
Cinquièmement, il n’est plus possible de passer sous silence, ou de reconnaître du bout des lèvres et d’un air gêné, l’importance des services de renseignement. Nous devons, sur ce point, ne pas faire preuve d’une originalité nocive par rapport à nos alliés/concurrents américains : aux Etats-Unis, rappelle ostensiblement Bernard Carayon, les services de renseignement collaborent avec les administrations et les entreprises (notamment dans les domaines du conseil, de l’audit, de l’assurance, de l’investissement et de l’innovation).
Sixièmement, il serait temps que notre pays traite avec moins de désinvolture les formes d’influence anglo-saxonne : si nous ne savons pas organiser et imposer notre présence au sein des grandes institutions économiques et financières mondiales, ainsi qu’assurer la représentation de nos intérêts dans des ONG clefs, ou user des services de grandes sociétés de lobbying, il y a fort à parier que la métamorphose en lieu de villégiature nous menace … Nous perdons effectivement pied là où s’élaborent les règles et normes de demain !
Prompt aux raccourcis denses et signifiants, Bernard Carayon dit clairement ce que nous savons tous parfaitement mais qui échoue très souvent – malheureusement – à se concrétiser dans des actions coordonnées et suivies : l’efficacité de l’intelligence économique, écrit-il, repose sur celle des réseaux et des circuits de l’information, mais également sur la mobilisation des pouvoirs publics, ainsi que sur l’élimination "des conflits de chapelle et des cloisonnements". Il faut ajouter à cela, poursuit-il, un peu de méthode, et savoir aussi valoriser celui qui donne l’information, non celui qui la retient. Enfin, conclut-il, les administrations publiques doivent comprendre les enjeux de l’entreprise, tandis que cette dernière doit intégrer les priorités de l’État, et donc de la Nation.
Mais sur ce dernier point, il importe de ne pas se leurrer. « L’intelligence économique est un patriotisme économique » : le représentant de la nation qu’est l’auteur de ce rapport l’affirme sans ambages. Et il ajoute : « le patriotisme économique n’est pas une idéologie, pas plus que l’intelligence économique n’est un concept : c’est une politique sociale. » Or, il n’est pas certain que toutes les entreprises françaises aient parfaitement bien appréhendé ce paramètre simple mais essentiel : l’intelligence économique ne va pas sans « solidarité personnelle avec la communauté nationale ». Il faudrait donc cesser, à la manière de ces « experts » qui prennent excessivement plaisir à passer pour de fins observateurs des mutations économiques, d’opposer une fin de non-recevoir au patriotisme économique en affirmant péremptoirement : « Mais comment voulez-vous définir une entreprise française à l’heure de la mondialisation ? » Comme le rappelle à juste titre Bernard Carayon, le Commissariat Général au Plan a déjà répondu précisément à cette question ! En réaffirmant le lien indissoluble qui unit nation et intelligence économique, on ne fait finalement que lui redonner sa dimension stratégique sans laquelle elle ne se conçoit pas !
Il en résulte que la proposition constituant en quelque sorte la colonne vertébrale de toutes les suggestions de Bernard Carayon consiste en la création d’une structure interministérielle à caractère politique, et qui s’affirme comme prolongement tout naturel de l’État-stratège dont la nation a tant besoin pour le siècle qui s’ouvre. Ce qui fait gravement défaut à notre pays en matière d’intelligence économique, c’est qu’il n’existe pas de vision étatique stratégique d’ensemble permettant l’anticipation des évolutions qui modèlent aujourd’hui le monde à un rythme chaque jour plus accéléré. Ce que propose donc avec raison le député, c’est que le gouvernement établisse une instance politico-administrative ayant pour mission d’élaborer un cahier des charges commun à toutes les administrations. Sur la base de ce dernier, chaque ministère pourrait établir « dans son champ de compétence, de manière prospective et après une large concertation avec ses partenaires naturels, la liste des organisations internationales, des secteurs d’activités, des technologies et des savoir-faire, des entreprises, des territoires-clefs pour le rayonnement, le développement économique de la France et le maintient de sa souveraineté et de l’emploi. » L’ensemble de ces réflexions serait mutualisé, arbitré et, "pour l’essentiel, rendu public". Dans une première phase, cette réflexion pourrait être concentrée sur le « noyau dur » des technologies de souveraineté (aérospatial, défense, informatique, télécommunications, pharmacie …).
Afin d’épauler cette instance, un Conseil National pour la Compétitivité et la Sécurité Économique (CNCSE) serait parallèlement créé. Présidé par le Premier ministre, composé de personnalités du monde économique et scientifique, son rôle serait consultatif. La cheville ouvrière de l’ensemble de ce dispositif serait un Délégué interministériel à la Compétitivité et à la Sécurité Économique.
Hors, cette construction institutionnelle, plusieurs des mesures proposées se signalent particulièrement par leur nécessité. Citons par exemple :
- L’adaptation des textes fondateurs de la défense et de la sécurité économique, à commencer par l’ordonnance du 7 janvier 1959 ;
- La construction d’un intranet gouvernemental dédié à l’anticipation et la prospective, autant dire au pilotage stratégique de la politique économique nationale ; et la création conséquente d’un Centre d’Analyse et de Prévision interministériel ;
- La mise en place de « guichets uniques » de l’information, pour remédier à l’éclatement des canaux de diffusion de l’information publique ;
- La création d’un observatoire des mauvaises pratiques commerciales (traitant notamment de l’utilisation de l’arme de la désinformation), ainsi que d’une cellule de contact et de soutien aux entreprises, à l’initiative et sous l’autorité de l’instance politico-administrative mise en place par le politique ;
- Le renforcement du rôle de la DST en matière de sécurité économique ;
- La création d’un fonds d’investissement français généraliste permettant d’assurer l’indépendance économique et technologique française ;
- L'introduction, au sein de la Représentation permanente à Bruxelles, d'une mission d’anticipation chargée exclusivement de l’analyse et de la réflexion prospective.
- L’élaboration d’une ligne de cohérence concernant l’enseignement de l’intelligence économique, dans le domaine de la formation initiale comme de la formation continue ;
- La promotion d’une approche résolument territoriale de l’intelligence économique, reposant sur la circulation de l’information entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés, et s’appuyant aussi sur la mise en œuvre de schémas stratégiques régionaux et la réunion d’assises nationales des initiatives des régions ;
Au bout du compte, le rapport Carayon offre tout à la fois un diagnostic très lucide et précis de l’intelligence économique en France, et un ensemble très cohérent de mesures (au demeurant peu couteuses) que le gouvernement pourrait prendre très vite pour encourager son développement au service de la communauté d’intérêt de l’Etat et des entreprises. Reste à savoir dorénavant quelles suites les pouvoirs publics donneront à cette réflexion de nature stratégique qui rompt, tant sur le fond que dans le style et l'inspiration, avec le rapport Martre…
Eric Delbecque
Dès lors, la vraie question ne peut plus tarder à apparaître, et le député du Tarn la formule sans précaution inutile : voulons-nous « proposer au monde notre langue, notre culture et nos valeurs, ou bien sommes-nous destinés à devenir un simple lieu mondial de villégiature ? » C’est après tout la seule interrogation qui vaille ! Notre place dans le monde dépend largement de la puissance économique qui appuiera nos ambitions. Comment parler d’une voix forte, comment être entendus si nous n’avons pas les moyens très concrets de notre volonté d’influence globale ? Car il faut bien y venir : aujourd’hui la puissance signifie largement l’influence ! Et c’est précisément la négligence de cette étroite association, et de sa relation à la prospérité, qui explique le relatif échec de l’intelligence économique en France. Là encore, le rédacteur du rapport vise juste : le problème du microcosme de la discipline, c’est de « s’être focalisés sur les moyens » et d’avoir « occulté les fins… »
Il faut donc prendre l’exacte mesure des lacunes françaises concernant les objectifs. Bernard Carayon les a ciblés avec justesse. Premièrement, l’État doit rapidement construire une doctrine, c’est-à-dire identifier les intérêts économiques et scientifiques majeurs qu’il lui incombe de promouvoir et de défendre. En effet, l’État « n’a jamais défini ni les secteurs d’activités stratégiques – en termes de souveraineté, d’emplois, d’influence –, ni les technologies, au moins les technologies dures, s’y rattachant, et n’a jamais évalué les forces et les faiblesses de la recherche et des industries françaises dans lesdits secteurs. » La conséquence d’une politique publique d’intelligence économique en découle donc logiquement : il est indispensable d’engager « une réflexion prospective appliquée » et de « définir des priorités en matière de recherche et d’innovation, de secteurs d’activités-clefs et de choix de pays partenaires. »
Deuxièmement, il doit mener à bien – selon une formule régulièrement utilisée par le député et qui a toutes les chances de devenir un classique … – trois mariages et un enterrement. Les trois mariages sont ceux des administrations les unes avec les autres, du secteur privé et du public, de l’information blanche (c’est-à-dire publique) avec celle qui l’est « un peu moins » … La mise en bière concerne la naïveté française posant que la guerre économique est un mythe et que nos compétiteurs n’utiliseront pas tous les moyens à leur disposition pour obtenir un avantage compétitif décisif ...
Troisièmement, il devient urgent que les pouvoirs publics s’intéressent authentiquement à la formation des nos élites administratives en matière d’intelligence économique. Les contraintes de ce monde globalisé, dont elles sont davantage protégées que les responsables des entreprises, leur échappent parfois en grande partie. C’est un problème à résoudre au plus vite … A cet égard, comment ne pas s’étonner, comme nous y invite avec raison le rédacteur du rapport, que les grandes administrations de l’État « faisant partie de son périmètre de souveraineté fassent régulièrement appel à des cabinets d’audit ou à des banques d’affaires anglo-saxons ou américains ? »
Quatrièmement, le bouillonnement des idées nécessaires à la vigueur de notre stratégie de développement économique n’est pas canalisé de la manière propre à éclairer les choix gouvernementaux : seule la création de think-tanks (sur le modèle américain mais en prenant en compte les spécificités nationales et européennes) peuvent assurer cette optimisation de l’énergie intellectuelle.
Cinquièmement, il n’est plus possible de passer sous silence, ou de reconnaître du bout des lèvres et d’un air gêné, l’importance des services de renseignement. Nous devons, sur ce point, ne pas faire preuve d’une originalité nocive par rapport à nos alliés/concurrents américains : aux Etats-Unis, rappelle ostensiblement Bernard Carayon, les services de renseignement collaborent avec les administrations et les entreprises (notamment dans les domaines du conseil, de l’audit, de l’assurance, de l’investissement et de l’innovation).
Sixièmement, il serait temps que notre pays traite avec moins de désinvolture les formes d’influence anglo-saxonne : si nous ne savons pas organiser et imposer notre présence au sein des grandes institutions économiques et financières mondiales, ainsi qu’assurer la représentation de nos intérêts dans des ONG clefs, ou user des services de grandes sociétés de lobbying, il y a fort à parier que la métamorphose en lieu de villégiature nous menace … Nous perdons effectivement pied là où s’élaborent les règles et normes de demain !
Prompt aux raccourcis denses et signifiants, Bernard Carayon dit clairement ce que nous savons tous parfaitement mais qui échoue très souvent – malheureusement – à se concrétiser dans des actions coordonnées et suivies : l’efficacité de l’intelligence économique, écrit-il, repose sur celle des réseaux et des circuits de l’information, mais également sur la mobilisation des pouvoirs publics, ainsi que sur l’élimination "des conflits de chapelle et des cloisonnements". Il faut ajouter à cela, poursuit-il, un peu de méthode, et savoir aussi valoriser celui qui donne l’information, non celui qui la retient. Enfin, conclut-il, les administrations publiques doivent comprendre les enjeux de l’entreprise, tandis que cette dernière doit intégrer les priorités de l’État, et donc de la Nation.
Mais sur ce dernier point, il importe de ne pas se leurrer. « L’intelligence économique est un patriotisme économique » : le représentant de la nation qu’est l’auteur de ce rapport l’affirme sans ambages. Et il ajoute : « le patriotisme économique n’est pas une idéologie, pas plus que l’intelligence économique n’est un concept : c’est une politique sociale. » Or, il n’est pas certain que toutes les entreprises françaises aient parfaitement bien appréhendé ce paramètre simple mais essentiel : l’intelligence économique ne va pas sans « solidarité personnelle avec la communauté nationale ». Il faudrait donc cesser, à la manière de ces « experts » qui prennent excessivement plaisir à passer pour de fins observateurs des mutations économiques, d’opposer une fin de non-recevoir au patriotisme économique en affirmant péremptoirement : « Mais comment voulez-vous définir une entreprise française à l’heure de la mondialisation ? » Comme le rappelle à juste titre Bernard Carayon, le Commissariat Général au Plan a déjà répondu précisément à cette question ! En réaffirmant le lien indissoluble qui unit nation et intelligence économique, on ne fait finalement que lui redonner sa dimension stratégique sans laquelle elle ne se conçoit pas !
Il en résulte que la proposition constituant en quelque sorte la colonne vertébrale de toutes les suggestions de Bernard Carayon consiste en la création d’une structure interministérielle à caractère politique, et qui s’affirme comme prolongement tout naturel de l’État-stratège dont la nation a tant besoin pour le siècle qui s’ouvre. Ce qui fait gravement défaut à notre pays en matière d’intelligence économique, c’est qu’il n’existe pas de vision étatique stratégique d’ensemble permettant l’anticipation des évolutions qui modèlent aujourd’hui le monde à un rythme chaque jour plus accéléré. Ce que propose donc avec raison le député, c’est que le gouvernement établisse une instance politico-administrative ayant pour mission d’élaborer un cahier des charges commun à toutes les administrations. Sur la base de ce dernier, chaque ministère pourrait établir « dans son champ de compétence, de manière prospective et après une large concertation avec ses partenaires naturels, la liste des organisations internationales, des secteurs d’activités, des technologies et des savoir-faire, des entreprises, des territoires-clefs pour le rayonnement, le développement économique de la France et le maintient de sa souveraineté et de l’emploi. » L’ensemble de ces réflexions serait mutualisé, arbitré et, "pour l’essentiel, rendu public". Dans une première phase, cette réflexion pourrait être concentrée sur le « noyau dur » des technologies de souveraineté (aérospatial, défense, informatique, télécommunications, pharmacie …).
Afin d’épauler cette instance, un Conseil National pour la Compétitivité et la Sécurité Économique (CNCSE) serait parallèlement créé. Présidé par le Premier ministre, composé de personnalités du monde économique et scientifique, son rôle serait consultatif. La cheville ouvrière de l’ensemble de ce dispositif serait un Délégué interministériel à la Compétitivité et à la Sécurité Économique.
Hors, cette construction institutionnelle, plusieurs des mesures proposées se signalent particulièrement par leur nécessité. Citons par exemple :
- L’adaptation des textes fondateurs de la défense et de la sécurité économique, à commencer par l’ordonnance du 7 janvier 1959 ;
- La construction d’un intranet gouvernemental dédié à l’anticipation et la prospective, autant dire au pilotage stratégique de la politique économique nationale ; et la création conséquente d’un Centre d’Analyse et de Prévision interministériel ;
- La mise en place de « guichets uniques » de l’information, pour remédier à l’éclatement des canaux de diffusion de l’information publique ;
- La création d’un observatoire des mauvaises pratiques commerciales (traitant notamment de l’utilisation de l’arme de la désinformation), ainsi que d’une cellule de contact et de soutien aux entreprises, à l’initiative et sous l’autorité de l’instance politico-administrative mise en place par le politique ;
- Le renforcement du rôle de la DST en matière de sécurité économique ;
- La création d’un fonds d’investissement français généraliste permettant d’assurer l’indépendance économique et technologique française ;
- L'introduction, au sein de la Représentation permanente à Bruxelles, d'une mission d’anticipation chargée exclusivement de l’analyse et de la réflexion prospective.
- L’élaboration d’une ligne de cohérence concernant l’enseignement de l’intelligence économique, dans le domaine de la formation initiale comme de la formation continue ;
- La promotion d’une approche résolument territoriale de l’intelligence économique, reposant sur la circulation de l’information entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés, et s’appuyant aussi sur la mise en œuvre de schémas stratégiques régionaux et la réunion d’assises nationales des initiatives des régions ;
Au bout du compte, le rapport Carayon offre tout à la fois un diagnostic très lucide et précis de l’intelligence économique en France, et un ensemble très cohérent de mesures (au demeurant peu couteuses) que le gouvernement pourrait prendre très vite pour encourager son développement au service de la communauté d’intérêt de l’Etat et des entreprises. Reste à savoir dorénavant quelles suites les pouvoirs publics donneront à cette réflexion de nature stratégique qui rompt, tant sur le fond que dans le style et l'inspiration, avec le rapport Martre…
Eric Delbecque