Télévision russe et luttes d’influence

La dernière chaîne de télévision indépendante de Russie, TVS, a cessé d’émettre ce dimanche 22 juin, remplacée par une chaîne sportive. Créée en juin 2002, TVS était une chaîne généraliste créée par l’équipe de l’ancienne NTV et financée par société Media-Sotsium regroupant un consortium d'hommes d'affaires censé garantir son indépendance. Mise à mort des chaînes d’information privées
Les journalistes de TVS vivent leur troisième mise à l'écart en trois ans après leur évincement en 2001 de NTV, suivi de la fermeture de TV-6. En 2001, NTV, qui appartenait alors à Vladimir Goussinski (Media Post), à présent en exil, était passée sous le contrôle de l'Etat via Gazprom au terme d'une procédure judiciaire controversée. Début 2002, TV-6, qui appartenait à Boris Berezovski (Sibneft, Aeroflot…), lui aussi en exil, a également été fermée lors d’une mesure qui a été reconnue par la suite illégitime par des tribunaux russes. Six mois plus-tard devait naître TVS, mais cette dernière n’a jamais joui de la même indépendance que ses prédécesseurs, notamment lorsque l’ancien Premier ministre Yevgeny Primakov était au conseil d’administration.


Les autorités avancent que TVS a officiellement été fermée pour des raisons financières. Le Ministère de l’information a précisé sur Ekho Moskvy que : « Moins d'un an après avoir commencé à diffuser, la chaîne télévisée faisait face à une crise financière et de gestion (...) Pour cette raison, il a fallu prendre une décision de façon à protéger les intérêts des téléspectateurs ». C’est sur le motif d’un impayé de 8 millions de dollars que la principale compagnie de câble de Moscou a arrêté les transmissions de TVS. Selon le porte parole de TVS, Tatyana Blinova, les employés de TVS n’avaient pas été payés depuis 3 mois.

Yevgeny Kiselyov, rédacteur en chef de TVS, désigne quant à lui les actionnaires, coupables de ne pas avoir pris les décisions nécessaires aux différentes étapes de l’existence de la chaîne, ce qui a conduit à son effondrement économique. En effet, dès sa création la donne était tronquée. Les hommes d’affaires qui devaient assurer l’indépendance de la chaîne étaient loyaux au Kremlin. Enfin, des luttes d’influence entre les puissants actionnaires, notamment entre Anatoli Tchoubaïs, ancien vice-Premier ministre et président d’ESS Rossia, et Oleg Deripaska, magnat de l'aluminium avec Ruskii aliuminii, ont accentué les difficultés financières.

La télévision : une importante influence politique
L’importante influence politique de la télévision en Russie n’est un secret pour personne. Par exemple, lors des élections présidentielles de 1996, diverses chaînes s’étaient ralliées derrière Boris Eltsine pour l’aider à remporter. Pourtant, ce sont ces mêmes chaînes qui embarrassèrent plus-tard le Kremlin en amenant le conflit tchétchène dans les foyers russes.

La fermeture de TVS donne un contrôle total à l’Etat sur l’information par la télévision. Dès janvier 2001, lors de la Journée de la presse, le président Vladimir Poutine avait clairement annoncé son projet : sécurité de l’information et renforcement des capacités à diffuser une information fiable. Cette déclaration faisait alors écho à une résolution sur l’information adoptée fin 2000 par les députés de la Douma : « La politique de l’Etat dans le domaine de la télévision et de la radio doit viser à renforcer l’unité nationale, à former des sentiments patriotiques chez les citoyens et à éveiller leur conscience de l’Etat. »

Après l’annonce de la disparition de TVS, la presse russe estimait qu’il n'y avait plus de télévision privée parlant de politique en Russie. Les Russes ont désormais le choix entre trois chaînes généralistes, dont deux publiques et une contrôlée indirectement par l'Etat. Le quotidien centriste Izvestia écrivait à cette occasion que : « Ni les hommes politiques, ni les hommes d'affaires n'ont pu sauver TVS. L'ère de la télévision politique privée est finie en Russie ». Boris Nemtsov, leader du parti libéral SPS, a surenchéri en déclarant : « Il va y avoir plus de villes laissées sans chauffage, plus de corruption, plus de victimes en Tchétchénie car il est peu probable que les chaînes publiques en parlent sans censure. C'est un coup contre la Russie ».

Cependant, nous sommes en droit de nous demander quelles seront les conséquences de ces changements sur les principes démocratiques de ce pays. Le rédacteur en chef de Ekho Moskvy, Alexei Venediktov, avait déclaré que la fermeture de TVS donnait un monopole virtuel au gouvernement : « C’est comme quand tous les candidats son exclus d’une élection, à l’exception d’un seul », a-t-il déclaré à Interfax. Comparaison imagée qui n’est pas sans rappeler l’ère soviétique.
Intervenant à moins de six mois des législatives russes du 7 décembre 2003, puis des élections présidentielle de mars 2004, le Kremlin s’est offert un extraordinaire outil d’influence grâce à un canal informatif unique. Comment va-t-il à présent s’en servir ?

AVS